La science du comportement à l’aide de la communication climatiste

Atlantico, média internet français, m’a prié de commenter un article de science comportementale récemment paru qui analyse l’impact que divers messages peuvent avoir sur l’opinion à propos des politiques climatiques. Étant manifestement peu qualifié pour intervenir dans de telles sciences molles, j’ai néanmoins cherché à en comprendre le sens. Voici la retranscription de cet article :

Atlantico : Une nouvelle étude en sciences du comportement avec environ 60 000 participants dans plus de 60 pays a examiné l’impact des messages sur le réchauffement climatique auprès des citoyens. Les messages « pessimistes », très populaires et relayés massivement sur Internet, s’avèrent contre-productifs et empêchent d’agir concrètement pour protéger l’environnement.  Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?  Comment expliquer que les messages pessimistes sur le climat soient contre-productifs et ne poussent pas à agir et à prendre des mesures en faveur de la protection de l’environnement ?

Michel de Rougemont : Il s’agit d’un travail monstre effectué par 258 auteurs et dont j’ai l’impression qu’il fut préparé avec sérieux. Son but était de mesurer quels messages sont les plus efficaces pour influencer la croyance en un changement climatique d’origine anthropique, apporter un soutien aux politiques de mitigation, partager des informations sur les réseaux sociaux et pour contribuer de manière concrète à une action utile. 

Les participants furent volontaires, «  crowd-fondés  » sur internet et avaient des dispositions préalables plutôt favorables à la cause climatique, bien que le climato-hérétique que je suis se serait aussi vu attribué une note élevée à ce sujet. Bien qu’intéressante, l’étude est lacunaire puisqu’elle ne concerne que les mesures dites de mitigation, celles qui sont destinées à diminuer la cause anthropique du réchauffement par la réduction des émissions des gaz à effet de serre. Il ne fut pas non plus question de juger de la qualité des politiques engagées ou prévues  ; elles sont considérées comme bonnes en soi. Pourtant on sait qu’en tout état de cause, ce sont des mesures d’adaptation qui s’imposeront afin de pouvoir vivre dans des conditions climatiques changeantes. Si vaste et complexe que fut cette étude, son intérêt est donc limité à la mise en évidence de facteurs de succès ou d’échec pour soutenir une propagande particulièrement ciblée.

Dans son ensemble, le résultat principal est que… ça dépend de plusieurs facteurs et qu’il est difficile de les prévoir. En termes généraux, les messages proposés ont un impact d’autant plus marqué que les participants à l’étude étaient d’ores et déjà fortement convaincus de la réalité d’une urgence climatique causée par notre espèce.

Le résultat le plus amusant est que, invités à produire un effort pour soutenir une mesure concrète (planter des arbres), aucun des messages passés aux participants ne les motive à en faire plus que ceux des groupes de contrôle qui n’ont pas été exposés à ces messages. Une comparaison avec la vie politique s’impose  : les déclarations sont volontiers exposées et répétées à l’envi, mais les discours tendent à éteindre les enthousiasmes lorsqu’il s’agit de passer à l’action.

Atlantico : Les messages pessimistes sur le climat ne servent-ils qu’à alimenter les médias et à être partagées sur les réseaux sociaux ? Les militants écologistes ont-ils contribué à ce phénomène en allant trop loin dans les discours pessimistes sur le climat et en brouillant la compréhension scientifique de la lutte contre le réchauffement climatique ?

MR : Paradoxalement, l’étude montre que les messages pessimistes combinés à des annonces catastrophistes motivent les croyants et renforcent l’incrédulité ou le scepticisme des mécréants. Ici aussi, le marketing du climat est face à un défi similaire à celui du marketing politique  : on ne convainc pas un adversaire avec les mêmes arguments qui plaisent à ses partisans.

La question de l’impact du pessimisme est maintenant débattue dans les milieux climatistes et, plus généralement, écologistes. Des éléments de langage sont même élaborés à l’ONU et ailleurs afin d’éviter les travers négatifs et mettre plutôt en avant des solutions telles qu’elles peuvent parler aux diverses audiences dans leurs cadres et contextes particuliers. Ces derniers temps, je constate aussi que certains scientifiques qui se sont laissé emporter par l’activisme politique ne sont plus aussi diserts ; peut-être ont-ils compris qu’ils ne devaient pas mettre en jeu leur crédibilité.

Atlantico : Comment sortir des discours alarmistes sur le climat pour réellement agir et protéger l’environnement de manière efficace ?
L’approche scientifique est-elle la clé ?

MR : Pour certains, le match est plié, il ne s’agit plus que de mettre en œuvre les politiques telles que décidées. À la COP28 de Dubaï en décembre dernier, la seule dispute était sémantique, pour trancher entre le début de la fin des carburants fossiles ou leur élimination à terme plus ou moins court. Il n’est donc plus nécessaire de tirer les sonnettes d’alarme à tout bout de champ, ce qui, à force, crée une accoutumance nuisible à la mobilisation.

Pour d’autres, les réductions des émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas se faire en toute urgence et quoi qu’il en coûte, ni par des choix technologiques prématurés ; la panique n’est pas de mise. Par exemple, tant que l’électrification de tout l’approvisionnement énergétique n’est pas massivement en route –  on est bien loin du compte  – il est contre- productif, nuisible même, de faire la promotion de véhicules électriques ou de pompes à chaleurs qui demandent plus de courant électrique que ce que nous sommes capables de produire. C’est mettre la charrue avant les bœufs. Sauf décroissance suicidaire, les énergies fossiles resteront donc nécessaires plus longtemps qu’on ne le rêve.

En matière d’environnement et de climat, la science est bien sûr une clé indispensable mais elle n’ouvre pas toutes les portes, ni ne décide lesquelles. Dans la mesure du possible, elle doit répondre à des questions, quantitatives avant tout, et aussi souligner les incertitudes. Elle fournit des méthodes permettant d’évaluer les impacts de diverses actions mais elle n’a pas à opérer des jugements de valeur ni dicter des priorités. Ces évaluations de coûts, de bénéfices attendus ou de dégâts évités ne doivent pas être écartées au nom de vagues sentiments ou de postures catégoriques. C’est aux décideurs politiques qu’il appartient de savoir poser les questions de risque, de tolérance au risque et de limites acceptables et réalisables, car l’on ne peut pas gouverner par le sentiment de danger et la seule précaution. Des décisions doivent être prises alors que des milliers de milliards sont en jeu. Ne serait-il pas préférable que ces choix se fassent sur la base d’études d’impact non biaisées et suffisamment contradictoires pour éviter les certitudes ?

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Vlasceanu, M. et al. Addressing climate change with behavioral science: A global intervention tournament in 63 countries. Sci. Adv. 10, 1–19 (2024).
https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.adj5778


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