La liberté d’expression implique-t-elle la provocation ?

Si un incroyant émet une critique sur une religion, voire une satire de ses pratiques, s’agit-il d’un blasphème ?

Pour qu’il y ait blasphème  il faut que l’objet de l’irrévérence soit considéré comme sacré. De son point de vue un non-croyant ne prononce aucun blasphème s’il s’en prend à l’un ou l’autre aspect d’une religion car il n’a pas de considération pour quoique ce soit de sacré. Mais s’il a un peu d’instruction il saura que son propos sera interprété comme un blasphème par les croyants de la religion qu’il houspille. S’il tient donc un propos dont il sait qu’il sera perçu comme blasphématoire par celui qui l’écoute alors il fait sciemment de la provocation.

Depuis que les religions chrétiennes se sont abstenue de s’immiscer dans la gestion des affaires temporelles (cela n’a pas été un choix volontaire de leur part, ni au Vatican ni dans les consistoires de villes protestantes) elles ont appris à tolérer un discours critique à leur sujet. Cela n’empêche pas certaines communautés de se positionner de manière claire et même parfois violente sur certains sujets, tel l’avortement ou le mariage homosexuel. Mais, après un long apprentissage et malgré quelques rechutes, elles le font dans le cadre du débat politique, bien réglé dans un état de droit.

Cela est moins clair dans le cas du judaïsme car, traînant le lourd poids de pogroms répétés au cours de l’histoire et culminant avec l’holocauste nazi, une confusion s’est établie entre racisme antisémite, critique d’une religion, et opinions variées sur le sionisme et l’État d’Israël. Aussi il peut sembler que les seuls blasphèmes tolérés par cette communauté sont ceux que ses propres membres profèrent. Ils ne manquent pas de le faire d’ailleurs, la qualité de leurs witz en témoigne. Mais gare au goy critique : son immixtion ne sera tolérée que si elle est bienveillante.

Reste la troisième religion monothéiste : avec son dogme de soumission exclusive à Allah, le Coran incréé, ainsi que la charia, code immuable émanant de la volonté de Dieu, il lui est difficile, voire impossible, de tolérer une quelconque remise en question. Là où ils sont en position minoritaire il y a des croyants dits modérés qui ont appris à s’accommoder de la présence d’autre religions sur le même territoire et d’une société laïque qui règle le vivre ensemble. Mais ces modérés-là ont eux-mêmes une position difficile vis-à-vis des groupes plus intégristes car ils n’ont pas d’arguments de fond pour justifier leur laxisme. Bien sûr on pourrait s’attendre qu’au cours du temps les interprétations des textes et les enseignements de cette religion changent et s’adaptent aux contraintes d’un monde pluraliste. Mais si cela pouvait arriver cela prendrait beaucoup de temps et il y a peu ou pas de signes qu’une telle voie soit en chantier.  En attendant il faut savoir que toute attitude critique ou irrévérencieuse vis-à-vis de l’Islam sera immédiatement interprétée comme un blasphème intolérable.  Si par-dessus le marché il s’agit de satire, alors le crime n’en est que plus grave.

Pourquoi donc des gens en principe éduqués et au courant de ces choses se permettent-ils de faire de la provocation par la publication de textes, dessins ou films qui seront abhorrés par ces communautés ?

S’agit-il d’exprimer une idée originale ? De contribuer par une œuvre artistique à une nouvelle appréhension du sujet ? De faire passer un message ou une opinion d’ordre politique ? C’est pour de tels cas que la liberté d’expression a été érigée en droit fondamental et nul ne saurait imposer un bâillon aux auteurs de tels œuvres.

Ou alors s’agit-il de simplement provoquer ? Le but étant de, au mieux semer la merde, au pire faire se révéler la violence et l’intolérance de l’autre. Ici aussi il y a usage de la liberté d’expression mais on peut penser que tel usage est quelque peu pervers. On s’exprime non pour apporter sa contribution mais pour créer le désordre.

Une provocation peut être une action inscrite dans une stratégie de déstabilisation déployée dans un but bien défini. Il serait alors intéressant de savoir quel est le but stratégique que poursuivent ces provocateurs. Mais elle peut aussi être la production de gens irresponsables, jouant avec le dogme de l’impunité liée à la liberté d’expression et incapables de penser aux conséquences de leurs actes. Et quand on sait que des massacres peuvent en résulter une certaine retenue pourrait être exercée avant de jouer les matamores (voir l’étymologie de ce mot).

La tolérance consiste à accepter l’existence de choses qui nous sont désagréables, c’est une attitude morale volontariste qui n’a rien à voir ni avec la soumission ni avec l’indifférence. Le respect consiste à avoir des égards envers l’autre et à veiller à ce qu’il puisse être, en toute liberté. Le provocateur montre en même temps son intolérance et son manque de respect. Et celui qui se sent provoqué et qui réagit violemment ne donne pas raison au provocateur, il montre que lui aussi manque de tolérance et de respect.


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