Éloge de l’inégalité

Sitôt que l’un n’est pas l’égal de l’autre il est ou bien son oppresseur ou sa victime. Voilà qui situe le drame moderne: parfaite égalité mise à part, tout est injustice. Pourtant la seule part égale que nous partageons n’est que notre humanité, notre essence profonde, naturelle. C’est parce qu’elle n’est pas réductible à des catégories que notre personne est égale à toutes les autres ; cette égalité-là n’est pas revendicatrice, elle est. Notre état de droit reconnait cela, pourtant avec des distinctions pour les enfants mineurs et les personnes réputées sans discernement dont on excusera l’irresponsabilité. La république et ses institutions démocratiques excluent que des individus soient parés de privilèges pour participer aux décisions communes.  Même battue en brèche par des régimes politiques qui ne la respectent pas, même mal respectée dans des régimes qui prétendent la chérir, cette égalité a un caractère vraiment universel.

Pour tout le reste nous sommes fondamentalement inégaux et faisons mieux de le rester. Imaginons un instant une société sans inégalité, ni physique, ni mentale, ni intellectuelle, ni matérielle, ni financière. Nous serions des fourmis œuvrant l’une à côté de l’autre sans même avoir à préserver une reine afin d’assurer la pérennité de notre espèce. Quelle raison d’être serait la nôtre qui nous distinguerait du protozoaire ?

Un tel raisonnement par l’absurde laissent entrevoir la nécessité de l’inégalité. D’ailleurs le monde naturel n’est fait que de ça, en tous cas depuis le big-bang. Rien ne bouge ni ne se transforme sans différence, la force motrice de toute chose est une inégalité. L’évolution des espèces consiste à mettre en valeur des qualités qui, par le biais d’un processus de sélection, leur permettent de se perpétuer. Le prédateur et la proie sont profondément inégaux, pourtant ils vivent dans une nécessaire symbiose. Nous acceptons cela de la nature, sans mettre en cause aucune de ces inégalités. Bien au contraire, nous aménageons des réserves et autres biotopes afin de nous assurer que cette vie naturelle se développe sans entraves et que la biodiversité puisse être conservée. Croyant maintenir un équilibre naturel nous promouvons en fait un régime plus ou moins stationnaire d’inégalités profondes. C’est ainsi que fonctionne la nature.

L’espèce humaine est différente, située qu’elle est en haut de la chaîne alimentaire et de l’exploitation des ressources. Les inégalités qui s’y constatent ne sont pas simplement le fruit d’une sélection naturelle. Elles ne s’établissent pas nécessairement par un simple rapport de force, par l’expression violente de la puissance, mais surtout par l’habileté, l’astuce, la créativité. Le progrès, passé ou futur, ne se réalise que grâce à de tels talents qui, paradoxalement, créent des inégalités nouvelles pour en atténuer d’autres. Les exemples ne manquent pas : du luxe seulement accessible aux privilégiés, des objets et des services sont maintenant à la portée de la plupart : énergie, santé, culture, loisirs, communications. Contrairement aux lamentations d’usage c’est bien de progrès dont il s’agit, pas de régression.

Reconnaissant cette nécessité il nous coûte d’accepter ces inégalités, temporaires bien que cela puisse durer très longtemps : les richesses des uns s’accumulent, des conditions de vie inacceptables voisinent avec ce luxe, les enfants des privilégiés ont une propension à conserver les privilèges de leurs parents, des nations entières se distinguent des autres par leur prospérité et des régimes fiscaux qui ne sont pas des enfers. L’air du temps dicterait qu’il faille absolument lutter contre ces inégalités, tous ces faits discriminants étant d’intolérables stigmates. Ces répétitions de jérémiades deviennent très lassantes.

Pourquoi donc une grande malaxeuse devrait-elle fonctionner ? Le lit de Procuste serait-il l’idéal social d’une société égalisatrice ?  Ma réponse est bien sûr négative, pourtant les appels à la réduction des inégalités n’ont d’égal que la stérilité des moyens proposés et leurs conséquences contreproductives. Prendre aux riches pour redistribuer aux pauvres ne fonctionne que tant qu’il y a des riches, abolir la concurrence élimine toute idée de qualité et d’amélioration, harmoniser les régimes fiscaux en provoque l’inflation car les états dispendieux n’ont aucune envie de s’aligner sur les plus frugaux. Voilà les conséquences de cet égalitarisme mal compris, teinté d’envie et de paresse, de revanche sociale, de conservatisme et d’excuses pour ne rien entreprendre.

Seule la mort réduit toutes les inégalités, mais s’il vous plaît, le plus tard possible !


Merci de compartir cet article
FacebooktwitterlinkedinmailFacebooktwitterlinkedinmail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.