Nouveaux vaccins ARN : une leçon du savoir-faire

Nonobstant les éternels antisciences post-modernes il faut bien constater que le savoir-faire humain a fait l’objet d’une démonstration magistrale en 2020. Seulement quelques semaines après que l’identité génétique du virus SARs-CoV2 a été publiée, des experts en biotechnologie ont identifié les fragments d’ARN, qui, une fois introduits dans les cellules humaines, y seront « lus » pour produire une protéine spécifique à ce virus, laquelle sera reconnue comme un corps étranger, ce qui activera le système immunitaire qui en gardera la mémoire pour se défendre lors d’une infection par le virus lui-même. C’est là un principe de vaccination inédit rendu possible par la génétique moléculaire.

De la conception…

À ce stade, rien n’est pourtant fait. Lire un code messager et en réécrire son complément sont devenu une banalité pour ces experts. Ils affirment même être en mesure de reproduire ce travail en quelques semaines si une mutation majeure du virus devait le demander.

La science ayant parlé, il faut la faire fonctionner. Tout d’abord, la forme à donner à ce principe actif doit lui permettre d’être délivré là où il doit agir, c’est-à-dire à l’intérieur d’une cellule humaine. Il faut que l’ARN, molécule fragile, ne soit pas détruit avant d’atteindre sa cible, donc le protéger et rendre facile le franchissement de la barrière que présente la membrane des cellules. Cela est effectué par protection chimique lors de la production de l’ARN suivie d’encapsulation dans des microcapsules graisseuses (micelles lipidiques). La conservation au froid (-70 °C dans un cas, -20 °C dans l’autre) est aussi indispensable tout au long de la chaîne logistique. Ce travail de développement technique a été réalisé en quelques mois, un temps record, grâce aussi au fait que les bioréacteurs adéquats existent déjà à échelle industrielle.

…à la chaîne de production

La technique ayant parlé, il faut aussi que son fonctionnement soit validé et que la production à l’échelle de centaines de millions de doses soit possible. La gestion de ces projets a été extraordinaire dans le sens que tous les risques ont été pris simultanément, ce qui explique que, cinq mois seulement après le début des tests cliniques (phase 3) sur quelques dizaines de milliers de volontaires, il a été possible de procéder aux premières vaccinations de masse.

Si l’industrie procédait toujours de cette manière, elle se ruinerait à coup sûr, ce qui n’est pas sa vocation. Dans une gestion normale et bien raisonnée, un projet doit progresser étape par étape, en investissant des moyens toujours suffisants mais limités afin de le continuer ou bien, ce qui arrive la plupart du temps, se trouver obligé de l’abandonner ou de le redémarrer sur des bases fondamentalement différentes sans s’être complètement ruiné. C’est entre-autre pour cela que le développement d’un nouveau médicament prend des années, et pour les vaccins plus longtemps encore. Dans le cas du SARS-CoV2, tous les moyens ont été mis en œuvre sans attendre de résultats intermédiaires. C’est ainsi que, une fois la formule du produit bien définie, les tests cliniques ont pu débuter, mais aussi la production de masse dans des usines qui ont été adaptées à ces tâches, au risque de devoir tout jeter à la poubelle en cas d’échec.

Financement

Une bonne partie du financement nécessaire fut assurée par les pouvoirs publics, non tant par esprit d’entreprise mais plutôt grâce à la crainte de chaque gouvernement de manquer de vaccins. Ce financement peut donc être considéré comme un prépaiement, au risque de perdre sa mise si le vaccin commandé ne fonctionnait pas. Et aussi, facteur additionnel de succès, la puissance publique n’a pas pu mêler sa bureaucratie à ces travaux. En comparaison avec les dégâts psychiques, sociaux et économiques infligés aux populations au cours de cette pandémie, ces investissements sont d’ordre très mineur. Il faut aussi saluer la diligence des agences d’homologation des médicaments qui ont fait preuve de rigueur sans perte de temps.

Essais cliniques

Avec science et technologie, rien n’eût été possible si la maladie avait soudain disparu. C’est le gros problème du développement de vaccins : comme y arriver si l’on ne dispose pas de situation épidémique pour les tester ? Avec des taux d’incidence inférieur à un pourcent il a fallu rassembler des cohortes de 15 000 à 20 000 personnes afin de détecter un nombre suffisant de malades dans le groupe de contrôle et que ce nombre soit significativement inférieur dans le groupe traité, ce qui fut le cas, même spectaculaire avec >95% d’efficacité.  Ce n’est donc pas en Corée du Sud ou à Taiwan que les tests cliniques auront pu être réalisés, mais bien dans des pays fortement affectés par le virus. Voilà une ironie de plus où une vertu ne joue pas le rôle que l’on pourrait attendre.

Chance et savoir-faire industriel vs bureaucratie

Succès scientifique, technologique, logistique et médical : une part est bien sûr due à la chance mais il faut surtout l’attribuer au savoir-faire industriel, tant dans l’expertise scientifique et technique que celle concernant la gestion de projets. Cela n’est possible que si le contexte culturel est adéquat, et cela ne se règle pas par décrets ou procédures administratives. Voici une bonne leçon à tirer pour les étatistes « visionnaires » en tous genres.

L’acte suivant est maintenant en route : la vaccination de masse. Sera-t-elle un succès ? Il y a bien des questions en suspens : les vaccinés seront ils infectieux ou non, quelle sera la durée de la protection, vacciner les enfants et les femmes enceintes, effets secondaires à long terme, améliorations de formules, mutations du virus ? la liste de problèmes potentiels est longue mais qui aurait une alternative valable à proposer

Publication originale chez European Scientist.


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