L’agriculture a domestiqué les hommes depuis plus de 12 000 ans en les attachant à un territoire devenu patrimoine. Elle a permis à l’humanité de s’alimenter et d’atteindre aujourd’hui les 8 milliards d’habitants. Rien ne s’est montré plus durable. Et ça doit continuer.
Le développement de l’agriculture a reposé sur celui de surfaces agricoles, dont la biodiversité fut réduite afin de faire place à la production désirée – denrées alimentaires, pâtures, fourrages, fibres, élevage. Ce tout premier impact environnemental est essentiel, bien que remis en cause par des écologistes radicaux qui rejettent tout arbitrage entre les risques qu’entraîne la production agricole et ceux -potentiellement plus graves- de ne pas produire assez ou de le faire mal. En 1966, Jacques Dutronc chantait « 700 millions de Chinois, et moi et moi et moi », ils sont le double aujourd’hui. Les « 900 millions de crève la faim » de la chanson sont restés à peu près au même nombre bien qu’en plus faible proportion de la population totale, selon les données de la FAO. Ce grand défi ne doit pas être oublié.
L’exploitation des sols, la nutrition des plantes et des animaux, la protection contre les mauvaises herbes, les insectes ravageurs et les maladies, tous ces traitements peuvent entraîner des effets secondaires. Mais aussi, ne pas administrer ces traitements entraîne d’autres risques non négligeables concernant la santé des gens, qu’ils soient exposés à des poisons naturels ou artificiels, celle de l’environnement exposé à diverses pollutions, et aussi le bien-être des animaux d’élevage.
Une agriculture productive ne s’oppose pas nécessairement à la préservation de la santé et de l’environnement. A l’aune des connaissances scientifiques, le discours en vogue qui associe agriculture moderne et empoisonnement généralisé des populations, apparaît infondé : l’usage des techniques modernes dans l’agriculture est associé à un haut niveau de sûreté – du moins en Europe-, qui a vocation à être maintenu, développé et déployé plus largement dans le monde. Le maintien d’une productivité élevée dans nos cultures est aussi un luxe, qui autorise la préservation de terres dédiées à la conservation de la biodiversité.
Le scandale de la faim et de la malnutrition n’est pas la conséquence des défauts de production agricole, tant l’agriculture moderne est en mesure de fournir les quantités nécessaires à l’ensemble de l’Humanité. La malnutrition est plutôt liée aux conditions socio-politiques des pays concernés, avec une dépendance de l’aide humanitaire.
Il est nécessaire d’assurer l’approvisionnement d’une population qui, non seulement augmente, mais devient de plus en plus urbaine, passant de 34 % en 1960 à 57 % aujourd’hui (en France, de 62 % à 81%). Le mythe d’une production de proximité se heurte quant à lui à une réalité logistique : une métropole de plusieurs millions d’habitants n’est nourrie ni par des cultures vivrières, ni par des bacs à fleurs modifiés pour la permaculture. Il n’est pas non plus question de faire marche arrière, c’est-à-dire, comme le proposait Alphonse Allais, de construire les villes à la campagne.
Les appels à la sobriété sont à la mode, comme si le monde entier avait le luxe de restreindre sa consommation. Notre espèce omnivore n’est pas non plus prête à devenir ruminante et végane ; période Covid-19 exceptée, la demande croissante en protéines animales doit donc aussi être satisfaite. Il est ainsi illusoire de penser un découplage entre la croissance démographique et celle de la production des denrées alimentaires, les deux étant intimement liées.
Le défi est donc de produire plus et mieux, tout en tenant compte des changements climatiques à venir. Son succès sera conditionné à la combinaison vertueuse de trois voies principales : la conservation des sols incluant la séquestration du carbone, la précision et l’efficacité des traitements et l’adaptation variétale. Ces pistes font l’objet de toutes les convoitises, tant de la part de Syngenta et son plan Good Growth que de ses concurrents majeurs, pour qui telles approches sont des pistes sérieuses depuis plusieurs décennies.
Une agriculture régénérative, aussi appelée de conservation des sols, permet d’y établir et d’y maintenir un haut niveau d’activité biologique et, par extension, leur teneur en carbone organique. C’est l’un des aspects de la conservation de la biodiversité que de régénérer celle du sol cultivé, ses insectes, lombrics et autres microorganismes. La vigueur et la résistance au stress des cultures est ainsi améliorée. Par une rotation des cultures appropriée, comprenant des légumineuses qui fixent de l’azote près de leurs racines -un nutriment essentiel- et en conservant continument une couverture végétale, le sol n’a plus à subir de dégradations répétitives comme celles dues au labour et à l’érosion. Il faut pour cela accepter l’emploi d’herbicides plutôt que celui de la charrue, alors qu’en revanche d’autres traitements ne sont plus nécessaires. Dans un sol qui aura été épuisé, il est possible de reconstituer sa matière organique mais aussi de fixer à long terme du CO2 venant de l’atmosphère. Ce potentiel de séquestration du carbone n’est pas illimité mais permet, pour de longues années à venir, de contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre dont le secteur agricole est la source.
L’agriculture de précision aspire à optimiser la nutrition et la protection des plantes et des animaux, ce qui réduit les gaspillages et des expositions inutiles à des substances dont le but est d’être toxique pour les adventices et les ravageurs. Les pollutions associées à des épandages trop généreux d’engrais ou de pesticides sont ainsi évitées et les denrées produites restent libres de résidus nocifs. Cette agriculture bien raisonnée est rendue possible par un traitement de l’information concernant le champ, la culture, la météorologie et les espèces environnantes ainsi qu’un asservissement des machines agricoles à des dispositifs de mesures et contrôles précis. Cela rend aussi possible d’effectuer un suivi complet, du travail des champs et des étables jusqu’au rayon de l’épicerie.
Le troisième volet est celui de la biologie et des biotechnologies. C’est en comprenant mieux les interactions entre les plantes, les nutriments et les organismes vivants, nuisibles ou bénéfiques, que des stratégies d’optimisation et de contrôle peuvent être améliorées. Par exemple, une symbiose s’établit entre un champignon mycorhize et les racines d’un plant de tomate, d’un melon ou d’un brin de blé, ce qui lui permet de mieux accéder aux nutriments et à l’eau contenus dans le sol et aussi d’éviter que d’autres champignons, nuisibles ceux-ci, ne puissent envahir ses racines. Les besoins d’engrais, d’irrigation et de traitements phytosanitaires sont alors réduits tout en assurant une récolte plus abondante et plus saine. Une foison de nouveaux pesticides et de stimulants, particulièrement d’origine biologique, sont maintenant offerts aux agriculteurs. De plus, les nouvelles techniques d’édition de gène ouvrent des portes au développement de variétés encore mieux adaptées à l’environnement. L’agriculture régénérative est bien positionnée pour mettre à profit ces innovations.
La biotechnologie joue aussi son rôle depuis une trentaine d’années. Des organismes génétiquement modifiés incorporent des traits qui les rendent résistants à certains herbicides, dont le fameux glyphosate, ou qui confèrent à la plante une toxicité spécifique contre les chenilles qui s’en nourrissent. Des OGM sont maintenant cultivés sur 190 millions d’hectares de soja, maïs, coton et colza, ainsi qu’une aubergine résistante aux insectes et le « riz doré » qui synthétise du bêta-carotène, précurseur de la vitamine A. Rien de ça en France où l’opposition aux OGM n’a rien de rationnel.
Nouvelle biotechnologie, pour l’une desquelles, CRISPR-Cas9, le prix Nobel de chimie a été attribué à l’Américaine Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier en 2020, l’édition de gène rend maintenant possible d’accélérer et de mieux cibler le développement de nouvelles variétés de plantes, ce qui jusqu’à maintenant se fait au hasard par des mutations forcées à l’aide de substances chimiques ou de rayonnement ionisant. Les variétés ainsi obtenues sont adaptées à des conditions climatiques changeantes, par exemple, plus tolérantes au stress hydrique ou à de hautes températures. D’autres traits de résistance aux maladies ou d’améliorations nutritionnelles peuvent aussi être sélectionnés. Encore à ses débuts c’est un champ ouvert à d’importants développements, aussi en Europe si la régulation ne les inhibe pas.
Faite de pratiques fondées sur l’observation et l’expérience, l’agriculture tire encore et toujours profit des connaissances scientifiques et de développements technologiques qui la rendent véritablement high-tech. C’est triple gagnant pour l’environnement, la biodiversité et l’agriculteur dont les exigences ne sont pas contradictoires et ne présentent pas un trilemme insoluble.
Version longue d’un article publié dans LA TRIBUNE
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