Les anti-vax sont-ils une bande de tarés ?

Exposé à une attaque microbienne le corps réagit par des mécanismes de défense jusqu’à ce que l’attaquant soit anéanti ou que succombe la victime. Cette bataille n’est pas toujours à mort, elle peut aussi laisser de graves séquelles pour le patient. Il faut donc éduquer cette victime potentielle à réagir, la préparer à la défense, lui fournir les bonnes clés, spécifiques à la maladie qu’elle devra combattre un jour. Il y a plusieurs méthodes pour provoquer ces défenses immunitaires, par exemple attraper la maladie et y survivre, mais c’est quelque peu risqué !

Un vaccin peut être administré qui suscitera cette réaction sans que la maladie elle-même ne se manifeste. Fragments de virus atténués ou toute dernière technologie, ARN encapsulé dans des nanoparticules lipidiques, peu importe la technique utilisée tant qu’elle se montre efficace et sûre, c’est-à-dire sans provoquer d’effets secondaires pires que le mal à combattre. Le vaccin est une des rares thérapies qui s’attaque à la cause du mal, et cela de manière préventive.

Peut-on raisonnablement s’opposer à telle stratégie de protection ?

Comment naît l’opposition à la vaccination ?

a.   Imperfections perçues comme scandale et cachoterie

Comme en toutes choses de la nature, rien ne fonctionne comme un interrupteur binaire on/off, tout n’est que distribution statistique, avec des biais induits par les humains. Ces imperfections, bien qu’inévitables, ouvrent des portes de grange aux antitouts : elles seront mises en évidence comme s’il s’agissait de « révélations ». Au lieu de questions pertinentes, ce seront des insinuations qui seront lancées pour se convaincre que de sombres manœuvres sont en cours qui menacent l’intégrité de son corps. Une prédisposition naturelle à y croire atteint un certain pourcentage de la population, non négligeable, au point d’en faire comme une religion. Moultes anecdotes bien choisies (cherry picking) et bien enveloppées alimentent la conviction.

b.   Méprise délibérée du contexte

L’efficacité sera mise en doute puisque, à l’exemple du vaccin BioNtech, 9 vaccinés par deux doses ont développé la maladie. Que ce soit sur 18 559 traités alors que 169 sont tombés malades parmi les 18 708 du groupe de contrôle n’est bien sûr pas à mettre en évidence.

Les effets secondaires sont évidemment problématiques, c’est d’ailleurs un des buts des tests cliniques de les détecter et de les évaluer. Mais dès lors qu’ils sont répertoriés il suffit d’en agiter le spectre, peu importe qu’ils soient bénins ou très rares. Et s’il y a eu des décès (2), même sans aucune relation avec le virus et aussi (4) parmi le groupe de contrôle, ils seront attribués à la vaccination alors que ce n’est pas le cas. Si ce ne sont pas des mensonges, ce sont des interprétations sélectives et mensongères qui constituent les boniments des charlatans et nourrissent les inquiétudes de leurs chalands.

c.    Amour de la mauvaise foi

Le doute se trouvera même renforcé par toute explication ou précision, car argumenter en faveur de la vaccination sera ressenti immanquablement comme un acte de pouvoir, donc de mensonge et d’hypocrisie, alléguant l’épouvantail de la maladie pour se poser en sauveur par la promotion du vaccin. Dans cette illogique, ce ne peut donc pas être une honnête voie thérapeutique, mais seulement une défense d’intérêts économiques de fabricants véreux, agrémentée d’occultation de la vérité de la part d’experts corrompus puisque compétents dans le même domaine que celui du fabricant. La mauvaise foi est une manière d’être de gens néfastes alimentée par leurs crasses pensées, c’est inextricable.

d.   Interdiction de tout risque

Il est vrai que les vaccins n’ont pas d’efficacité absolue, et qu’ils ne sont pas dénués d’effets secondaires. Mais quelles sont les dimensions en question ? Le risque est-il si important par rapport au bénéfice obtenu ? Un débat à ce sujet n’est jamais admis par les anti-vax, car accepter une évaluation de risque signifie qu’il faudra en tolérer un, même minime. De ce point de vue il est ironique de constater que l’anti-vax se montre tout autant un absolutiste de la précaution que les autorités tétanisées par le spectre de l’erreur lorsqu’elle prennent des mesures sanitaires ou sécuritaires.

e.   Méfiance envers l’expert et la science

C’est devenu une mode, surtout chez les handicapés des choses scientifiques. Il est vrai aussi qu’un expert indépendant doit être compétent, donc connaître le métier, avoir de l’expérience, donc avoir un avis. C’est là une extrême banalité qui soudain devient scandaleuse chez des esprits tordus. Il est tout aussi vrai que les médias jouent un rôle équivoque, incapables de montrer la part des choses, enchantés qu’ils sont de toute controverse, de toute mauvaise ou fausse anecdote, et pratiquant un amalgame du pour et du contre sans discrimination.

Le vaccin sera présenté comme une vilaine chose pas naturelle, son utilité sera mise en question et sa dangerosité sera magnifiée. Il faut avoir plus peur du vaccin que de la maladie ! Voilà donc suffisamment de mauvaises raisons pour qu’un vaccin, ou la vaccination en général, fasse l’objet d’une opposition. Il faut cependant prendre au sérieux certaines des questions posées.

L’éthique

Les questions éthiques sont relatives à la vaccination en général mais ressurgissent à l’occasion de chaque nouveau vaccin. Il y en a trois d’importance, mais attention : elles ne restent pas rhétoriques et ouvertes comme au zinc du bistrot, elles ont des réponses sérieuses.

1. Peut-on rendre une vaccination obligatoire ?

Le principe absolu du respect absolu de la personne fait répondre non à cette question, quel que soit le bénéfice attendu pour la société en général. Se pose aussi la question du traitement des personnes manquant de discernement pour faire leur choix. C’est alors que le testament de vie, la personne de confiance, les parents d’enfants mineurs ou le tuteur doit jouer son rôle. Un bémol cependant est à donner au consentement « éclairé » par l’autorité plus que par l’explication, mais cela ne concerne pas seulement la vaccination.

2. Une personne non vaccinée peut-elle être discriminée ?

Ici aussi un principe d’égalité entre les personnes fait répondre non. Donc pas d’étoile jaune à fixer sur son manteau, ni à marquer sur sa carte d’identité ou au fichier informatique qui en tient lieu, ni augmentation de la prime d’assurance ou réduction des prestations, ni commérages à colporter.
Il faut pourtant que chacun sache les responsabilités qu’il endosse : avoir choisi de ne pas se laisser vacciner entraîne que certaines activités ne seront pas possibles, par exemple franchir une frontière (interdiction courante que l’on est en train de redécouvrir) ou pratiquer un métier qui expose des tiers à un risque précis. L’admission dans une classe peut être refusée à des enfants non vaccinés. Il faut alors renoncer au voyage, changer de métier, changer d’école ; prendre ses responsabilités est le prix de cette liberté de choix.
Par contre, faire exécuter des décisions nécessairement discriminatoires ne peut pas se faire à la légère, ni sur la place publique ni au pilori des réseaux asociaux ; si la sphère privée a déjà bien des fuites, il ne faut pas lui ajouter celle-ci.

3.   Le bien de qui d’abord ?

La troisième question éthique n’a pas de réponse binaire : dans quelle mesure un bien de santé publique – une statistique – doit-il primer sur le bien de l’individu – une personne ? Ou l’inverse ?

Cela demande d’une part que le bénéfice général soit bien plus élevé que le risque particulier selon une évaluation objective de chaque situation ; il y a aussi celui de ne pas vacciner. Il faut aussi que le risque soit avéré et significatif, et non une simple crainte ou phantasme. Cette question doit être traitée par des experts compétents pour l’autorisation de chaque vaccin, y compris des économistes et des éthiciens. Même s’ils font partie de la corporation médicale et qu’ils ont nécessairement des relations avec des milieux privés et des autorités étatiques, ils doivent pouvoir faire leur travail en toute indépendance. Semer le doute à ce sujet tient de la dernière perfidie.

Même sans qu’il y ait obligation de vacciner, il est à mon avis légitime de promouvoir la vaccination au nom du bien commun, ce qui signifie aussi qu’il faille en présenter tous ses aspects et n’en occulter aucun. L’annoncer comme une solution miracle et ridiculiser les inquiets comme des anti-vax serait la pire méthode, malhonnête à force de se croire vertueuse.

La transparence que l’on observe dans les procédures d’autorisation de nouveaux vaccins contre le SARS-CoV2 est remarquable et inédite[1]. Il faut qu’elle continue, pourquoi pas aussi pour d’autres requêtes de mise sur le marché de toutes sortes de produits. On oublie trop volontiers, autre malhonnêteté intellectuelle, que les brevets accordés aux uns ou aux autres n’empêchent pas du tout cette transparence mais au contraire protègent le détenteur tout en favorisant la publication ; c’est la raison d’être des brevets.

Transparence et ouverture donneront bien sûr aux quérulents et aspirants gourous-sachant-mieux l’occasion de faire leur cueillette de mauvaises nouvelles plus aisément, mais cette même transparence leur enlèvera du vent de leurs voiles. C’est un bon risque à prendre car les gens sont capables de comprendre de bonnes et honnêtes explications, malgré tous les vacarmes destinés à exacerber leurs peurs.

Complotisme à la mode

Une partie des anti-vax a des tendances complotistes et propagatrices de légendes urbaines ; presque tous les complotistes ont tendance à être anti-vax car c’est un sujet idéal : complexité technique, bien public contre bien privé, sentiment de domination par les pouvoirs en place, partialité des médias, haine de l’industrie, anxiété alimentée par des légendes mensongères (sclérose en plaque par le vaccin contre l’hepatitis-B, toxicité des adjuvants de vaccins). L’anti-vax peut se penser libertarien et s’en attribuer les valeurs, mais c’est faux ; il ne fait que revenir à un pseudo-darwinisme simpliste qui lui fait croire qu’il sera apte à résister à la maladie et que les faibles n’auront qu’à disparaître. C’est le contraire de tout humanisme.

Gens inquiets, demandeurs d’explication, prudentes réticences aussi : il n’y a là rien que de très naturel, et il faut répondre complètement aux questions posées, sans ambages ni peur d’être mal compris. Voilà un défi inédit pour les spin-doctors : comment bien dire la vérité, toute la vérité ?
Restera-t-il des anti-vax inaccessibles, impossibles à « déconvaincre », antisciences, militants souvent complotistes ? oui, hélas. N’étant pas d’honnêtes lanceurs d’alerte, ne faisant pas de critiques objectives et n’ayant rien à proposer, ils ont bien de quoi être tarés.  


[1] Documents préparés par la FDA américaine en vue de la décision d’autorisation de mise sur le marché :
Pfizer-BioNTech : https://www.fda.gov/media/144245/download
Moderna : https://www.fda.gov/media/144434/download
Note du Haut Conseil de Biotechnologies français sur les vaccins visant le SARS-CoV2
http://www.hautconseildesbiotechnologies.fr/sites/www.hautconseildesbiotechnologies.fr/files/file_fields/2020/12/07/vaccinssars-cov2notehcb.pdf


Article original publié sur European Scientist sous un titre moins provocateur « Mais qui veut la peau des anti-vax ?« 


Merci de compartir cet article
FacebooktwitterlinkedinmailFacebooktwitterlinkedinmail

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.