Vrai ou faux falsifié, pollutions intellectuelles

Sujet de téléjournal [1], pas d’une actualité brûlante, mais il faut bien remplir sa demi-heure, de propagande, de pipole, ou d’autres sornettes.

Cette fois-ci on va connaître la vérité car ça commence par la question : vrai ou faux ?

3000 serait le nombre de morts causées chaque année en Suisse par la pollution. Après avoir précisé qu’il s’agirait de la pollution de l’air la journaliste répond catégoriquement : « plutôt vrai ! » et s’en remet à popoff [2], le populisme officiel, cette fois-ci venant de l’office fédéral de l’environnement qui se baserait sur le résultat de longues études faites en Suisse sur 10’000 personnes scrutées pendant vingt ans. Il serait donc démontré que près de 2000 à 3000 personnes ne seraient pas mortes prématurément si elles n’avaient pas respiré de l’air chargé de poussières fines. Il s’agirait donc d’un vrai problème de santé publique touchant, injustice supplémentaire, des personnes déjà fragilisées par des maladies cardiovasculaires. Pour appuyer le trait il est dit qu’en comparaison la circulation fait dix fois moins de morts que cette pollution. Pour conclure le sujet une séquence de cinq secondes est montrée, en noir et blanc avec des très sombres échappements de véhicules et de cheminées, accompagnée de ce commentaire dit par une voix sinistre : « en moins de cent ans la Terre est devenue plus sale qu’elle ne l’a jamais été en cinquante millions d’années. »

Clou bien planté, 10 sur 10 pour ce popoff d’instillation de la peur, merci et bonne nuit !

Il faut déjà un très long paragraphe pour exposer de quoi il s’agit. Alors que demi et contre-vérités sont dites chaque cinq secondes il n’est pas nécessaire de désosser lesdites études de cohorte pour se rendre compte des faits suivants.

Tout d’abord, toute mort est évidement prématurée, pour soi et pour ses proches, sauf si ces derniers attendent impatiemment un gros héritage.

Ensuite, alors qu’un accident de la route tue une personne en quelques fractions de seconde, les attestations de décès d’aucune des 63 938 personnes mortes en 2015 ne porte la mention « pollution par particule fine » comme cause du décès.

Alors de quelles morts parle-t-on ? De morts virtuelles !

Prématurées, mais comme nous mourrons tous : de combien de temps notre séjour dans cette vallée de larmes pourrait avoir été prolongé ?

Pour faire court, il y a une mécanique arithmétique qui lie risque de mortalité avec espérance de vie. La pollution atmosphérique ne tuant pas comme une balle de revolver, les études statistiques ont permis d’estimer, très grossièrement et sans grande spécificité, un ordre de grandeur de l’augmentation du taux de mortalité corrélé avec le degré de pollution, ce qui se traduirait en un potentiel gain d’espérance de vie si elle était éliminée, ou au moins fortement réduite. Ces 2000‑3000 morts virtuelles correspondent donc, en gros, à un risque augmenté de mortalité de 3 à 4,5%, ce qui indique que l’espérance de vie pourrait s’améliorer selon la tabelle ci-dessous :

Femmes Hommes
Espérance de vie
Années
Gain potentiel sans pollution
Mois
Espérance de vie
Années
Gain potentiel
sans pollution
Mois
À la naissance 84.8 3.0 – 4.6 80.7 3.5 – 5.3
À 65 ans 22.1 2.4 – 3.6 19.2 2.6 – 3.9
Tableau 1  Extrait des tables de vie, avec calculs pour risque de mortalité à tous les âges diminué de 3% et de 4,5%.
Source : Office fédéral de la statistique, données pour l’année 2015.

Si donc toutes ces études étaient valides et étaient capables de distinguer le risque de pollution atmosphérique par les seules particules fines des autres risques environnementaux –ce dont il est très permis de douter– un air tout à fait pur donnerait 3,0 à 4,6 mois de plus à vivre à une nouvelle née ; pour un jeune retraité de 65 ans c’est de 2,6 à 3,9 mois qu’il pourrait faire reculer l’heure de la fauche. Et souvenons-nous que la pureté n’est pas de ce monde, même naturel.

Rappelons pour tous ceux qui ne le savaient pas que l’espérance de vie à la naissance a progressé depuis l’an 2000 de 4,6 mois pour les bébés ♂ et de 27,6 mois pour les bébés ♀ (respectivement 26,9 et 17,5 mois pour les jeunes de 65 ans).

Autre fait, d’ailleurs vu sur le site de l’Office fédérale de l’environnement : contrairement au dernier commentaire de la séquence du téléjournal, la situation de la pollution atmosphérique en Suisse est en constante amélioration, la limite légale étant atteinte, même en milieu urbain à fort trafic. Les pointes et leurs durées restent un problème qui ne se résoudra qu’en déménageant les villes à la campagne.

Figure 1     Poussières fines (PM10) : moyenne annuelle en µg/m³
Source: OFEV

Alors : les particules fines sont-elles vraiment un problème majeur de santé publique ?

Est-ce responsable de parler de 3000 morts (vite relativisées à 2000-3000) parce que ça impressionne plus que quelques mois d’espérance de vie, confondus de toutes manières avec bien d’autres raisons de se faire plus ou moins de souci ?

Se préoccuper de la qualité de l’air ? oui.
Fixer des limites à atteindre, même ambitieuses ? oui, dans le cadre d’une évaluation de risques bien faite.
Faire de l’alarmisme popoff agrémenté de malhonnêteté intellectuelle ? il est temps que cela cesse !

 

Explications statistiques: Voir ici

_________________________

[1]     Du vendredi 31 mars à 19h30 : https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/vrai-ou-faux–la-pollution-causerait-chaque-annee-3000-morts-en-suisse?id=8509175

[2]     Populisme officiel : forme de désinformation officielle relayée fidèlement par les médias du service dit public et par d’autres encore. Voir ici.


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