Une question climatique pertinente qui sera jugée impertinente

Pas si innocente qu’elle en a l’air, une question pertinente est posée par Judith Curry sur Twitter :

De combien faudrait-il modifier la nébulosité pour expliquer l’augmentation de 0,53 W/m2 du forçage radiatif au « sommet de l’atmosphère » depuis 2003?

https://twitter.com/curryja/status/1375144537522204672

Elle la pose à propos d’un article récent accepté pour publication, intitulé « Observational evidence of increasing global radiative forcing« . (Kramer et al., 2021).

Cette question touche un point central de la science du climat, car celle-ci ne peut être une science expérimentale dans laquelle on peut jouer avec des paramètres isolés les uns des autres. Seules quelques observations instrumentales limitées qui sont en cours et des reconstructions paléolithiques peuvent servir à essayer de distinguer les processus naturels des processus anthropiques, en particulier ceux de forçage radiatif. Cependant, la majeure partie de ce travail, sinon la totalité, s’effectue in silico.

La question peut également être formulée de manière plus générale :

Est-il possible, à l’échelle globale et par des observations instrumentales, de distinguer les causes d’une différence de forçage radiatif de 0,53 W·m-2 sur une période de 15 ans ? 

À propos de la nuageuse suggestion :

  • À partir d’un bilan énergétique simple à deux couches, il peut être estimé que, toutes autres choses restant constantes, une augmentation de 1 % de la nébulosité (d’environ 66 % globalement) peut induire une augmentation de température de 0,54 °C à la surface de la Terre et de 0,45 °C au sommet de l’atmosphère (TOA).
  • Sans tenir compte des rétroactions du système, un forçage radiatif de 0,53 W·m-2 induirait une augmentation de température de 0,11 °C à la surface et de 0,18 °C au sommet de l’atmosphère.
  • Pour obtenir une même augmentation de température, donc pour répondre à un forçage de 0,53 W·m-2, il faudrait une modification de la nébulosité de 0,27 % pour la surface, ou de 0,40 % pour le TOA.
  • La nébulosité, ou son changement, peut-elle être mesurée avec une telle exactitude et une telle précision à l’échelle globale agrégée ?
    Quelle était sa valeur en 2003 et en 2018 ?

Du point de vue du bilan énergétique global :

  • En général, et pour simplifier, les modélisateurs estiment tous les flux de chaleur entrants et sortants, et laissent toute quantité restante réchauffer ou refroidir les océans, déclarant ainsi une chaleur océanique dite accumulée ou « anomalie de chaleur ». 
  • Selon la NASA, sur la période 1993-2019, une anomalie de flux thermique de 0,36 à 0,41 W·m-2 se serait accumulée dans les 700 premiers mètres de profondeur. Au fil du temps, d’autres périodes de dégagement de chaleur devraient également se produire afin que le déséquilibre ne nous laisse pas bouillir ou geler éternellement (ce qui n’a jamais été le cas).
  • Sur cette période de 26 ans, ce flux de chaleur aurait impliqué un changement de température de 0,10 à 0,11 °C pour une colonne d’eau de 700 mètres bien homogénéisée, un changement difficilement mesurable.
  • Une question se pose, similaire à la précédente, concernant l’observation instrumentale : est-il possible de mesurer une telle accumulation de chaleur de manière précise, exacte et à l’échelle globale agrégée (par une surveillance localisée de la température ou toute autre méthode valide) ?

Dans toutes ces évaluations, il faudra tenir compte des erreurs : celles qui découlent des imprécisions et des inexactitudes instrumentales, celles qui sont intégrées au processus de traitement des données (calcul de moyennes dans le temps et en différents endroits), et celles, systémiques, qui découlent de la conception incomplète et imparfaite des modèles, de leur paramétrage et de leurs simplifications.

En d’autres termes, le bilan résultant de tout modèle devrait comporter un compte pour les déchets de calcul, mais il apparaît que c’est en même temps l’énergie qui s’accumule dans les océans. Les représentations simplifiées de la NASA-Goddard n’en font pas état, d’autres (Trenberth, Fasullo, & Kiehl, 2009) montrent un « net absorbé » de 0,9 W·m-2, ou le programme américain de recherche sur le changement global (USGCRP) indique un « déséquilibre de surface » de 0,6 ±0,17 W·m-2 (on apprécie la précision de la marge). Toutefois, si l’on tient compte de toutes les erreurs potentielles, le véritable intervalle de validité de ce déséquilibre pourrait bien être de l’ordre de centaines de pourcents, ce qui remet en question le récit d’une bombe à retardement accumulée dans les profondeurs de l’océan.

Une dernière question doit être adressée à la communauté scientifique du climat : la chaleur accumulée dans les océans sera-t-elle un jour mise à la poubelle ?


Kramer, R. J., He, H., Soden, B. J., Oreopoulos, L., Myhre, G., Forster, P. M., & Smith, C. J. (2021). Observational evidence of increasing global radiative forcing. Geophysical Research Letters, 48(e2020GL091585). https://doi.org/10.1029/2020GL091585

Trenberth, K. E., Fasullo, J. T., & Kiehl, J. (2009). Earth’s global energy budget.
Bulletin of the American Meteorological Society, 90(3), 311–323. https://doi.org/10.1175/2008BAMS2634.1


Billet publié aussi sur le blog de Judith Curry Climate Etc.


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6 thoughts on “Une question climatique pertinente qui sera jugée impertinente”

    1. Et c’est vrai mais en même temps ils augmentent l’isolation de la surface en créant un écran au rayonnement infrarouge. Selon la théorie en vogue, les nuages hauts étant plus froids, ils provoquent un déséquilibre radiatif plus important à la tropopause (forçage radiatif) et donc auraient un effet isolant plus grand que les nuages bas plus chauds. Corollaire paradoxal, les nuages bas provoqueraient un forçage radiatif plus important du point de vue de la surface.

      En fait, il faut bien comprendre que ce raisonnement est purement radiatif, la thermodynamique ne trouve pas son compte dans cette pataphysique. La question de Frédéric Sommer n’est de loin pas épuisée par l’article Wikipedia. La notion de forçage radiatif a été introduite vers 1980 comme une facilité découlant d’une hypothèse sur le comportement du gradient thermique de la troposphère.

  1. Une question annexe, pourquoi l’etude en question debute en 2003, periode ou l’OLR est plate?
    Cela ne couvre pas du tout la periode de 1950 a 2002 ou l’OLR a augmente de 216 a 222, donc on essaie d’expliquer une baisse de 0.5 en ignorant une hausse de 6>

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