Erreur, trahison ou égoïsme: les riches mis en question

Les extra- et super-riches sont-ils tous des salauds, à l’exemple de Bilon Musgate dont les actions philanthropiques ou médiatiques sont à la mesure de son égo surdimensionné ? C’est un peu populiste de poser cette question qui semblerait accréditer les courageuses élucubrations des collectivistes de service qui préfèrent l’anéantissement des richesses à leur production. Ces riches se donneraient donc bonne conscience en se montrant soucieux du climat, de la biodiversité, des opprimées, que sait-on encore ; sont-ils sincèrement philanthropes et écophiles ?

Bilon a décidé d’électrifier ses transports. Il fait construire des usines à Tesla dans le tiers-monde chinois ou européen et il commandera dès que possible un avion hybride électrique-hydrogène pour continuer de sillonner et sermonner le Monde. Il s’est même réservé quelques mètres cubes de séquestration carbonée qu’une usine islandaise devra enfouir jusqu’aux enfers. Ses fusées devront également ne laisser aucune trace dans l’espace interplanétaire et aucune flatulence nocive dans l’atmosphère, les vaccins et les moustiquaires qu’il fait distribuer non plus.

Se croit-il humaniste, transhumaniste même, en avance sur son temps ? si c’est le cas il se goure, se comporte en égoïste, voire en traître.

En fait, rien n’est prêt pour produire du décarboné-net et du propre-sûr, pas d’énergie, produit ou service qui ne dépendrait pas des combustibles fossiles. Bilon prétend pourtant réduire son empreinte carbone de plusieurs centaines de tonnes et tous autres impacts aussi, sauf son influence politique. Si c’est vrai c’est admirable car peu de gens sont capables de cela, mais cela peut aussi se révéler abominable. Il faut aussi comprendre que pour être en mesure d’économiser beaucoup il faut d’abord être un gros consommateur ; cela ne concerne donc pas les pauvres qui sont déjà des fourmis économes par nécessité.

Pour se rendre à son aéroport, sa Tesla parcourra 3 miles par kWh, peu importe d’où proviennent ces kWh au moment où il les a prélevés au réseau ; pour voler jusqu’au prochain continent il aura besoin d’environ 25 000 kWh utiles auxquels s’ajoutent les pertes qui y sont associées, et pour effectuer sa mission apostolique il sera la cause de cortèges et de manifestations consommant quelques MWh de plus. Des certificats seront établis pour célébrer les tonnes de carbone qu’il n’aura pas émises, similaires aux indulgences décriées par Martin Luther en 1517. Il se montre donc comme un citoyen modèle, philanthrope et protecteur de l’environnement.

Mais est-ce vrai ? Peut-on être ce que l’on ne fait pas ? par exemple ne pas émettre du CO2, ne pas consommer. Cette grande question philosophique dépasse mes compétences mais il faut néanmoins la soulever. Il faudrait que, grâce à la discrimination anti-carbone ou anti-pollution que Bilon opère à son avantage, les émissions de la planète diminuent, réduisant ainsi les risques planétaires. Qu’il voyage, pète, rote ou désinforme sur internet, cela ne change pourtant rien à la production mondiale d’énergie qui reste approvisionnée à 88,7 % par des carburants fossiles, alors que ce taux ne diminue que de 0,27 % par an. Certes, il consommera du décarboné, mais il le fera en se servant le premier, parce qu’il peut se le payer. Et il laissera le vulgum pecus se débrouiller avec les ressources fossiles qui restent à disposition. Il en va de même avec la séquestration du carbone, qui est si anecdotique et si coûteuse qu’elle ne mérite que de servir de comptine symbolique. Pire, Bilon contribue à la consommation de ressources de plus en plus sophistiquées dont l’extraction et la production sont déléguées à des gueux devant se débrouiller avec les moyens qu’ils peuvent se payer, c’est-à-dire pas grand-chose et pas trop propre.

Les bons points qu’il acquiert ne sont plus disponibles aux autres. Du moins, à l’époque de Luther, l’Église ne limitait pas le stock d’indulgences à mettre en vente ; cette ressource était infinie et chacun pouvait en acquérir selon les critères du prêtre qui les vendait, ce qui était plus franc et clair qu’une évaluation ESG teintée de DEI[1]. Aujourd’hui, cette égoïsme évident contribue à nous éblouir par l’illusion d’un acte salvateur ; seul un traître œuvre ainsi dans son propre pays.

En fait, ce comportement n’est pas l’apanage de quelques individus ne sachant plus que faire de leurs richesses. Les pays développés du Nord, aussi appelé l’Ouest, et leurs vastes classes moyennes font exactement de même, et pire si l’on considère l’augmentation de l’endettement public que cela entraîne afin de pouvoir compenser la spoliation des uns par l’attribution de subsides à d’autres.

Est-ce responsable de construire des véhicules électriques et des pompes à chaleur en grandes séries, d’en faire la propagande, de subventionner leurs usagers et de se clamer sauveur de la planète alors que, carbonée ou décarbonée, l’électricité supplémentaire nécessaire ne sera pas disponible avant longtemps ? Ça n’a pas de sens mais cette promotion par le mensonge donne une illusion de bonne conscience que, heureusement pour eux, les démunis ne peuvent s’offrir.

Fondé sur l’ignorance des vrais enjeux et mettant la charrue devant les bœufs, cet activisme prétend à la salvation de la planète qui n’en a pourtant pas besoin. En fin de compte, cela s’avérera contre-productif ou pire, comme c’est la destinée de toute idéologie. Les pénuries programmées qui en résulteront ne feront qu’exacerber les divergences Nord-Sud ; on sait déjà que les fameuses COP ne se réunissent plus pour s’occuper du climat mais des intérêts de boutiquiers au billion facile pour profiter de politiques de soi-disant urgence globale. Certains gouvernements s’engagent en dépit du bon sens et de leurs intérêts à long terme ; c’est le cas du Conseil fédéral helvétique soutenu par une faible majorité des citoyens. D’autres ont suffisamment de cynisme pour faire semblant de s’y engager afin de ne pas renoncer aux affaires juteuses dont ils pourront profiter. Et l’occasion est bonne pour le Sud de mettre en demeure le Nord de payer la note, ce qu’il fera par peur ou par esprit d’une culpabilité soigneusement entretenue par des inquisiteurs woke et verts, autres traîtres bien déguisés en porteurs de bonne parole rédemptrice.

En bien des choses, des entrepreneurs à la Bilon Musgate ouvrent des voies nouvelles et montrent le chemin, souvent avec du progrès à la clé. Si par des actes philanthropiques ils renvoient un peu l’ascenseur, c’est tant mieux. Cependant, en matière de philosophie environnementale et de politique climatique, sauf contribuer à de grandes percées scientifiques ou techniques (breakthrough), il serait préférable qu’ils s’abstiennent d’intervenir, car cela ne profite à rien ni à personne, pas même à eux-mêmes.


[1]     Environment – Social – Governance ainsi que Diversity – Equality – Inclusion.
Traduire ces expressions est inutile et oiseux car leur signification dépend de ce que l’on veut y mettre.
Voir mon essai : « La grande illusion du sauvetage de la planète par une remise à zéro »


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5 thoughts on “Erreur, trahison ou égoïsme: les riches mis en question”

  1. « S’ILS N’ONT PAS DE PAIN, QU’ILS MANGENT DE LA BRIOCHE » MARIE-ANTOINETTE, 1789.

    Une foule mécontente et affamée marche sur Versailles : Confrontée à la souffrance des malheureux, la reine de France aurait suggéré cette proposition choquante.

  2. Diese Betrachtung gilt für viele im Norden (oder Westen) – ich würde sie nicht so stark an Bilon Musgate « aufhängen », weil diese einen Touch von Neidökonomie durchschimmern lässt. Bilon Musgate ist aber in der Tat durch philanthropische Taten reich geworden beziehungsweise durch egoistische Taten mit philanthropischer Wirkung – ganz im Sinne von Adam Smith.

  3. Magnifique billet une fois de plus. Concernant les plus aisés de la classe moyenne, celles et ceux qui frisent avec la véritable richesse matérielle j’avais lu un article sur ce qu’on appelle “les croyances de luxe”. Pour résumer R. Henderson, qui a inventé le terme de « croyances de luxe », les définit comme « des idées et des opinions qui confèrent un statut aux riches à très peu de frais, tout en faisant des ravages sur les classes inférieures ». Pour lui, il s’agissait d’une mise à jour de la théorie centenaire relative à « la consommation ostentatoire » proposée par le sociologue Thorstein Veblen. Veblen dépeint ironiquement une « classe de loisirs », superficielle et matérialiste obsédée par les vêtements, les voitures, les biens de consommation, et la montée dans l’échelle sociale. Mais aujourd’hui, selon Henderson, « parce que les biens matériels envoient un signal totalement bruité de la position sociale et des ressources économiques de l’individu, les riches ont découplé le statut social des biens et l’ont rattaché aux croyances ». Cette analyse pertinente à mon sens s’applique d’autant plus efficacement à des sociétés opulentes.

    Du fait de la croissance économique rapide des quatre-vingts dernières années, et suite au succès de l’économie moderne de marché, les biens matériels sont devenus relativement moins chers et une plus grande richesse a été accordée à une masse très large de la population. Par conséquent, l’affichage d’une attitude vertueuse et les croyances de luxe se sont mises à dominer le comportement de l’élite, renvoyant la consommation accrue de biens et de services à un rôle moindre, voire à une dépréciation ou un vice – l’appel à la fameuse « décroissance », la ridicule « sobriété », ou encore le « véganisme ». La valeur morale d’une personne aujourd’hui se rattache donc à ses croyances de luxe, dont la « lutte contre le changement climatique » couronne cette attitude quasi-religieuse. Alors que les riches peuvent conduire leurs Tesla parfaitement « propres », les gens ordinaires doivent s’efforcer au vélo et à la marche à pieds, ou s’entasser dans les transports en commun, dans ce nouveau monde promis comme étant le plus vertueux de tous les mondes possibles.
    Encore merci !

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