La palme à l’huile

Lors d’un petit déjeuner familial au lendemain de Noël, mon petit neveu, 7 ans, nous interpella à propos de sa tartine de Nutella, pâte de noisette gorgée d’huile de palme, pour rappeler le mal qu’il fallait en penser. Cet écologisme prématuré nous coupa la chique, mais pas au point de ne pas mâcher ces bonnes tartines, ce qu’il fit aussi très volontiers. La science infuse n’étant pas le propre d’un gamin de sept ans, nous soupçonnâmes de la propagande ou une grande ignorance, ou les deux, de la part d’un enseignant dévoyé. N’étant pas quérulent de nature nous ne punîmes ni l’enfant ni n’envoyâmes de lettre comminatoire à l’école méritant son adjectif de primaire.

Rebelote cet hiver avec une association d’écolos et du syndicat paysan Uniterre qui, dans un élan méprisant des Indonésiens et se posant en sauveteur de l’agriculture suisse et de la morale environnementale, a lancé le référendum contre l’accord de libre-échange conclut entre l’Indonésie et l’AELE[1]. Alors que le délai référendaire a été suspendu pour cause virale il paraît que 46 000 signatures avait été rassemblées sur les 50 000 nécessaires.

Le bilan commercial entre l’Indonésie[2] et la Suisse étant négatif, nos industries exportatrices – pharma, machines, mais aussi services – ont donc de bonnes raisons d’y entrevoir de la croissance. Faisant fi de cela, le référendum vise surtout au bannissement de l’huile de palme.

Contribuant pour 36% à la production mondiale d’huiles végétales, elle ne contient pas autant d’huiles non-saturées que les autres, ce qui n’en fait pas un poison pour autant car sa composition ressemble assez à celle du beurre ; pas besoin donc de leçons de diététique venant d’écolos repus, instillant un de ces petits totalitarismes de plus, en douceur et dès l’école primaire.

La Suisse a importé jusqu’à 35 000 tonnes d’huile de palme par an, d’Indonésie et d’ailleurs, volume qui s’est réduit à 21 000 tonnes depuis 2013 pour une valeur de 21.3 millions de Fr. Son prix déclaré à l’importation est le deuxième plus bas après l’huile de soja, ce qui est plutôt un avantage pour les consommateurs, mais il ne s’agit là que de quelques centimes. Ce dédain récent pour cette huile s’explique en partie par la campagne de dénigrement qui est en route, les industriels qui la transforment n’ayant pas grande motivation à se mettre en défensive pour une cause si futile. Mieux vaut baster.

Il est incontestable que la croissance démographique et la production d’huile de palme ont contribué à une déforestation, en Indonésie comme ailleurs, réduisant la faune et la confinant en des zones toujours plus petites, en particulier les orangs-outans qui sont une espèce en danger critique d’extinction. Pourtant la Suisse fit la même chose, elle qui a stoppé sa déforestation massive au début du 20è siècle seulement, mais chez nous c’est le terme défrichement qui est utilisé. Les 29 000 hectares servant à produire des huiles végétales en Suisse auront bien été « volés » à des forêts et leur biodiversité. Notre pays aussi fut sous-développé, il oublie son histoire et héberge des bobos soucieux de prescrire aux Indonésiens le nombre d’orangs-outans qu’ils doivent conserver et ne se souvient pas du dernier ours tiré en 1904, extinction restée totale jusqu’à ce que d’ex-Yougoslaves ne fassent leur apparition il y a une quinzaine d’année au grand dam des éleveurs.

Dès lors qu’un défrichement a lieu, un réflexe pavlovien fait saliver les apôtres climatiques qui prétendent que la forêt vierge serait un puit de carbone, ce qui est faux car telle qu’établie son bilan reste stationnaire. Les champs cultivés en seraient aussi définitivement dépourvus, ce qui est encore faux, surtout dans le cas de cultures pérennes comme l’est celle du palmier qui reconstituent un autre stock de biomasse. Du point de vue environnemental on laissera donc aux comptables carbonés ou spécistes le soin de nuancer ces propos catastrophistes.

Reste l’aspect corporatiste et prétendument défenseur d’une agriculture locale.  

diagramme
Importations d’huiles végétales en Suisse et production locale composée avant tout de colza et de tournesol utilisant une surface entre 28 000 et 30 000 hectares selon les années.

Alors qu’un hectare déforesté en Indonésie produit cinq tonnes d’huile, un hectare défriché en Suisse n’en produit qu’environ le quart, pas de la même espèce mais dans le même but lipidique. Pour que la production locale remplace les importations, il faudrait que la surface des champs dédiés aux huiles végétales passe de 29 à 130 mille hectares soient plus que quadruplés, passant de 12% à plus de 50% de la surface cultivée du pays. Au détriment de quelles autres cultures cela devrait se faire ? les syndicalistes agricoles se gardent bien de dire. Malgré la fixation dans l’accord de quotas les protégeant ils préfèrent se lamenter de concurrence déloyale alors que ce sont leurs mesures protectionnistes qui seraient déloyales vis-à-vis de leurs collègues indonésiens qui perdraient l’accès à un marché que l’agriculture suisse est pourtant incapable d’approvisionner par elle-même.

Les autres arguments assénés par le comité référendaire tiennent du mantra usuel, morgue sublime à propos de nos valeurs environnementales que ces freluquets asiatiques ne respecteraient pas, ingérences moralisantes dans la gouvernance de tel pays qui a justement besoin de prospérité pour accomplir des progrès sociaux et environnementaux, ou encore appels creux à la durabilité et à un monde équitable. Ils sont par ailleurs incapables d’accepter qu’une négociation équilibrée entre partenaires souverains ne concerne pas seulement des palmiers et des orangs-outans, mais des gens de part et d’autre du globe.

Abattre un bon accord négocié par l’AELE par protectionnisme et pour donner des leçons ? Non merci !


[1] AELE (Association européenne de libre-échange composée par l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège et la Suisse)

[2] 268 millions d’habitants (34x la Suisse), le plus peuplé des pays musulmans (234 millions).
PIB à PPA de $3 740 milliards (6.8x celui de la Suisse) ou $14 840 par habitant (4.4x moins que le Suisse).
Importations en Suisse 989 Mio Fr, exportations 488 Mio Fr.


Version un peu étendue d’un article publié dans la Tribune de Genève le 22 avril 2020.


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