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La Suisse, mythes, réalités, limites

La Suisse, mythes, réalités, limites

Dans une série de deux articles dans son Antipresse[1], Slobodan Despot décrit la Suisse, son histoire, ses mythes et son destin, de manière cruelle mais assez juste. Son analyse sociologique, spirituelle et politique doit cependant être complétée par quelques aspects démographiques et économiques qui expliquent aussi comment ce pays s’est forgé et de quoi il est fait.

La Suisse est terre d’asile depuis bien longtemps, dès le 16ème siècle pour abriter des protestants persécutés et, plus tard, des savants et quelques révolutionnaires aussi. Ces immigrés ont apporté des savoir-faire inédits – horlogerie, chimie, etc. C’est aussi en Suisse que des humanistes ont trouvé des imprimeries pour des ouvrages qu’ils n’auraient pas pu publier dans leurs monarchies. Cependant, le pays était d’une extrême pauvreté, à l’exception des grandes villes – Genève, Zurich et Bâle. Cette terre de misère fabriquait des mercenaires et des émigrés partant en Amérique du Nord et du Sud, et en Russie. Les migrations internes furent aussi intenses, depuis les vallées pauvres vers des cluster industriels en formation ayant des besoins de main d’œuvre et d’infrastructures : horlogerie, machines, mécanique de précision, électrotechnique, textile, chimie. Au cours du 19ème siècle, l’émigration concernait jusqu’à un Suisse sur six, de misère dans la première moitié et de plus en plus qualifiée ensuite. Vers 1880, 15 % des Suisses vivaient à l’étranger (et beaucoup d’émigrés n’étaient déjà plus suisses, sans qu’on en connaisse le nombre) alors que la population étrangère était de 3 à 4 % du total de 3,1 millions, quoique bien plus forte à Genève et à Bâle. Les flux se sont ensuite renversés et l’immigration a véritablement explosé depuis le milieu du 20ème siècle. Aujourd’hui, parmi ses 9,1 millions d’habitants, 27 % sont de nationalité étrangère et 40% environ ont une ascendance liée à l’immigration. De plus, 830’000 Suisses – un sur neuf, dont beaucoup de binationaux – vivent à l’étranger, dont les deux tiers en Europe.

Cette inflation démographique ne s’est pas traduite en points de fixation ethnique comme c’est le cas dans les grands pays d’Europe, mais plutôt par percolation dans l’entier d’un territoire fait de quatre régions linguistiques. La grande diversité des origines et du statut professionnel a aussi permis une meilleure intégration.

L’ouverture au Monde est manifeste ; décrire une Suisse qui serait « en retard » sur tout et recroquevillée sur elle-même tient du mythe malveillant.

Cette croissance démographique ne s’est pas non plus faite au détriment du revenu des autochtones ; sauf de courtes et faibles encoches lors de crises, le PIB par habitant n’a pas cessé de croître.

La seule ressource naturelle d’importance dont jouit la Suisse est la capacité de ses montagnes et vallées de capter la pluie et la neige. Sinon, quelques pâturages, champs et vignes bien orientées ne permettent pas à ses neuf millions d’habitants de se nourrir, bien que pour s’enivrer, sa production puisse suffire.

Alors que les puissances européennes étaient occupées à étendre leurs empires coloniaux, la Suisse est restée un réduit, au point même que ce mot est devenu une stratégie militaire lors de la deuxième guerre mondiale. Elle l’est encore, et toujours sans accès à la mer (il eût fallu annexer la Savoie de Turin à Nice), sans colonies ni richesses naturelles la rendant complaisante avec elle-même. Ses généraux n’ont fait massacrer personne et ses soldats ne portent aucune médaille célébrant des honneurs bien tristes.

Il paraît paradoxal que ce manque de ressources et de puissance soit néanmoins une source de richesse.

Presque toute la vie économique du pays dépend de son commerce extérieur. Des talents commerciaux et logistiques se sont établis dans les voies de communication au travers du Rhin et des Alpes, puis dans des réseaux construits par une industrie d’exportation qui investit aussi directement et fortement à l’étranger. Au contraire de bien d’autres, ces réseaux multinationaux n’ont rien d’impérial. Cela a aussi contribué à développer un secteur financier – banques et assurances – qui est hypertrophié. Autre dépendance de l’étranger, le tourisme n’est pas de masse mais plutôt de luxe. Du point de vue de la stratégie politique, disposer d’une neutralité armée reconnue et être le dépositaire des traités réglant la paix et les secours humanitaires dans le monde contribuent aussi à renforcer la confiance.

La prospérité économique et financière a pour résultat une constante surévaluation de la monnaie, comme le montre la position de pointe au fameux Big Mac Index. Pourtant, cela ne précipite pas de déroute, bien au contraire. Cela rend indispensable de développer des stratégies d’amélioration de la compétitivité. Et ces avantages compétitifs ne se trouvent ni dans des activités de bas niveau technologique ni dans des subventionnements d’industries en perdition.  Ce dernier quart de siècle est exemplaire : en 2000 le dollar américain valait 1,70 Fr et l’euro 1,60 Fr. À ce jour ces taux sont de 0,79 et 0,93 Fr. Imaginerait-on une entreprise française ou britannique survivre face à telle adversité ? C’est par la véritable innovation que cette compétitivité ne cesse de se manifester, celle qui concerne la science, les technologies, les produits et leurs processus de fabrication, mais aussi le sens de l’organisations et la formation professionnelle. La « paix du travail » qui fut instaurée en 1937 a éliminé les stériles affrontements de classes et assuré à tous de participer au développement de la prospérité et de jouir de ses effets. Dans tous ces domaines, la part de l’entreprise privée y est prépondérante.

Des marchés extérieurs ne donnant aucun répit obligent à ne jamais stagner ni être complaisant. C’est devenu une compétence spéciale de ce réduit suisse que de savoir répondre à ces défis. Mais cela ne nous est pas donné naturellement et en exclusivité.

Le ciment qui assemble notre pays est peu explicable. Il est facile d’en énumérer les composantes – géographiques, linguistiques, religieuses, traditionnelles, formatrices, technologiques et scientifiques, sociales, économiques, créatrices, démocratiques, etc. – mais il est encore plus facile de les désassembler que de les agréger. Supprimer l’enseignement prioritaire du français dans certains cantons alémaniques est une trahison qu’aucun canton romand n’a l’intention de commettre pour l’allemand, malgré une détestation assez générale du schwyzerdütsch. Tenir en anglais des réunions entre Suisses est une aberration, sinon un signe d’analphabétisme grave. Ce sont aussi des trahisons que commet notre Conseil fédéral en obéissant aux ordres venus d’ailleurs – Washington, Londres, Paris, Berlin, Bruxelles, à quand Pékin ? – pour sanctionner l’une des parties d’un conflit dans le monde, organiser des conférences partisanes (Bürgenstock), sceller des alliances militaires allant au-delà des bonnes relations de voisinage (membre du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) de l’OTAN), ou parapher des accords léonins et inacceptables (paquet UE). L’obéissance par anticipation (vorauseilender Gehorsam) est presque un vice national, révélateur de manques : d’imagination, d’arguments, de force, de confiance en soi. Les polarisations politiques qui énervent le Monde actuel nous touchent aussi, même si notre régime démocratique et confédéral devrait nous en prévenir.

Si les pierres se détachent du mur, il faut entreprendre de l’assainir, refaire du ciment, et savoir pourquoi.

Le plus grand défi actuel est de ne pas oublier tout cela, de ne pas s’arroger des qualités qui seraient immuables, de ne pas être arrogant, de ne pas réaliser que les partenaires et les concurrents deviennent meilleurs. Il faut savoir que notre modèle si particulier ne permet pas de croire que la richesse nous soit due et nous autorise à la démesure, au gaspillage et à la négligence. Il faut aussi agir plus en souverain qui affirme son existence et ses prérogatives, même si c’est cher, qu’en boutiquier qui se plie aux diktats étrangers afin de préserver quelque éphémère picaillon.

« Un peuple heureux n’a pas d’histoire » ; cet aphorisme n’est pas valable. L’histoire de la Suisse ne brille en rien, ni trop tragique ni trop glorieuse, elle vaut pourtant la peine d’être continuée en toute indépendance et en bonne relation avec tous les autres peuples.


[1] Slobodan Despot : « La Suisse ou le pivot du monde (1) » | Le Bruit du Temps
Slobodan Despot : « La Suisse ou le pivot du monde (2) » | Le Bruit du Temps


Article publiés dans ANTIPRESSE 512 | 21.9.2025 (pour abonnés)


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