Apologie de l’inaction

Les temps sont bizarres, rien n’est ancré, tout flotte. Pour se donner une raison d’être beaucoup de mes congénères s’accrochent aux histoires qu’ils se racontent, se les répètent tellement qu’elles se transforment en vérité révélées, et finissent non seulement par les croire mais aussi à gloser sur tout ce qu’il faut faire parce que c’est devenu la vérité.  C’est ainsi que les sols sont devenus infertiles, les corps sains malades, et la vie bonne mauvaise. Ce n’est pas vrai mais c’est devenu la vraie vérité.

Il faudrait donc soigner ce monde en déliquescence, il faut faire quelque chose, quelle que soit cette chose, et sans regret. C’est la célèbre philosophie du pragmatisme alémanique : « mir müen öppis mache ! »

Alors, toujours partant de prémisses fausses –ou non avérées ce qui revient au même– on s’empoigne sur les modalités de l’action et des bénéfices à en retirer au détriment des imbéciles, sans plus même considérer la seule bonne alternative : celle de l’inaction.

Prémisse perverse de base, sous-jacente à toutes les autres : la Nature est un équilibre que l’Homme détruit, rendant ainsi insoutenable la vie sur Terre. Preuves alléguées : pollutions, épuisement des sols, atmosphère irrespirable, eaux contaminées, climat déréglé, burn-out généralisé, morts prématurées.

Les âmes vertueuses faisant ces allégations prétendent avoir raison. Donc comme elles sont vertueuses elles ont raison, non ? Tendant à l’absolu elles veulent ignorer les réalités, que le cercle n’est pas carré, ou que l’entropie zéro n’existe que là où aucune vie n’est possible, au zéro absolu.

Eh bien non ! La nature n’est jamais en équilibre, les impacts de l’activité humaine, même irréversibles, ne sont pas des crimes en soi, et il nous est possible de nous maintenir dans un environnement vivable et de bonne qualité. Aucune vie n’est possible sans différences, sans déséquilibre.

Elles se trompent gravement en prétendant que la solution viendrait d’un changement radical du comportement de tous ; de vertueuses elles deviennent coercitives, poussant à d’immanquables totalitarismes bien politiquement corrects. Procuste devient alors un saint. Elles s’offusquent de ces accusations, disant qu’elles ne veulent pas ça. Alors que veulent-elles ? Ce n’est pas à moi de répondre à leur place.

Pour ma part j’en reste à l’apprentissage sur le tas, aux essais et erreurs qui mènent à des étapes de progrès, même accompagnées de régressions passagères. Qu’on ne me comprenne pas mal : je n’ai pas de sympathie pour l’inaction coupable, celle du non sauvetage de la personne en danger, celle du manque de compassion, celle qui nie les réalités.

Mais je préfère l’inaction lorsqu’elle est plus vertueuse que l’action imbécile, ne pas agir plutôt que faire n’importe quoi sans en discerner les conséquences, et m’opposer à l’action lorsqu’elle procède d’un totalitarisme dogmatique. Lorsque rien ne justifie une action, la sagesse recommande de ne pas entrer en matière, de se satisfaire de la tranquillité.


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1 thought on “Apologie de l’inaction”

  1. « En politique, ce qui est cru devient plus important que ce qui est vrai. » (de Talleyrand). Rien n’a changé depuis ces temps non-démocratiques…

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