Une interview à propos d’une grande illusion

European Scientist, un site internet de référence pour des questions relatives aux sciences, aux techniques et à la société, m’a interviewé à propos de la parution de mon livre « La grand illusion du sauvetage de la planète par une remise à zéro », dont les détails sont donnés ici.

The European Scientist : Dans votre dernier livre vous vous interrogez sur la conversion quasi unanime du monde de la finance aux préceptes de l’écologisme. Pourquoi avez-vous jugé cette question importante ? 
Comment d’après-vous, en est-on arrivé à ce que toutes les activités économiques référencées comme telles se plient au label ESG ?

Michel de Rougemont : Depuis leurs débuts, les mouvement écologistes montrent une allergie face aux réalités économiques et financières des politique qu’ils proclament. Dès lors que des cercles plus étendus s’en emparent, il faut se demander si les termes d’un débat qui n’a pourtant jamais lieu sont les bons, en particulier l’exploitation d’un diagnostic de catastrophe à des fins de mobilisation financière. Au vu des sommes à engager, plusieurs pourcents du PIB mondial chaque année pendant une période d’une ou deux générations pour les plus dispendieux, la focalisation sur le seul thème climatique devient problématique voire dangereuse.

Il y a un certain effet de mode qui s’associe à une préoccupation éventuellement sincère, mais aussi beaucoup d’opportunisme à se montrer comme un champion dans ce domaine. Comme les mécanismes de financement consistent à prélever des taxes et les redistribuer aux bons élèves, l’appétit est grand de participer à ce repas. Le risque réputationnel n’est pas non plus négligeable auquel une entreprise ou un acteur financier s’exposerait s’il ne faisait pas comme les autres.

TES : Vous démontrez que cette situation est d’autant plus aberrante que le label ESG ne garantit pas de performances supérieures.

MR : Connaissez-vous un label garantissant autre chose que d’avoir satisfait à un contrôle bureaucratique ? À l’identique de la certification pour la qualité (ISO 9000), pour la gestion environnementale (ISO 14000), ou pour l’agriculture dite « biologique », obtenir un label ESG consiste avant tout à démontrer un certain activisme. Cependant, atteindre des résultats concrets ou ne pas les atteindre ne favorise ni ne pénalise celui qui saura montrer patte verte. Les exigences ESG sont de conformité ; la mise en telle catégorie d’une entreprise ou d’un fonds d’investissement ne garantit en rien son succès. D’ailleurs, les indices boursiers des entreprises jugées ESG ou non ont beaucoup de peine à se distinguer l’un de l’autre, sauf si l’on opère un savant picorage, comme savent le faire les communicants.

TES : Comme Bjorn Lomborg, vous vous appuyez sur les travaux de Nordhaus pour vous étonner de la surpondération que donne le milieu de la finance aux risques climatiques. C’est d’après vous une évaluation du risque totalement injustifiée. Pouvez-vous nous expliquer ?

MR : La question du « coût social du carbone » est centrale. Tout bon économiste sait qu’il doit engager au mieux des ressources qui sont finies pour obtenir un résultat. Ce n’est pas de gros sous dont il s’agit, mais des moyens à engager pour l’action et d’efficacité de cette action. Bjorn Borg et son Consensus de Copenhague s’efforce depuis deux décennies de faire comprendre cela. Le prix Nobel d’économie attribué à W. Nordhaus l’a été pour ses travaux sur le climat. Il constate une disproportion entre les énormes moyens qui devraient être mis en œuvre pour décarboner en urgence nos modes de vies et les pertes relativement modestes qu’entraineraient un réchauffement climatique. Cela fait bien sûr hurler d’autres économistes… Pour alimenter les batailles d’experts, ce sont des scénarios les plus catastrophiques qui servent à établir ce qui s’appelle un cas de « business as usual », de courant normal. Ces scénarios sont si irréalistes que l’on peut se demander pourquoi ils sont retenus comme référence. La réponse est que plus votre prédiction de catastrophe fait peur, plus les pertes potentielles sont élevées et plus il est justifiable de faire quelque chose, « quoi qu’il en coûte ». Cette ficelle est très grosse mais fonctionne à merveille.
Par ailleurs, sachant que les mesures de décarbonation n’auraient d’effets tangibles qu’à long terme (ce que confirme le dernier rapport du GIEC), il serait plus justifié de répondre au défi climatique par des adaptations qui permettent de minimiser les dégâts. Mais ce ne sont pas là les gros chantiers qui font saliver.

TES : Vous semblez nier la capacité du monde de la finance à établir des notations qui aient une quelconque valeur scientifique. A ce propos quel est votre avis sur la « taxonomie européenne ». Trouvez-vous normal qu’on peine à y faire entrer l’industrie nucléaire ?

MR : Ce n’est pas le monde de la finance qui aurait seul cette incapacité. L’essence même d’une notation est de se référer à un idéal, à un standard de perfection. En matières environnementales, climatiques, sociales et de gouvernance, il faut bien se rendre compte que des conflits sont programmés entre les priorités des unes et des autres. Avec 17 chapitres et 169 priorités, les critères de développement durable de l’ONU sont évidemment ingérables. Des choix doivent être faits, par exemple de devoir continuer l’exploration pétrolière et gazière afin de disposer de l’énergie nécessaire pour opérer la décarbonation souhaitée.

La taxonomie(sic) européenne touche au sublime bureaucratique en s’appropriant et estropiant un terme essentiel de la biologie. Opérer un classement ‘taxonomique’ des activités acceptables ou non présuppose que ces industries seraient figées dans un état immuable. C’est donc la négation de tout progrès. Les centrales électriques nucléaires présentent d’ores et déjà un profil favorable, tant du point de vue des émissions de CO2 que de leur impact sur l’environnement. Les prochaines générations ne seront que meilleures. Mais il faut bien constater que le sujet n’est pas celui-là. Comme Jean-Paul Oury le souligne, Greta a tué Einstein, c’est-à-dire que la motivation des censeurs est devenue sentimentale, dénuée de raison, comme si la rationalité était coupable des impérities humaines.

TES : D’après vous tout cela profite surtout au business de la certification ?

MR : Ce qui caractérise un parasite est qu’il se nourrit aux dépens de son hôte, tout en veillant à ce que ce dernier ne disparaisse pas. Il lui rend alors de petits services, comme celui de le débarrasser de vers nuisibles ou d’induire des réactions immunitaires. En société humaine, cela s’appelle pique-assiette qui vous servent des compliments au moment où ils vous vident le garde-manger. Les services de certifications aident les entreprises à satisfaire des exigences fantasmagoriques. Les méthodes les plus rigoureuses sont employées, donnant à l’exercice un aspect de grand sérieux. Le problème n’est pas que des gens fasse leur beurre de ces travaux-là : ils aident même à mettre un peu de discipline dans les opérations d’une entreprise ou d’une administration, ce qui ne fait jamais de mal. Mais il ne faut pas croire pour autant qu’il s’agisse d’une action vertueuse et salutaire à tous égards, environnementaux ou moraux.

TES : Au final, la principale explication de cette « frénésie » pour les ESG selon vous est d’origine morale : « le monde de la finance veut avoir une bonne image, l’investisseur ingénu sera fier à l’idée qu’il contribuerait à un bien commun ou au sauvetage de la planète ». Il s’agit pourtant de vœux pieux. Ce que vous décrivez en fait, ce n’est qu’une forme de greenwashing un peu sophistiquée ? 

MR : Il y a bien sûr du greenwashing là-dedans, et du pink, purple ou rainbow washjng aussi, selon les tendances du moment. On ne le reprochera pas aux opportunistes un peu cyniques qui jouent ce jeu et y trouvent même des sources de revenus ou de financement. D’autres y trouvent aussi du grain à moudre politique. La piété des vœux est donc bien questionnable lorsque la réalité des intérêts suscite de grandes envies.

On peut y voir un gigantesque brainwashing qui dure depuis l’avènement des mouvements écolos et des déconstructions postmodernes. Les leaders ne sont pas à l’abri de ce phénomène, bien au contraire, la frénésie dont vous parlez est en fait l’action des suiveurs professionnels qu’ils sont pour la plupart.  Mais, loin de penser qu’il ne serait question que de convenance respectueuse de l’environnement et d’une morale de bon aloi, il faut se rendre compte de la tentative de coup d’État permanent sous forme de déclaration d’urgence qui est en marche.

TES : N’y-a-t-il pas un intérêt cependant pour le monde de la finance dans l’établissement d’une rente verte avec la collaboration des états ? Le fait que de nombreux investisseurs se soient précipités sur les énergies éoliennes, par exemple, sachant que celles-ci offrent un rendement assuré du fait leur production est subventionnée… vous n’avez pas creusé cette éventualité, pourquoi ?

MR : Les décisions étatiques de soutenir financièrement les énergies dites renouvelables ont un effet certain sur certains investisseurs. Cependant, le court terme financier n’est pas synchrone avec des transformations d’infrastructures. Sitôt qu’un signal de fin de récréation serait donné, ces investisseurs s’orienteront ailleurs. C’est déjà le cas en Suisse où le soutien au photovoltaïque est en train de perdre son exubérance. Il en va de même pour les particuliers qui s’achètent des véhicules électriques parce qu’ils sont subventionnés. Mon propos n’est pas de leur prodiguer des conseils en investissements financiers, je ne suis pas sûr d’y gagner grand-chose, mais de souligner en général l’inanité des fondements de ces positions. La littérature économique et technique est abondante au sujet de l’approvisionnement énergétique mais elle n’aborde que rarement les questions de décisions financières.

TES : Vous semblez considérer le monde de la finance comme un tout uniforme. Ne pensez-vous pas pourtant qu’il puisse y avoir des disparités mondiales et que le phénomène que vous dénoncez s’impose surtout sur le vieux continent. Ne peut-on pas craindre que les autres marchés (Chine, Russie, USA) utilisent cette situation à leur avantage ?

MR : Le monde de la finance est un tout, oui, mais informe ou multiforme. Les grands influenceurs se trouvent encore dans le monde occidental. En cherchant là où se trouvent les fonds, on doit constater que les décideurs sont en petit nombre, connectés en un écosystème assez particulier, suivant des catéchismes peu diversifiés tels les messages du WEF à Davos, les exhortations de personnages emblématiques comme Bill Gates, les écoles de management ou les grandes sociétés de conseil.

Les sommes engagées en Asie dans des fonds souverains ou de pension prennent des dimensions abyssales. Pourtant, il faut encore que la courbe d’apprentissage se développe, avec des sauts, des chutes et des rebonds comme les centaines de milliards de dettes de la société chinoise Evergrande. C’est là-bas que sonnera peut-être la cloche annonçant la fin de la récré.

TES : Vous en concluez que des mises au ban technologiques auront lieu. Pourtant dans les années 2000 on trouvait déjà des rapports financiers d’agences de notations soudoyées par des ONG qui dénigraient les Biotech vertes… cela n’a pas empêché les OGM de se développer dans le monde, exception faite une fois de plus de l’Europe.

MR : Les ONG vertes disposent de moyens de lobbying énormes et ont salon ouvert dans toutes les conférences multilatérales. Elles noyautent aussi les travaux de groupes d’expert : climat, biodiversité, santé publique. Leur tâche est plus aisée dans des régime politiques peu libéraux mais très légalistes, comme le sont la plupart des pays européens. En matières financières, leurs moyens sont ceux de la peur, surtout celui de l’opprobre, de passer pour el malo de la pelicula (le mauvais du film). Dans les année trente à Moscou, de fidèles suppôts du régime devaient avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis pour éviter cette torture. Une balle dans la nuque était alors leur seule rédemption. Ce n’est plus le plomb qui tue aujourd’hui, mais le tribunal des réseaux asociaux assassine très efficacement.

TES : Que faire pour résister à ce phénomène qui semble désormais imparable ? Pensez-vous que certains fonds verront le jour qui pourront échapper à cette nouvelle religion ? 

MR : Il s’agit bien d’une évolution ayant un caractère religieux car rien ne peut être opposé à un dogme. Y résister paraît bien présomptueux ou digne de Don Quichotte. On ne peut en fait que se soumettre et subir tels courants dominants. L’alternative est la fuite ou l’oubli, ce qui revient au même. C’est ce que pratique la grande majorité des gens qui déclarent être préoccupés de l’état de la planète avant même d’y penser un peu sérieusement. Pour s’y opposer à titre individuel il ne reste que des techniques de guérilla, égratigner l’éléphant afin qu’il se souvienne qu’il dérange. Une opposition en règle est peu pensable. Aucun « Parti de la Raison » ne verra le jour car les opposants n’ont justement pas l’esprit de discipline idéologique des activistes. Le joueur de fifre de Hamelin est bien en train d’emmener ses troupeaux humains.

Il faudra surveiller ce qui va se passer avec les entreprises mises au pilori par déficience ESG, avant tout à cause du E de ce sigle. Leurs activités sont pourtant indispensables car, par exemple, on ne construit pas aujourd’hui des éoliennes sans s’approvisionner à 83% (moyenne mondiale) par des sources d’énergie fossiles, et ce pour encore bien des décennies, ce qui exige de continuer à investir dans ce secteur qu’il faudrait abhorrer. Si des conflits surgissent, et c’est plus que probable, alors il est essentiel de disposer d’un armement adéquat et prêt à être déployés ; ce sont là des moyens très peu ESG-compatibles. Sans accès aux bourses publiques, ouvertes et [quelque peu] transparentes, ce seront vraisemblablement par des investissements privés que ces activités devront être financées, et libérées de la crainte du pilori. Quel que soit le régime politique, énergies classiques, minerais, chimie de base, armements, etc. sont les piliers de toute économie ; l’hégémonie du marché dont se lamentent les gauches vertes, rouges et arc-en-ciel passera alors en des mains vraiment incontrôlables.

Les chemins de l’enfer sont pavés de soi-disant bonnes intentions.


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