Magie de la qualité occultant les réalités de la quantité

Les intellectuels débattent de qualités et ont un point aveugle à propos des quantités ; c’est là une de leurs nombreuses infirmités.

De qui s’agit-il ? Des commentateurs, médiatiques ou de boudoir, des stratèges politiques et des philosophes de comptoirs publics. Ce handicap touche moins les vrais sachants et chercheurs, ceux qui réfléchissent et ne se font pas l’avocat d’une cause mais qui en explorent les dimensions. Bien sûr, et jusqu’à un certain point, toute personne est un intellectuel, mais celle qui en fait sa raison d’être ou sa profession se distingue clairement des autres. Fruit de différences congénitales ou d’autres causes, la voie du lettreux se sépare de celles des autres dès les choix d’orientation scolaire. Une fois les cartes distribuées, certains de ces clercs, aussi appelé intellos, s’édifient un monde en contraste avec celui du praticien, de l’homo faber. Et comme ils développent plus facilement des aptitudes à la communication, ils captent l’attention et occupent l’agora. Comme le joueur de flûte de Hamelin ils entraînent alors des adeptes, jeunes et vieux, pour les mener on ne sait où ; le savait-il lui-même ?

Dans sa mise en culture de stéréotypes, l’intello décrit, vante ou vilipende l’état des choses, leurs aspects et caractéristiques, leurs différences relatives ou par rapport à un idéal. Cette orientation qualitative en ignore le plus souvent les côtés quantitatifs, les dimensions, les cumuls et les multiples, la place qu’elles occupent. Cette limitation à la qualité, à l’apparence et à l’émotion, est un début de trahison.

Un enfant découvre les qualités, naturellement magiques, bien avant qu’il soit capable d’apprécier la quantité ; c’est un signe de son immaturité. Il deviendra adulte responsable lorsqu’il saura mesurer pleinement les conséquences de ses actes. L’intello fait en sorte de ne pas atteindre cette maturité-là, en tous cas quant aux sujets de ses cogitations ; pour cela il doit se préserver de l’exigence quantitative car cela le confronterait à la réalité, au poids des choses. Il se pardonne lui-même ses inaptitudes mathématiques ou scientifiques, il en est même abjectement fier. C’est une étape de plus en voie de la trahison.

Les exemples ne manquent pas qui sont devenus des clichés imbattables : promouvoir le ‘durable’ et le ‘renouvelable’ alors qu’en soi cela n’existe pas, sonner l’alarme générale en réponse à la moindre anecdote, attribuer chaque dernière pluie aux difformités d’un système en perdition, prétendre possible une transition – énergétique ou autre – sans mesurer l’emploi incommensurable des ressources nécessaires dans un délai raisonnable, refuser le progrès sans prendre la mesure du renoncement, ou encore promulguer des objectifs irréalisables ou même aux conséquences néfastes parce que la morale du temps les trouve bons – écologisme, altermondialisme, ‘bio’ et wokisme : même combat. Les complotismes aussi se nourrissent d’anecdotes peu pertinentes et insignifiantes.

Les intellos n’ont pas le niveau de sophistication des sciences et techniques dures qui explorent un espace à quatre dimensions et de multiples grandeurs intensives et extensives ; leur approche est ou bien binaire – être ou ne pas être, ami ou ennemi – ou leurs nuances, s’ils s’essayent à en montrer, se réduisent à une seule dimension à la fois – plus ou moins proche, plus ou moins riche, plus ou moins idiot de gauche. Bien qu’un usage souvent immodéré soit fait de la statistique, surtout en sciences molles aussi appelées humaines et sociales, la signifiance et la validité des résultats restent ignorées, occultées ou sont même savamment orchestrées si l’activisme prime sur la probité. Chez bien de ces adeptes, la statistique ne devient significative que si la pièce tombe du bon côté, le mauvais étant défini par avance. C’est ainsi que les théories les plus grandioses (marxisme, écologisme, genre) mais aussi les plus farfelues (racialisation, complots divers) sont tirées des observations et expérimentations les plus douteuses, ou même issues de fantasmes. C’est pourtant targué de ‘scientifique’, autre traitrise.

Leur trahison fait le succès de ces clercs : avant d’être débusqué le traitre fait partie du camp du bien, il en est même un des concepteurs. C’est pourquoi il est si difficile d’échapper à ce populisme. Essayez donc de vous y opposer, surtout dans le contexte des réseaux asociaux si conformistes et si prompts à la censure et la mise au pilori, fidèlement relayés par des médias d’ores et déjà asservis ! La victoire des stéréotypes y est complète, mais c’est bien d’une victoire à la Pyrrhus dont il s’agit, celle qui engendre en elle-même la perdition du vainqueur.

Comment faire pour ne gober que ce qui est digeste ? Cela demande d’exercer un esprit critique, donc impopulaire, de poser les questions de quantités plutôt que se limiter aux qualités et aux émotions, d’exiger plus de rationalité que de fantasmes.

On ne peut s’empêcher de clore avec deux bon-mots attribués à Staline :

« Le Vatican, combien de divisions ? »
« La quantité a une qualité en soi. »


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