Électricité : la transition de trop surpassée par le marché

D’ironie en ironie les politiques climato-énergétiques se révèlent n’être faites que pour le beau temps.

En Europe, les prix du marché spot de l’électricité ont atteint des niveaux incroyables – de l’ordre de 45 centimes par kWh[1] – et ne cessent de monter. Pourtant la structure de ce secteur n’a pas changé, sauf la fermeture idiote de centrales nucléaires[2] dont les conséquences se font maintenant sentir alors que la situation de l’approvisionnement est tendue. Car la tension est bien montée.

Expliquer et comprendre ne signifie pas que l’on approuve, essayons donc. Un marché spot n’a pas pour but d’assurer un approvisionnement mais d’y trouver un juste prix entre producteurs et distributeurs. La justesse d’un prix n’a aucune vérité absolue, elle est donnée lorsque des transactions sont effectuées par des partenaires librement consentants. Ce marché ne concerne d’ailleurs qu’environ un tiers de la consommation, avec une multiplicité des transactions qui fait que le même kWh puisse être vendu et revendu plusieurs fois. Cela ne concernera donc qu’une part moins importante de la production. Les autres quantités font l’objet de contrat de plus longue durée qui assurent une certaine stabilité des prix et de l’usage des centrales ; il peut aussi s’agir de producteurs qui sont simultanément des distributeurs, donc leur propre fournisseur.

En plein été l’abondance d’irradiation solaire fait que les panneaux photovoltaïques (PV) produisent temporairement plus que ce que la demande ne peut absorber, le prix spot s’ajuste à des valeurs négatives ; il faut ou bien payer pour se débarrasser de sa production ou se déconnecter du réseau. Bien qu’il soit possible de stocker ce courant excédentaire, ce n’est que théorique car les capacités de charge et de stockage sont très faibles et ne sauraient écrêter qu’une très faible part de la production, et ce seulement pour quelques heures ou jours.

La situation hivernale est différente, avec un PV qui ne fait pas des lumières. Si, pour quelques jours, les vents sont calmés et si quelques centrales nucléaires sont en période de révision il faut alors assurer l’approvisionnement par des importations provenant de centrales thermiques au charbon ou au gaz. C’était bon marché et efficace et ça ne l’est plus depuis le milieu de cette année, car les prix explosent et il y a un manque conjoncturel.

La brusque reprise économique en 2021 est accompagnée de toutes sortes de pénuries car les stocks manquent pour la nourrir et ne se reconstitueront que lentement. Les jeux de l’OPEP et autres gros producteurs ont fait que le prix du pétrole a atteint 85 US$ par baril pour redescendre vers 70 US$/bl. Le gaz a suivi une tendance similaire, mais, à fin novembre, alors que son prix aux USA se calmait, il explosait en Europe.

Cela coïncide avec l’annonce que le nouveau gazoduc Nord Stream 2 ne sera pas mis en service avant des mois ou des années, un blocage politique de la nouvelle coalition allemande. C’est donc la crainte du manque qui se manifeste nerveusement, ce qui donne une occasion de plus de blâmer Vladimir Poutine et ses intimidations à la frontière ukrainienne, là où se trouve un gros robinet du gaz pour l’Europe.

Détail technique : passer des 180 EUR/MWh thermiques du gaz aux 450 EUR/MWh électriques s’explique par le rendement énergétique des centrales thermiques, allemandes ou polonaises.

L’ironie dans cette histoire n’est pas dans ces laborieux mais nécessaires éclaircissements. Elle se trouve d’abord dans le court-circuitage des schémas de taxation directe du carbone ou de la mise à l’encan de certificats d’indulgence pour émissions carbonées. Cette punition prônée par les « économistes du climat » n’a joué aucun rôle dans la fixation des prix. C’est le marché qui montre son fonctionnement réel et dont la main est passablement agitée.

Ensuite, alors que le courant électrique est considéré comme un bien homogène, on devrait s’attendre à ce que son prix soit celui du mode de production dont les coûts d’opportunité sont les moindres (merit order), donc de l’éolien ou du PV. À l’évidence, cela ne fonctionne pas ainsi ! En période de pénurie, c’est la disponibilité du bien qui compte et, dans le cas présent c’est le moyen le plus coûteux qui fixe le prix car c’est le seul disponible. C’est même la peur de la pénurie qui impose ce choix-là et qui initie un cercle vicieux d’extrême inflation du prix de la matière première. Le soufflé retombera bien un jour, sans que personne ne sache ni quand ni si cela sera avant ou après un black-out.

Troisième cause d’ironie, ce sont les producteurs qui traitent leur courant à la bourse qui profitent le mieux de la situation, sans avoir à présenter un quelconque avantage particulier. Les autres restent avec leurs structures économiques faites de contrats de gré à gré à plus long terme et de marges qui restent toutefois très confortables pour ces paresseux du marketing. Les seuls qui trinquent vraiment sont, comme toujours, les petits consommateurs. Il y a aussi ces distributeurs ayant misé sur la virtualité et qui, en France par exemple, sont les parasites d’un marché libéralisé qui ne fonctionne à leur profit qu’en cas d’abondance. L’un après l’autre font cupesse et on ne les plaindra pas.

La plus merveilleuse de ces ironies est climatique : personne n’ose se réjouir de ces difficultés économiques qui pourtant sont prônées par les activistes souhaitant un prix le plus élevé possible pour les formes carbonées de l’énergie afin de justifier économiquement lesdites renouvelables. Bien au contraire, un drame politique a surgi, provoquant les gouvernements à distribuer des chèques compensatoires ou geler les prix afin que les fins de mois ne soient pas glacées et illuminées à la bougie. En fait, ils ne croient pas en une décroissance heureuse ; c’est une bonne nouvelle ! Cela souligne aussi l’inanité des politiques d’incitations, tant positives que négatives. Elles ne peuvent pas être mises en œuvre sans l’usage même de ce que l’on veut réprimer ; cela s’appelle couper la branche sur laquelle on est assis.

Les politiques « climatiques » ou « écologiques » de transition énergétique ou électrique ne sont que des politiques de beaux temps que, et c’est d’actualité, seuls des ravis de la crèche croient pouvoir gérer, de Davos annulé en Green Deals avortés.


[1] Comme « consommateur ménage privé », en bout de chaîne, le prix qui m’est facturé en Argovie, incluant toutes les taxes, est de l’ordre de 19 centimes par kWh.

[2] Mühleberg en Suisse, puis Fessenheim en France, d’autres sont planifiées en Allemagne et en Belgique.


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1 thought on “Électricité : la transition de trop surpassée par le marché”

  1. et sans northstream 2, l’Allemagne va fermer ces 8 ou 9 derniers réacteurs nucléaires !!! c’est pas de la connerie, c’est bien au-delà : de la cécité totale, qui n’est que le résultat de la posture de croyance et de déni total de la réalité

    pour se surajouter au covid qui n’en finit plus de produire mutants et recombinaisons, que diriez-vous d’un petit black out en guise juste d’amuse-bouche, pour rehausser un peu l’ambiance qui est bien délétère….

    A force de promettre des pays où il fait toujours beau, pour se faire réélire, le jour de vérité finit par arriver

    Brassens chantait « … des pays imbéciles, où jamais il ne pleut… »

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