Que se passe-t-il chez nos voisins ?

La bienséance exige que l’on ne s’intéresse pas à ce que font ou pensent ses voisins. Avec les gaulois à notre ouest on oscille entre la stricte et neutre bienveillance et l’empathie car, par le direct de la radio et de la télé, nous disposons de la même information et de la même désinformation qui leur sont servies. Mais nous n’avons pas les mêmes bases de culture politique et civique, d’où notre incompréhension et notre effarement. Donc, paraphrasant l’humoriste Anne Roumanoff à propos de la vie privée d’un président en activités multiples, « ça ne nous regarde pas… mais ça nous intéresse. »

C’est devenu si compliqué qu’ils ne sont même pas d’accord entre eux pour savoir sur quoi ils s’affrontent. Ce pays est au bord de la paralysie et on ne sait pas vraiment pourquoi.

Tout d’abord il y a une sémantique incompréhensible.
L’adjectif « social » est utilisé en France exclusivement pour parler de la situation des employés du secteur privé (les « salariés ») et des relations contractuelles qu’ils n’ont pas ou mal avec les employeurs (les « patrons ») parce que les négociations, s’il y en a, sont modérées ou imposées par ce qu’ils appellent « l’État » (en fait un gouvernement centralisé à Paris). Toute réforme sociale, si tant est qu’il y en ait une, n’aura donc qu’une portée limitée.

Chacun se gausse du mot « valeur » qui est totalement galvaudé, personne d’ailleurs n’explique ce que contient la valise qu’il est, sinon par une courte liste d’autres mots valises du type liberté-égalité-fraternité. Ce sont des référentiels pouvant signifier tout ce que l’on veut y mettre. Ainsi chacun a raison, sa raison, et cela ne fait rien avancer.

Ensuite il y un perpétuel changement de cible.
De réduire le nombre de chômeurs à remettre en marche l’économie on en est à la défense d’un soi-disant « modèle social », en passant par assurer la « justice sociale » ; tout ça étant à régler depuis « en haut ». Par définition un modèle est ce qui mérite d’être copié parce qu’avéré de bonne qualité, supérieur à ce qui se fait ailleurs. Attribuer un rôle de modèle au « modèle français » me paraît donc très présomptueux, et ce d’autant plus que là où il n’est pas utilisé, d’autres pays s’en sortent bien mieux. Mais la capacité auditive de nos voisins baisse fortement sitôt qu’une analyse comparative leur est proposée ; le déni est presque génétiquement ancré. Et puis il y a des diversions, pour botter en touche et ne pas aller au but : les réfugiés qui pourtant ne viennent pas en France, l’immigration alors qu’elle s’est réduite à un ruisselet, ou, bien plus douloureux et dramatique, une soi-disant guerre contre le terrorisme née avec des attentats dont on se rend maintenant compte que la source se réduit à un seul groupe de pieds-nickelés, heureusement pas trop efficaces, qui se sont bien cachés à Bruxelles.

Le discours de politique générale est devenu inintéressant. Les proto-néomarxistes de service n’ont pas changé de moulin à prière depuis plus de cent ans ; avec leurs syndicats politisés ils ne connaissent que le rapport de force. Les partis de gouvernement ont peur du qu’en-dira-t-on et de la rue quand ils sont au pouvoir, et prétendent connaitre toutes les solutions lorsqu’ils sont dans l’opposition. Toute collaboration (mot à biffer du dictionnaire depuis 1945) entre eux est immédiatement dénoncée comme trahison ; ce n’est plus réfléchi, c’est un réflexe. Et il y a les nationaux-socialistes qui font de bons scores en surfant sur les déficiences du « système » sans même avoir à présenter de solutions valables ; encore heureux qu’ils n’ont pas de vrai leader. Tout cela est devenu une ritournelle prévisible, sans orientation sauf celle du vent qui souffle. Il ne reste plus que la politique politicienne, celle qui tourne autour des acteurs et non des propositions.

Il n’y a pas de libéralisme dans ce pays-là, ni tel quel, ni néo, ni ultra, seulement du colbertisme jacobino-marxiste à divers degrés d’intensité. Personne n’a confiance en personne, le cynisme est la posture par défaut. Est-ce là un irrémédiable destin ?

L’Europe est bien sûr le mouton noir, autorité illégitime imposant des politiques non désirées, même si, contradiction psychiquement réprimée, on magnifie systématiquement le rôle de leader que la France y joue, avec l’Allemagne bien sûr, mais pour mieux la dompter. Mais l’Europe n’est jamais l’objet d’un débat de fonds, tel maintenant au Royaume-Uni, comme si le flou prétendument subi était préférable au consentement éclairé ou au refus sciemment choisi.

La situation est présentée et commentée comme étant prérévolutionnaire qu’un mouvement émergeant de citoyenneté alternative autogérée devrait mettre sur la voie d’un avenir radieux ; ou alors on appelle à la résurgence de l’homme providentiel sans savoir qui cela pourrait-il être, ni si cela est vraiment souhaitable. Il est vraisemblable que rien de tout ça ne se passe, un brin de folie ayant ses limites auprès d’un peuple raisonnable et généralement cultivé. Contrairement à ce qu’aurait dit de Gaulle à propos des veaux que seraient les Français j’ose penser qu’ils valent bien mieux que ça et que l’absence de roustons et le suivisme bovin se manifestent surtout dans la classe politico-médiatique concentrée dans le soixante-quinze et non dans l’entier de la société.

Alors quelle sera la crise salvatrice, la catharsis qui sortira ce pays de sa torpeur fiévreuse ?

Il me faut bien avouer que je n’en sais rien, sinon qu’il ne suffirait pas que les bleus remportent la coupe d’Europe de foot pour y changer quoi que ce soit. Espérons aussi que cela ne doive pas passer par la case « chienlit totale » ou « dictature » avant le ressaisissement. Mais il y a des pistes : apprendre ou réapprendre à formuler des objectifs atteignables donc modestes, mettre au vocabulaire vertueux des mots comme compromis, concordance, pacte, coalition ; cesser d’écarter toute solution sous prétexte d’injustice car ne résolvant pas 100,0% d’un problème, ou de se lamenter que certains avantages ne sont pas acquis pour l’éternité. Cela suppose l’arrivée en scène de personnes moins imbues d’elles-mêmes, dénuées de dogmatismes (ce qui n’empêche pas les convictions), et n’ayant pas comme ambition la grandeur du pays (ou d’eux-mêmes) mais plutôt un cadre de vie stable et de qualité pour ses résidents, sans leur imposer des modèles idéologiques donc inadéquats. À l’aune de ces critères les candidats inaptes sont faciles à désélectionner, surtout les indéboulonnables de chaque bord. Il est grand temps que la vie politique de nos amis d’outre-Jura devienne tranquille, ennuyeuse même. C’est tout ce que je peux leur souhaiter, même si cela devait m’ôter un spectacle me divertissant des non‑événements helvétiques.


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1 thought on “Que se passe-t-il chez nos voisins ?”

  1. Juste un mot..Merci
    Merci pour ce rafraîchissant commentaire sur la vie de mon pays dont la situation m’apparaît désespérée pour l’instant..

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