Notopie galopante à notre insu consentant

Parmi les régimes politiques ayant les faveurs de la rectitude politique régnante, celui qui est en train de s’installer est remarquable. Non il ne s’agit pas d’une impossible utopie, projection d’un idéal désirable, ni d’une dystopie, inverse improbable de la précédente. C’est un ordre nouveau qui s’établit, avec tout le monde bien aligné et couvert comme les bataillons devant marcher au pas. Et ça marche !

On ne s’en aperçoit pas, tant l’entrée dans cette ouate est confortable, avec la sécurité et même l’aisance qui semblent assurées.

Qu’il faille payer cela en retour par quelques renoncements ne touche que des farfelus intellectuels obsédés par une liberté qui n’a jamais vraiment existé. On ne se rend donc pas même compte de ce renoncement, en novlangue cela s’appelle d’ailleurs consentement éclairé, disant encore merci au bonimenteur. Et puis, pourquoi bon sang faudrait-il se référer à des principes fondamentaux? Ne sont-ils pas, eux aussi, des inventions de toutes pièces?

Alors que, dans nos sociétés occidentales, la défiance vis-à-vis de presque toutes les institutions est à son comble, ce sont les plus gros mensonges (fake news), les légendes les moins vraisemblables (story telling) et d’abracadabrantes théories de complots qui fleurissent, et ce tous azimuts et dans toutes les strates de la société. Que ce soit un alarmé du climat ou un négationniste du réchauffement, un défenseur des minorités persécutées ou un suprémaciste enraciné, chacun dénonce les lobbies puissants de l’autre camp et ses sombres manœuvres d’accaparement du pouvoir. Le comble est qu’ils ont chacun raison: ce sont des tréfonds de même acabit qui les animent. Les ferveurs que l’on observe ont des atours quasi-religieux et la même irréductibilité que celle de tout fanatique. Ce ne sont pourtant que des groupes minoritaires quoique vociférants, ils sont des idiots utiles animant un cirque pas joyeux mais très divertissant au sens propre du terme.

La notopie, dont je crains et néanmoins prédis l’avènement, trouve une justification dans ces extrêmes peu savoureux, contre-exemples idéaux d’une société absolument normalisée.

Cela a commencé peu après la fin de la deuxième guerre mondiale (on aimerait qu’elle soit et reste la seconde) avec ces philosophies qui ne se préoccupent plus de l’essentiel mais glosent sur l’émotion existentielle, le relativisme postmoderne, la mise en question systématique de la connaissance – scientifique ou historique – de la culture – sauf bien sûr celle qu’elles propagent de manière infectieuse – et de toute autorité. Comme tout se vaut, le centre mou devient un puissant attracteur et aussi, par sa masse, réducteur de variances.

Alors la norme n’est plus un moyen de s’entendre et de gérer des éléments communs comme la qualité des eaux usées ou les compétences à avoir pour exercer une profession, elle devient en elle-même une valeur. Alors que le bon sens exige que les régulations ne touchent qu’à ce qui est indispensable de réguler, le côté de circulation sur les routes ou le voltage des appareils électriques, il faut imposer des normes à tous les aspects de la vie des gens, de leurs comportements surtout par lesquels leur soumission sera démontrée.

En cela la tragédie covidienne vient à point nommé qui permet de mettre à l’amende le quidam qui sort le bout du nez en temps de couvre-feu, ou d’accuser de criminelle sociale la grand-maman qui embrasse ses petits-enfants.

L’agriculture doit être au moins «écologique», même si elle n’a pas cessé de l’être depuis plus de 10 000 ans, et surtout bio ce qui prescrit des manières de ne pas cultiver sans se soucier du résultat. Idem avec la finance verte et responsable qui n’investira plus dans des énergies peu recommandables, des chimies toutes toxiques ou des armements mais qui sera contente de fonctionner à 85 % grâce aux énergies fossiles, de se soigner, s’habiller et se loger à l’aide de substances de synthèse et d’être sous le parapluie nucléaire de sa puissance protectrice.

Résultats sans importance, efficacité indifférente, roues libres en recyclage permanent, seule compte la conformité avec des normes inutiles mais déclarées essentielles.

Que ce soit contreproductif ne dérange pas puisque produire ou réaliser ne sont que des saloperies du concret. Il n’est d’ailleurs pas souhaité que l’on innove, sauf dans la manière de présenter l’inutile. C’est ainsi les recherches scientifiques doivent s’orienter non pas vers la découverte et l’invention mais vers la conservation d’une nature immuable. Elon Musk a beau être l’homme le plus fortuné du monde, mais avec ses bagnoles lithinées et fusées pétaradantes il sera bientôt un exemplaire de musée, dernier des Mohicans des métaux légers, du silicium et des terres rares. Il n’est qu’un pis-aller qu’il faut tolérer, comme le capitalisme devait survivre un peu, le temps de le vaincre pour lui substituer autre chose.

Contrairement à la dystopie orwellienne de 1984, aucun Big Brother n’est nécessaire.

Les petits frères et sœurs s’en chargent d’autant mieux qu’ils le font sans besoin de forces de police ni d’agents secrets. Il y a aussi des héros qui sont mis en valeur, sportifs talentueux ou vedettes d’un showbiz dégoulinant, auxquels il est demandé de s’engager avec courage dans des causes bien convenues, c’est-à-dire en signant des pétitions ou regazouillant des déclarations bien-pensantes. La pression sociale et le pilori suffisent pour que, chien de prairie sortant son nez, le curieux hétérodoxe se fasse dézinguer à la première incongruité.

L’histoire n’est pas réécrite en une nuit mais suffisamment souvent pour que les nouvelles générations se contentent du travail mémoriel qui leur est autorisé, avec une littérature sélective, révisée et recensurée. Tintin n’a ainsi presque pas le droit d’être allé au Congo, Martine ne parle plus que par onomatopées, le grand méchant loup est un lobby industriel de produits carnés alors que Blanche Neige est évidemment une victime de stéréotypes phallocrates. L’homme blanc, hétérosexuel, démocrate et de culture gréco-chrétienne est coupable du colonialisme, de l’esclavagisme, des pollutions et autres calamités commises par ses ancêtres, il est le koulak du XXIe siècle, à abattre. Pire, la peur de déplaire et de souffrir l’opprobre anime certains d’entre eux et les pousse à s’accuser de tous ces maux et à se condamner aux pires destinées, comme le firent les fidèles révolutionnaires aux procès de Moscou, juste avant le coup de revolver dans la nuque. La liberté d’expression se voit toujours garantie, mais cette fois elle est réservée à cèlzéceux qui expriment le juste et le bon, les autres n’ont que le droit de marmonner et sont désinvités des studios et même des campus universitaires.

Pour s’assurer que la norme prévale en tout et pour tout il faut un État qui se mêle de tout, y compris de la rectitude des comportements à défaut de pouvoir contrôler les pensées intimes. Il étend son pouvoir immuablement, aussi par une fiscalité croissante dont les projets d’en percevoir plus afin de normer plus sont un ordre de grandeur plus nombreux que ceux de la restreindre. Avec des atours d’assurance et de prévention teintés d’allusions aux dangers graves qu’il faut éviter, et toujours au nom de la conformité normative et égalitariste, le confort qu’offre l’État providence est sans limite. Lui nier son pouvoir mettait les opposants en déportation, à l’asile ou au camp d’extermination; aujourd’hui, la récréation du monde libre d’après-guerre touche à sa fin. L’exemple à suivre est celui de l’harmonie asiatique, de la réduction de la fourmi à la fourmilière, l’hommilière est proche où il faudra rentrer.

La notopie est la promesse populiste du centre et de la médiocrité.

Ce n’est même pas un avenir radieux qui est promis mais l’absence de vagues et d’aspérités, la transition vers le néant, la mort spirituelle d’un corps dont le métabolisme se voit paramétrisé.

M’enfin ! Si nous ne recevons que ce que nous méritons, alors c’est bien fait pour nous.

Un seul regret : celui de manquer du talent de George Orwell pour en faire un ouvrage prémonitoire comme le sien, bien que la réalité galope et dépasse déjà mon imagination.

À suivre : quelle alternative à la notopie ?

Article original publié le 24 janvier 2021 sur Antipresse sous le titre « Bienvenue en Notopie« .


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5 thoughts on “Notopie galopante à notre insu consentant”

  1. « L’histoire n’est pas réécrite en une nuit mais suffisamment souvent »
    Ce qu’en URSS, des historiens soviétiques avaient exprimé ainsi :
    « Nous ne saurons plus demain de quoi hier était fait. »

  2. Quel bonheur, cher Michel, de lire ce que l’on pense mais qu’on ne sait pas toujours exprimer !!! Urgence :: établir pour les école primaires 1. les » Dix Commandements de l’utilisateur des réseaux (dit) sociaux » et contrôler sévèrement leur application.. 2. en branche principale la lecture des philosophes grecs du Ve s. av. J.C.

  3. Cher Michel
    J’espère que vous allez bien ; c’est vrai que la période actuelle est difficile à supporter ; mais il faut résister ; il n’y en a plus que pour un an; c’est vrai que c’est long , surtout à notre âge ; mais on va bientôt retrouver nos libertés

  4. Les essais cliniques ont démontré l’efficacité du vaccin : 99 % des patients traités, en effet, votent pour le pouvoir en place – au lieu de 30 % dans le groupe témoin.
    Quelques effets secondaires mineurs sont à noter comme la somnolence ou la perte d’esprit critique, et seuls quelques cas d’allergie aiguë ont été signalés – mais uniquement chez des patients ayant de forts antécédents complotistes.

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