Démographie : si rien ne changeait, tout changerait

Interpellé par la lecture du dernier ouvrage d’Emmanuel Todd « La défaite de l’Occident[i] » et une remarque d’Elon Musk dans une récente interview par Jordan Peterson[ii], je m’amuse ici à un jeu démographique simpliste mais révélateur de circonstances pour le moins inquiétantes. Constatant que la natalité est en berne dans les pays riches, il faut se demander à quoi cela pourrait nous mener.

Prenons l’exemple de la Suisse.

Son vieillissement est très prononcé, avec une augmentation de 595 000 personnes âgées de 65 ans ou plus, alors que les moins de 25 ans n’ont augmenté que de 131 000.
De fait, le taux de fertilité ayant encore baissé depuis 1970, dernière année où il était encore supérieur au seuil de remplacement, c’est par un allongement de l’espérance de vie et par une forte immigration de personnes en âge de travailler que la population totale a augmenté de manière spectaculaire pour un pays enclavé dans le vieux continent (tableau 1 ci-contre).

Tableau 1 Chiffres clés de la Suisse de 2000 à 2022

Le graphique ci-dessous montre que la fertilité baisse presque partout, quoique depuis des niveaux très différents, avec le Nigéria en exemple de démographie encore galopante, à l’instar de tous les pays africains.

Figure 1      Évolution du taux de fertilité qui est le nombre d’enfants mis au monde par femme en âge de procréer. Le trait-tillé en gris à hauteur de 2,1 correspond à peu près à une situation de stabilité démographique.
(Données de la Banque mondiale[iii])

Où cela nous mène-t-il ?

Posons en hypothèse que dans chaque pays, le taux de natalité resterait désormais constant, tout comme l’espérance de vie à la naissance évaluée en 2022. Multiplions ce nombre de bébés par année par le nombre d’années qu’ils vivront, cela donne une projection de la population qui se stabiliserait après suffisamment de générations pour que les variations du passé soient effacées.

Prenons encore la Suisse en exemple. Le taux de natalité en 2022 fut de 9,40 naissances par 1000 habitants dans une population totale de 8 775 760 habitants. Donc, 82 492 bébés vinrent au monde cette année-là.
Tous sexes confondus, leur espérance de vie était alors de 83,45 années.
La multiplication de 82 492 par 83,45 donne un chiffre de 6 884 271 qui correspond à une population hypothétiquement stabilisée. Elle aurait diminué de 1 891 489 (-22 %). C’est là une tendance au changement qui menace la Suisse si rien ne changeait.

Inutile de rétorquer que ce calcul est tout faux, car c’est bien le cas : la natalité change, l’espérance de vie et la mortalité aussi, et il y a les migrations qui s’ajoutent ou se soustraient, rien n’est prévisible. De plus, ne comptons pas les victimes potentielles de catastrophes inattendues bien que probables, ce serait trop déprimant.

Notons aussi que ce modèle de calcul conduirait à très long terme à une population dont la moitié serait plus âgée que l’espérance de vie actuelle. La Suisse en est très loin mais elle se trouve sur un chemin allant dans cette direction.

Voyons maintenant ce que donne ce calcul simpliste pour tous les pays du monde. Il y a d’énormes différences.
Les plus intensément croissants sont très fertiles (et ce n’est pas un jeu de mots) :

Tableau 2 
Pays qui au moins doubleraient leur population
Tableau 3  
Pays dont la population croîtrait d’au moins 25 millions

Les autres seraient en perdition, ou le sont déjà :

Tableau 4   Pays qui perdraient le plus grand nombre
Tableau 5   Pays qui perdraient plus de 30% de leur population

Un tableau complet avec tous les pays peut être consulté et téléchargé ici.

Rien ne sert de ratiociner à propos du résultat de ces calculs trop hypothétiques et simplistes, qui ressemblent à ceux de scénarios climatistes servant à sonner l’alarme. Cela montre simplement que le monde ne navigue pas dans une seule direction, mais au moins dans deux, radicalement opposées, donc incompatibles.

Malthus risque d’avoir raison en Afrique : est-elle en train de maîtriser ses approvisionnements et sa productivité, ou est-elle prête à se soumettre à un impérialisme chinois ? Pour sa part, l’Occident, Russie comprise, a démontré que Malthus avait tort, tout comme ses successeurs du Club de Rome et de l’écologisme de la décroissance. Il est possible de produire ce qui est nécessaire ­– bien, proprement et de manière économique – et plus encore puisque le bien-être n’a cessé de s’améliorer dans le Monde entier. Ce n’est pas par manque de ressources que l’Occident s’étiole.

Quatre actions peuvent contribuer à relever ce défi majeur :

  1. Maîtrise de la fertilité, à redresser chez les déprimés et limiter chez les natalistes.
  2. Augmentation de la productivité permettant chez les uns à moins de personnes actives de produire en suffisance et de soigner plus de personnes âgées, et chez les autres à éviter de devoir faire de trop nombreux enfants en guise de plan de retraite ou de chair à canon.
  3. Gérer les migrations pour pallier les insuffisances de bras et de têtes dans les pays vieillissants et éviter une hémorragie de talents et la fuite des forces les plus vives des pays en développement.
  4. Se réjouir d’une décroissance par ici et d’une surpopulation par là.

Le premier point est en des mains féminines, le deuxième appartient à toute l’intelligence humaine. Les deux autres sont des sources de conflits, à l’intérieur même des sociétés concernées et entre elles.

« Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! »


[i] Emmanuel Todd, La défaite de l’Occident, Gallimard 2023

[ii] https://x.com/i/broadcasts/1LyGBgPvoDjJN

[iii] World Development Indicators, https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators


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2 thoughts on “Démographie : si rien ne changeait, tout changerait”

  1. Très éclairant , merci !
    Voici un autre aspect :
    On sait que, en 2023, 2,81 millions de personnes ont touché l’AVS, dont 91%, soit 2,546 millions une rente vieillesse. Mais… 34,4% des rentiers vivent à l’étranger, soit 0,968 million ; il y a donc 1,842 million de rentiers vivant en Suisse dans une population de 8,96 millions d’habitants (soit 20,6%), dont 1,749 million de rentiers vieillesse (19,5%) en 2023.
    Les rentes totales versées représentent 50 milliards de francs, soit en moyenne 17’794 francs par an par rentier AVS, tous confondus, soit aussi en moyenne 1’483 francs par mois (mais la moyenne des rentes vieillesse versées en Suisse est de 1’920 francs par mois).
    Il va y avoir une 13e rente, ce qui va ajouter 4,2 milliards aux 50 milliards. Les cotisations AVS ont rapporté 37,4 milliards. Un point de TVA a rapporté 2,4 milliards. Il en a donc encore coûté à la Confédération 10,1 milliards de francs. On devra encore trouver de quoi financer la 13e rente.

    Mais… mais … mais… dans les « Perspectives énergétiques 2050+ », il est assumé que la population suisse serait de 10,3 millions d’habitants en 2050.
    Avec 25 à 30% de rentiers AVS, le total des rentes (sans renchérissement !) devrait avoisiner les 76 milliards d’aujourd’hui !!! Combien y aura-t-il alors de cotisants, actuellement 4,87 millions (entre 25 et 65 ans)
    Coïncidence hasardeuse de chiffres, il est aussi prévu que la consommation brute d’électricité serait de « seulement » 76 milliards de kWh (76 TWh), soit 7,4 MWh par tête, contre 60,285 TWh en 2023, soit 6,7 MWh par tête avec 8,96 millions d’habitants. La croissance de la consommation par tête ne serait que de 10,5%.
    Il n’y a bien sûr aucune corrélation connue ou attendue entre ces données AVS et électriques…

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