Il n’y a pas de politique possible sans populisme. Alors pourquoi s’en plaint-on ?
Sans revenir sur les différents degrés avec lesquels le populisme peut s’exprimer, allant de l’argumentation bien ciblée à la propagande démagogique (voir ce test en douze critères), il se fera sous divers manteaux selon les publics auxquels il s’adresse.
Les formes les plus crasses sont utilisées par des extrémistes afin de stimuler des sympathisants d’ores et déjà acquis à la cause, ou proches de l’être. On dénoncera les koulaks ou les juifs, le système sera systématiquement vilipendé : cela plaira, mais gagnera-t-on ainsi de nouveaux sympathisants ? Ce n’est pas certain, quoique la répétition soit payante.
Lors de campagnes électorales des manifestations monstres sont organisées lors desquelles s’exercent toutes les astuces populistes. Mais l’énorme majorité des participants n’a plus à être convaincue, ils se sont rendus à une forme de culte pour se sentir appartenir à un groupe, pour se réconforter. Je ne veux pas pour autant dire que ces meetings ne sont faits que de populisme ; des positions sont présentées et argumentées qui renforceront l’opinion des adeptes et leur donneront de quoi transmettre les messages.
Pour gagner l’adhésion de l’indécis c’est une autre affaire. Et plus généralement pour « vendre » une idée ou un projet il est possible, voire nécessaire, de pratiquer un peu de populisme. Aux raisonnables suffisent des arguments bien construits et bien présentés ; mais ils ne comptent pas face aux masses à convaincre, à rassurer ou à déstabiliser.
Alors le populisme doit s’adresser au centre [1], au ventre mou de la société. Partant du principe, cynique je le concède, qu’Homo vulgaris entend mais n’écoute pas, voit mais ne lit pas, qu’elle ou il n’a pas d’opinion sauf celle de ses congénères, et que le marketing a toujours une certaine efficacité, il s’agit alors d’user de moyens astucieux pour gagner ces masses à sa cause, ne serait-ce que pour l’instant d’un vote.
Rappelons-nous la campagne sur l’immigration de début 2014. Remportée par seulement 50,3% des voix il faut bien se dire que ce ne sont pas les fondamentalistes de la question qui ont fait la différence, mais bien ceux qui, comme la dernière goutte fait déborder le vase [2], ont été attirés par des sirènes ; ou alors ils auront été repoussés par des épouvantails, forme symétriquement inverse du populisme. Quelques milliers ont suffi, et pour cela il n’est pas nécessaire d’avoir raison ou de prouver quoi que ce soit, mais, au bon moment, de presser sur les boutons qui fonctionnent. Le seul moyen de s’y opposer est d’asséner le même type de coups, afin qu’ils touchent mieux la cible.
On appellera « Popoff », le populisme officiel pratiqué par l’administration et le gouvernement. Cela est beaucoup plus répandu que l’on veut croire, c’est même la raison d’être de >99% des centaines de conseillers en communication employés dans la Berne fédérale et de leurs consultants extérieurs. Comme Monsieur Jourdain avec la prose, Popoff ne sait pas qu’il pratique abondement la chose, ou alors il ferme bien fort ses yeux et se pince le nez. Cette désinformation est nourrie par des mensonges, jamais direct mais surtout par omission et dissimulation. Un exemple frappant est la promotion de la stratégie énergétique du Conseil fédéral pour laquelle même un budget de 50 millions de francs a été alloué. Les techniques Popoff sont d’autant plus nécessaires que le projet et inconsistant et n’a pas de sens, qu’il n’est accompagné d’aucun plan et qu’il mise sur un avenir radieux pour rendre le futur joli. Tout ce qui est proposé devient alors renouvelable et durable (une contradiction, mais la logique ne compte pas dans l’émotionnel popoffieux), le sens moral à sauver la planète est mis en avant, même si elle ne court aucun danger, les peurs sont soigneusement cultivées (Fukushima quand tu nous tiens) même si elles ne concernent pas notre situation.
Autre sujet de préoccupation : la relation avec l’Union Européenne. Là c’est plutôt par la pratique du silence et de l’alarme à l’indisposition du bailli bruxellois qu’un état de besoin se prépare sournoisement : rendez-vous compte, on pourrait ne pas être au rendez-vous ! Et si aucun rendez-vous n’était nécessaire, et si l’UE avait d’autres chats à fouetter, et si au sein même de l’union il n’y avait pas d’unité, et si un accord vraiment « at arm’s length » était possible, n’en déplaise aux fonctionnaires bernois et de l’UE ? Dans ce pré-conditionnement il semble que, après qu’on aura négocié, bien ou mal impossible de le savoir, l’objectif soit d’arriver à l’argument massue : Popoff déclarera qu’il n’y a pas d’alternative.
Dans bien de ces cas une sorte de collusion objective s’établit entre les médias, détenteurs de l’opinion publiée, et Popoff afin de formater l’opinion publique. Ce n’est pas de la propagande et de la désinformation organisée, comme au temps du Komintern, c’est presque pire car c’est insidieusement organique. Débusquer cela est techniquement impossible, le dénoncer suscite une riposte immédiate ornée des oripeaux de la vertu blessée.
À cela il faut donc opposer des contre-pouvoirs qui ne se trouveront pas dans les médias officiels (radio, télé) ni dans les grandes maisons de presse qui pratiquent un suivisme de bon aloi. Selon les sujets ce sont les partis politiques qui jouent ce rôle, mais ils le font de moins en moins, minés qu’ils sont par des divergences internes comme on l’a vu avec le PLR/FDP et la loi sur l’énergie ou le PS/SP pour la réforme de la fiscalité des entreprises. Maintenant appelés « issus de la société civile », des groupes d’intérêt peuvent mieux s’exprimer dans un régime de démocratie directe avec des plateformes offertes par internet qui les dynamisent, pour le meilleur ou pour le pire car ces groupes sont très enclins au sectarisme absolu, trop aptes à l’action et inaptes à la raison ; des populistes potentiellement extrêmes donc, mais multiples. En démocratie représentative c’est bien plus limité : il n’y a que la protestation, pétitions et manifestations de rue, plus aptes à la catharsis qu’à la résolution des problèmes.
On en appelle alors à l’éducation, se promettant que les jeunes générations ne vieilliront pas aussi stupidement que les précédentes. Vœux pieu et renouvelable à l’infini ! Il reste les outils de toujours : pour le moyen et long terme la promotion de la raison et le démontage des mécanismes d’hystérie collective ; et, au coup par coup, la guérilla pour démonter, moquer et déstabiliser les Popoffs et autres populismes déstabilisateurs.
Sachons aussi que sitôt arrivé au pouvoir, le populiste s’empresse de se popoffiser, ou pire, cesse de l’être pour passer à l’autoritarisme ou à la dictature. C’est là son grand et immédiat danger. Même si à la longue les populismes n’ont aucune chance, d’ici que celui-ci ou celui-là disparaisse il peut laisser des traces de bien de corps et esprits brisés ; douze ans de nazisme ou septante ans de communisme soviétique c’est vraiment trop. Le principe de précaution exige de n’accorder aucune caution à ces démagogies.
[1] Que Hans Rentsch soit remercié pour avoir inspiré ce billet par ce concept de populisme au centre.
[2] Problème de physique quantique : est-ce la dernière ou la première goutte qui fait déborder le vase ?
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