Le rare ennui que doit endurer notre pays est d’avoir plus à perdre que les autres.Cela est dû à des performances sociales, environnementales et économiques de premier ordre qui contribuent au bien-être de tous malgré des conditions souvent adverses, ou plutôt grâce à ces adversités qu’il faut surmonter. Si menace il y a, elle concerne la pérennité de notre si peu naturelle ‘Willennation’ dont il faut à l’intérieur réaffermir sa cohésion sociale et des conditions cadres pour maintenir une économie florissante, un environnement vivable et une démographie saine ; et à l’extérieur réaffirmer un ‘Swiss made » crédible dans une stricte neutralité retrouvée.
La Suisse va bien. Le quasi plein emploi est au rendez-vous. Depuis 1990, le revenu par habitant croît bon an mal an de 1060 Fr par année, malgré ou grâce à un solde migratoire de 1,7 million de personnes ayant contribué pour trois-quarts à une croissance de la population de 31 % ; le solde positif de la balance des paiements s’améliore de 44 millions de francs par année, grâce aux marchandises car les services sont négatifs depuis cinq ans ; et pourtant le franc suisse s’est réévalué de 88 % par rapport à l’euro et de 62 % par rapport au dollar américain. Classé huitième au rang du bonheur mondial, notre pays n’a pratiquement aucun souci à se faire. Il n’y a donc aucune raison de se sentir menacé de quoi que ce soit par qui que ce soit.
Il faut malgré tout avoir suffisamment d’esprit chagrin pour souligner que cet état de grâce ne se perpétuera qu’en restant attentif à ne pas en casser les fondements. Toute réponse à une menace doit avant tout empêcher qu’elle ne se concrétise ; il faut donc se garder de la nier ou de la minimiser avant de l’avoir bien évaluée. Il en est ainsi des développements politiques et sociétaux des dernières décennies qui ont des impacts dans mon pays et qui en menacent la stabilité, voire son existence à long terme. Ma patrie est-elle réellement exposée à des risques sérieux, ou n’est-ce qu’un babil de vieux croûton ?
C’est à bas bruit que les raisons d’être de notre pays sont constamment battues en brèche.
Il y a tout d’abord un rejet croissant du multilinguisme helvétique qui s’est manifesté par une trahison, celle du canton de Zurich, suivi par d’autres, de reléguer l’enseignement du français au troisième rang et demi, après le Hochdeutsch, le Schwyzerdütsch et le globish ; cela signifie que les alémaniques ne connaissent plus le français et sa littérature alors qu’ils se faisaient un honneur de le pratiquer, même avec difficultés. Il faut saluer l’exception faite par le demi-canton d’Obwald où, par vote référendaire, la prééminence d’une seconde langue nationale sur une étrangère a été conservée, ce qui devrait figurer dans notre constitution. Heureusement, mais pour combien de temps encore, cette trahison n’a pas encore été reprise dans les cantons romands, même si la langue de Goethe si mal maîtrisée n’a presque rien de commun avec les dialectes incompréhensibles de nos Confédérés, ce que les profs d’allemand sont incapables d’enseigner. L’italien et le romanche sont aussi passés à la trappe. Les esprits mous me diront que trahison est un terme trop fort, qu’ils me disent donc comment nommer un acte destructeur de la cohésion d’un pays. D’autres me diront que le globish c’est l’avenir, ils n’ont hélas pas tort mais c’est à côté du sujet et ce n’est pas non plus un signe d’aspiration à l’excellence.
Le pidgin n’est pas seulement linguistique mais aussi sociétal. Nos nuances culturelles sont en passe d’être réduites à des particularités mineures, folkloriques et désuètes, qui restent mal comprises alors qu’elles sont d’importance. Étonnamment, l’intégration des étrangers ne se passe pas trop mal alors même que les discours identitaires la déclarent problématique ou impossible. Certes, un métissage se tisse peu à peu, mais nos manières de vivre et nos institutions et nos coutumes sont adoptées puis transmises depuis des décennies sans rechigner ni que quiconque doive renier ses origines. Les multiples origines de l’immigration rendent cela possible, ainsi que l’absence de quartiers ghetto dans nos villes et la dissémination de ces flux dans le territoire. C’est l’équivalent de la ville de Bienne, dixième plus grande du pays, c’est-à-dire 55 000 personnes supplémentaires chaque année qui ont besoin d’un hébergement durable avec les écoles et autres services que cela inclut.
Partager un même destin n’est pas anodin dans un pays qui n’a de cohérence que dans ses différences internes et son manque de richesses naturelles. Si tout devient semblable – genre, culture, religions, intérêts – et que rien ne mérite ni respect ni fierté, alors à quoi bon conserver un pays si complexe ? Pourquoi ne pas divorcer à l’amiable et se fondre dans les auges culturelles de nos voisins ou du TikTok globalisé. On s’autoriserait encore des visites le week-end, mais rien ne nous lierait si ce ne sont Coop et Migros. Nous n’en sommes pas encore là mais cette pente dangereuse se fait sans cesse resavonner. Alors que nous aimons nous désigner comme une Willennation, il s’agit de maintenir cette volonté et de savoir pourquoi.
La richesse et le bien-être rendent complaisant, surtout s’ils sont hérités. Cela ne va pourtant pas de soi et ne se perpétue pas sans autre. Dans sa sagesse, le Conseil fédéral anticipe le futur économique du pays et fixe le ‘taux de conversion’ d’un capital retraite, la rente que les actifs toujours moins nombreux devraient produire afin d’assurer une pension aux innombrables vieux inactifs. Ce taux a une tendance à la baisse, un signe de moindre confiance dans l’avenir.
Le rôle de l’État est de moins en moins conçu comme celui de la gestion du bien commun et de l’aménagement d’un cadre légal et économique favorable à la libre activité de tout un chacun. Alors que les cantons ont délégué plusieurs de leurs compétences à la Confédération, cette dernière se fait un malin plaisir d’intervenir en tout, avec l’excuse de suivre une volonté populaire exprimée par des votes successifs. La subsidiarité, dont nos institutions sont encore un parangon mondial, n’est plus de mise lorsque la ‘Berne’ fédérale s’empare de sujets proches des gens – éducation, santé, environnement, culture – pour en réguler tous les aspects de la manière la plus restrictive et précautionneuse possible. La centralisation fascine toujours les assoiffés du pouvoir et du contrôle, alliés des timorés de la responsabilité. Hors assurances sociales, le tiers des dépenses de la Confédération est distribué sous forme de subventions directes, contributions issues de sa frénésie régulatrice et corruptrice de tout esprit d’indépendance. Notre régime politique à trois étages – communes, cantons, Confédération – nous protège encore de trop de concentration, mais pour combien de temps alors même que le multilatéralisme international vient jouer les prescripteurs au mépris des souverainetés – fiscalité, finance, climat et environnement.
Les principes fondamentaux de la gestion du risque pour la santé ou la nature sont maintenant oubliés et rejetés ; rien d’autre ne vaut que le sentiment de danger à n’importe quelle dose et l’impératif de précaution absolue. C’est donc sans mesurer leurs impacts que des politiques écologistes sont promulguées et dont les seules garanties sont des dépenses pharaoniques (transition énergétique) et des restrictions inutiles et malfaisantes (agriculture, biodiversité). Il n’est jamais sage de viser la mauvaise cible et de détourner de gros moyens pour n’y pas parvenir. C’est pourtant ce à quoi nous mènent les lois sur l’énergie, le climat et le CO2 au prétexte d’une crise globale. Ce que le peuple a gobé et approuvé, il le honnira sitôt qu’il en subira la première conséquence. C’est une illusion de se croire capable de tout se payer et de tout se faire pardonner en dépensant sans compter. Dispendieuse aux frais des autres, cette complaisance détruit l’esprit d’entreprise et, à terme, tarit les sources de richesse et anéantit la paix sociale.
La politique extérieure de la Suisse est illisible, surtout qu’elle n’est écrite par aucun stratège digne de ce nom. On oscille entre partenariat pour la guerre avec l’OTAN (intitulé ‘pour la paix’ de manière orwellienne) qui nous positionne comme partie prenante d’un impérialisme occidental et la défense du droit humanitaire qui, lui, n’a d’adhérents qu’en cas de beau temps. La neutralité n’est plus qu’active à faire des arguties juridiques à propos de l’alignement à des sanctions dictées par d’autres, ce qui annihile toute perspective de servir des bons offices à des belligérants. En fait, c’est la peur qui motive notre Conseil fédéral à ne pas affirmer une neutralité crédible et à en assumer les conséquences. Une fois émasculés il ne nous reste désormais qu’à chanter avec une voix de fausset dans des salons où l’on cause ou dans l’entre-soi des institutions internationales. Oui, il faut avaler des couleuvres pour rester neutre ; oui, le neutre est détesté par chacune des parties ; non il ne doit s’aligner sur aucune ; non, il n’est pas plus égoïste que les autres ; oui il n’est respecté que s’il tient bon. Agir sans avoir à se justifier est plus efficace et durable que communiquer sans vraiment agir. Les conflits en Europe et ailleurs ne sont pas les nôtres, mais nous pouvons y apporter une aide neutre, donc humanitaire et diplomatique. Et, quoi qu’on veuille en déblatérer, notre commerce extérieur et nos investissements à l’étranger participent à cette mission ; notre mythique qualité « Swiss made » est aussi faite de cela. Réparer les dégâts causés par le suivisme et les frayeurs du Conseil fédéral va coûter bien du temps et de la conviction, à commencer par la prise de conscience de la faute commise.
Les relations avec l’Union Européenne sont chargées de malentendus savamment orchestrés de part et d’autre. Les institutions centrales de l’UE – la Commission et le Parlement – ne s’imposent même pas à leurs propres membres qui ne s’entendent que par la force des crises et ne cèdent pas à l’Union de vrais domaines de souveraineté, euro mis à part dans une zone réduite. Le Conseil fédéral vient de mettre en circulation un « projet de mandat de négociation avec l’UE » dans lequel il s’efforce de convaincre nos concitoyens qu’une approche bilatérale sectorielle devrait être possible, sans automatismes ni accord cadre général et contraignant, afin de respecter nos principes et processus de démocratie semi-directe que pourtant l’UE ne partage pas. Il montre aussi son intention de chapeauter les arrangements technocratiques par l’instauration d’un dialogue politique à un niveau ministériel. On peut lui souhaiter bonne chance car rien ne dit que la Commission accepte cette approche par paquet et ce dialogue, détestable à ses yeux tant d’un point de vue administratif que politique. Elle n’est pas un gouvernement mais exige être le seul interlocuteur de la Suisse, jalouse de voir nos diplomates s’entretenir dans les autres chancelleries ; pourquoi se laisser imposer telle discipline que les États membres ne respectent que si cela sert leurs intérêts ? Par ailleurs, rien n’est encore dit sur les positions et arguments spécifiques à chaque élément du paquet ; il faudra s’assurer que la Suisse ne joue pas une fois de plus le bon et gentil élève obéissant par anticipation. Le maintien d’une relation respectueuse de l’acquis social, politique et culturel suisse est essentiel, ce qui est encore le cas aujourd’hui doit être défendu. Les obstacles à éviter ou vaincre se trouvent aussi à l’intérieur du pays avec des têtes bétonnées croyant en des frontières étanches et incapables de sceller quelque accord que ce soit. Il y a aussi les écervelés apatrides et euro-turbos qui, au mépris des enjeux, sont très intéressés à faire capoter ces négociations puisque leur but est l’adhésion complète à cette union.
La Suisse fait sans aucun doute partie de l’Occident, quelle que soit la définition donnée à ce concept. Et cet Occident se voit confronté à un monstre interne qui pratique sa déconstruction systématique au profit d’une bouillie inconsistante qui resterait inféodée à des influenceurs ayant des vues impérialistes. Il se voit aussi confronté à des gouvernants ayant circonvenu le chemin libertaire, républicain et démocrate, pour établir des régimes pour le moins autoritaires sinon totalitaires. Le WEF davosien s’essaie au syncrétisme entre ces blocs en croyant réduire leurs entrechocs. De plateforme de dialogue, il devient alors prescripteur de la bouillie susmentionnée, pourtant sans impact perceptible sur les autocrates qu’il est fier d’inviter à s’exprimer à sa tribune et qui s’en moquent plus ou moins ouvertement. Le suivisme des young leaders souriants qui sont cultivés dans cette pépinière n’a rien d‘enviable. Il en va de même avec les COP climatistes et autres tentatives de gouvernance globale selon les mythes modernes de la diversité genrée, spéciste ou racisée, et de l’inclusion.
Que de pièges ! Vouloir ignorer leur présence ne permet surtout pas de les éviter. Beaucoup d’esprit critique et de courage sont nécessaires pour renverser ces tendances décadentes.
La vigilance est donc de mise pour nommer ceux qui minent nos qualités fondamentales et débusquer leurs basses intentions ou, pire encore, leurs vœux faussement pieux. La Suisse n’est pas la seule à mériter mieux, mais elle en a les moyens, elle qui sait vivre en cohésion alors que tout peut la séparer, n’ayant pas d’autres ressources que l’eau de pluie et ses cerveaux. Si elle est bien une nation, c’est parce qu’elle a su négocier et se faire respecter au cours des siècles. Si elle est une patrie, c’est parce que chacune et chacun peut y trouver son soi et son foyer, tout simplement, sans adjectifs.
La Suisse est belle,Oh ! qu’il la faut chérirSachons pour elleVivre et mourir !
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