Le mot n’est pas une mode mais une engeance. Personne ne comprend comment et pourquoi des individus n’ayant pas d’aptitudes ni de culture particulière se transforment en fanatiques prêt à se sacrifier au nom d’une cause, et à infliger des souffrances à leurs congénères. Tout est dit et raconté à ce sujet, mais rien n’est vraiment compris. À chaque fois c’est l’étonnement effaré. À chaque nouveau mode opératoire vient le blâme de ne pas l’avoir anticipé.
Voyez ce cas :
Ainsi, cet homme simple, scrupuleux presque à l’excès dans la conduite de sa vie, dès l’instant qu’il se voyait engagé dans une entreprise plus grande que lui-même, cessait aussitôt d’être ce major probe que tout le monde connaissait. Au service d’une cause mystique, il ne regardait plus au choix des moyens, il devenait habile, menteur sans aucun doute, et ce simple qui, dans la conduite de ses propres affaires avait montré une naïveté désastreuse devenait un politique sans scrupules, dont le moindre coup était, au départ, de faire une fausse confidence à l’un de ses capitaines, jouant de la fatuité humaine qui saurait lui faire de cet homme un répondant auprès des autres [1].
Aurez-vous reconnu dans cette description le Major Davel, figure patriotique du pays de Vaud qu’il voulut libérer du joug bernois en 1723, mais échoua et se laissa sereinement décapiter à Vidy le 24 avril, date à laquelle les étudiants de la section vaudoise de Zofingue commémorent son sacrifice ? Ces jeunes patriotes savent-ils qu’ils célèbrent un radicalisé de plus ?
Chacun aura, un jour, dû disserter sur le dicton « la fin justifie les moyens », c’est la tarte à la crème de la copie pré-bachelière. On ne se rend pas compte que par le phénomène de radicalisation ce sont aussi de braves gens qui, soudain, se mettent au service d’une cause qui les dépasse et qui, dès lors, perdent littéralement la raison. Il y a de la pathologie individuelle là-dedans, bien sûr, mais aussi une forme d’hystérie collective qui fait que les sens, la perception et le jugement de ces individus en deviennent tellement altérés que plus aucun argument contraire ne les touche. Il y a des terrains favorables pour cela, et l’histoire nous montre que ce sont des phénomènes récurrents qui n’ont jamais trouvé d’autre solution que l’extermination ou la dissolution dans des conflits majeurs. La secte des Assassins les fabriquait et cela continue aujourd’hui sous d’autres formes, les anabaptistes illuminés de la révolte de Munster au 16ème siècles ne purent être réduits à merci que par un massacre, la Terreur révolutionnaire (« qu’un sang impur abreuve nos sillons ») est toujours prête à renaître, les bons petits soldats de la Wehrmacht obéissaient aux ordres, les écologistes fondamentaux sabotent dangereusement les forêts qui vont être abattues ou incendient des laboratoires, occupés ou non. Plus mollement mais très efficacement et de plus en plus affirmée, une censure des médias du mainstream assure que seuls les pseudo-rebelles labellisés clean, green and cool puissent diffuser leurs banalités, on entend même des activistes réclamant une punition pour les climato-sceptiques. De l’intolérance aux questions qui fâchent, la route est courte jusqu’à l’activisme destructeur, ne reconnaissant pas l’humanité chez l’autre tant sa propre cause devient primordiale. Il n’y a pas que des sourates qui fustigent l’apostasie, mais tout un tas de néo-religions, toutes en relation avec l’écologisme, auxquelles il faudrait se soumettre. On préférerait presque l’inquisition ou le consistoire calviniste.
Davel un héros ? Peut-être bien que non dirait un bon Vaudois.
[1] Cité par Metin Arditi dans son Dictionnaire amoureux de la Suisse, lui-même citant Jean-Daniel-Abraham Davel, le patriote sans patrie, par C.-F. Landry.
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