Pour qu’un enfant se comporte bien il faut soit l’y éduquer, soit le prendre par ses intérêts, promettre une récompense ou menacer d’une punition. Plus tard il devient adulte et doit assumer lui-même ses responsabilités.
Les collectivistes de tous bords considèrent aussi comme mineurs les citoyens et les dirigeants d’entreprise. L’État n’a plus seulement besoin de moyens pour effectuer les tâches qui lui sont confiées –régaliennes, sociales ou d’infrastructure– mais il s’attribue un nouveau rôle, celui de l’orientation correcte, celle qui éduque les masses.
Il y avait le discours politiquement correct, il y a maintenant le comportement politiquement correct.
Les moyens de l’imposer ou d’y inciter sont d’une part la subvention, et d’autre part des taxes supplémentaires, dites incitatives. Dans le premier cas les coûts sont supportés par l’ensemble des contribuables, dans le deuxième c’est une activité particulière qui est ciblée afin d’inciter à sa diminution ou son abandon.
Ne parlons pas, cette-fois-ci, des subventions, méthodes trop souvent honteuses de distribution de prébendes et de corruption officielle. Elles ont surtout un arrière-goût électoral.
Dans le cas de la taxe incitative, sorte de subvention négative, il ne s’agit pas que l’usager paie pour ce qu’il use, ou que le pollueur se charge des coûts nécessaires à rendre propres ses saletés [1], il faut l’inciter, l’obliger, à changer sa manière de consommer ou de produire. Vu d’un œil négatif, c’est une punition anticipée ; vu d’un œil encore plus négatif c’est aussi le paiement pour un droit d’être incorrect.
L’idée même d’incitation suppose deux choses : que l’on sache ce qui est correct et ce qui ne l’est pas, et que l’on soit sûr que la taxe mènera au résultat attendu. Une telle taxation peut être justifiée par une vague idée d’une externalité négative qu’il faudrait compenser sous forme monétaire. Cela ajoute une difficulté supplémentaire, celle de quantifier la valeur nette (dommages – bénéfices) de cette externalité, paysage abimé, température plus élevée, santé publique potentiellement péjorée, ou biodiversité menacée.
Alors que d’éminents économistes glosent sur les attraits de cet instrument fiscal, jugé efficace en théorie, les rares exemples de son application ne sont pas encourageants [2].
Il y a la taxe sur le tabac, dont une infime partie est ensuite consacrée aux campagnes de prévention. Elle est sans limite, d’autant plus qu’il faut régulièrement l’augmenter pour continuer d’inciter les consommateurs à diminuer ou cesser leurs fumailles. Le coût élevé du paquet est une barrière pour les jeunes, cela contribue à ce qu’ils ne commencent pas, mais pour les adultes dépendants cela est moins clair, ils font un arbitrage en faveur de la cigarette même si leur budget est très serré. Depuis 2001 en Suisse, le taux de tabagisme est passé de 33% à 25%, chez les jeunes de 15 à 19 ans ce taux est passé de 36 à 24%. Cependant ces chiffres sont relativement stables depuis cinq ans signe qu’un socle aurait été atteint. Il aura donc fallu une taxation massue pour obtenir un résultat qui peut être qualifié de modéré. Cela est accompagné d’effets économiques corolaires comme l’augmentation de la contrebande et une orientation vers la cigarette roulée, moins chère. L’alcool fait aussi l’objet d’une taxe spéciale que l’on peut mettre dans cette catégorie d’incitation sanitaire. Il n’est pas sûr qu’on se saoule moins pour autant.
L’autre exemple est la taxe carbone, devant inciter les brûleurs à brûler moins. En Suisse elle n’est perçue que chez les consommateurs indigènes, les industries d’exportation thermiquement gourmandes en sont épargnées. Le produit de cette taxe est reversé en partie à la population sous forme de rabais sur les primes d’assurance maladie. L’État ne s’enrichit donc pas trop mais il augmente tout de même son pouvoir, de bienfait ou de nuisance à chacun de juger.
Dans beaucoup de pays les solvants volatiles ou autres activités polluantes font aussi l’objet de taxes (droit d’accise : pour couper) qui servent plusieurs objectifs, d’incitation négative mais aussi de financement de tâches générales de gestion du milieu ambiant ou des infrastructures.
Les droits d’émission de CO2 sont une variante. L’État fixe un quota d’émissions acceptables et délivre des certificats autorisant les émetteurs à émettre. Ces droits sont négociables à la bourse, celui qui aura fait des économies ou qui fermera boutique pourra les vendre à celui qui en a besoin pour croître. Une difficulté supplémentaire apparaît, celle de fixer le niveau ce quota. Trop haut il rend l’émission facile et l’économie peu attrayante, trop bas il met en danger la compétitivité et la prospérité des entreprises, ou incite à leur délocalisation en des terres moins écolo-ayatollesques. Le prix auquel le certificat sera échangé dépend de ce quota, mais pas seulement. Une fois ce marché mis en marche, et s’il a du succès, l’État devrait continuer de réguler le quota en rachetant des certificats devenus superflus pour les détruire afin de manipuler le prix en bourse pour le maintenir élevé. Une vraie usine à gaz pour une économie dirigée !
Dans un marché où il n’est pas possible de renoncer à consommer de l’énergie –donc les carburants qui la produisent– l’effet immédiat de cette fiscalité est le report direct des coûts qu’elle entraîne sur la facture du consommateur. Dans une économie où l’énergie représente 4,1% du PIB (Suisse 2015) la taxation devrait être très élevée pour devenir perceptible, ce que demandent les activistes écolos. Mais, principe premier de l’économie, on n’augmente pas les coûts sans avoir à payer des contreparties, le cadavre de la poule aux œufs d’or par exemple. Le politique doit donc modérer ses ardeurs, surtout s’il désire qu’une planète qui serait sauvée le soit avec encore quelques Suisses peuplant nos vallées.
Les consommateurs jouent un petit rôle, surtout si l’on s’abstient de leur raconter des historiettes morales au sujet de leur horrible footprint. Ils subissent les hausses de tarifs en grognant et en exigeant des augmentations de salaire leur permettant de combattre cette inflation. C’est là leur première réactivité, et la consommation d’essence de leur prochain véhicule SUV n’entre que peu dans leurs équations écolo-économiques.
L’entrepreneur est censé avoir une approche économique rationnelle. C’est en général le cas. Sa motivation première est de faire vivre son entreprise, de la faire croître, de développer sa compétitivité. Pour cela il doit entre-autre gérer ses coûts de production et faire des investissements rentables. S’il n’est pas aliéné par la subventionnite aigue, comme trop de greentechs actuelles, il ne prend pas de décisions en fonction de facteurs marginaux comme taxes et autres incitations. Au moment d’investir il le fera avec la meilleure technologie du moment, la plus efficace, aussi du point de vue énergétique. L’optimisation de ses performances est un de ses principes directeurs et on constate qu’au cours des derniers trente-cinq ans, l’efficience énergétique dans notre pays n’a cessé de s’améliorer, de 78% comme on le voit sur ce diagramme :
On peut constater que ce spectaculaire progrès n’aura pas été incité par des taxes qui n’existaient pas sauf en fin de cette période (composés organiques volatils dès 2000, carbone dès 2008).
Voilà une preuve sinon de l’inefficacité d’une taxe incitative, du moins de son inutilité.
Et puis il faut aussi tester l’intention sous-jacente du gouvernement régulateur devenant prescripteur. Combattre le tabagisme, l’alcoolisme ? Oui si c’est dans l’intention de prévenir la naissance d’une dépendance au moment de l’adolescence, période par définition peu responsable. Mais pour les adultes il faut toujours se poser la question préalable du libre arbitre et de la responsabilité individuelle : au nom de quel bien supérieur s’autorise-t-on à imposer, ou réprimer, un comportement ? L’espérance de vie ? de quelle vie ? La morale publique, laquelle ? Le coût induit de la santé ? pourquoi celui-ci et pas d’autres. Où finir quand on commence ?
Taxer des pratiques polluantes ? Les normes techniques ne sont-elles pas là pour justement définir un seuil de risque acceptable ? Faut-il alors appliquer une sorte de double peine : imposer des standards rigoureux mais raisonnables et taxer ces mêmes activités pour qu’elles diminuent ou cessent ? Il y a de l’inconséquence dans tout cela. Si les risques sont bien gérés aucune autre mesure n’est à prendre, et la taxe incitative sera superflue ; et s’ils restent inacceptables il faut soit interdire une pratique incorrigible (comme cela a été fait pour l’usage de fongicides à base de mercure, de phosphates dans les lessives ou de plomb dans l’essence), soit définir les conditions acceptables par des normes techniques adéquates. L’entreprise devra alors reconsidérer la valeur économique de ses activités une fois qu’elles auraient été mises en conformité avec ces nouvelles normes, ou alors abandonner l’activité en question.
Pour le CO2 c’est plus pervers que la lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme ou la pollution. Alors que rien n’est établi, ni la participation du gaz carbonique au réchauffement passé et futur, ni les effets que des réductions pourraient avoir, une hystérie collective –ou un plan de prise de pouvoir– a mené à l’adoption de mesures de restriction massive de l’emploi des combustibles fossiles, donc de l’énergie. Un dogme a été adopté par la communauté internationale, qui est devenu indiscutable.
Alors dans ce cas la taxe incitative est de toute manière le meilleur instrument ; c’est l’idéal du politique stérile et pusillanime qui se pare d’une pseudo responsabilité morale à faire n’importe quoi pourvu qu’il fasse quelque chose. Il sert un but équivoque, prescrit un moyen dont l’efficacité est plus que douteuse, permet une discussion sans fin sur la « vraie » valeur qu’il faut accorder à la tonne de CO2, crée une économie virtuelle avec laquelle des sommes immenses peuvent être détournées, et justifie un interventionnisme tous azimuts. L’étape suivante sera de qualifier de crime contre l’humanité tout tentative d’échapper à cet enfer écolo-fiscal.
Toute mesure incitative au comportement politiquement correct est entachée de défauts rédhibitoires : rien ne prouve que le but poursuivi soit le bon, rien ne prouve que l’incitation sera efficace, rien sauf l’arbitraire ne permet d’évaluer la valeur de ce qui devrait être évité, et personne n’a la moindre idée du niveau final à atteindre. Et surtout : rien n’autorise l’État à définir ce qu’est un comportement politiquement correct.
Une seule chose est certaine : dans l’opposition qu’il y a entre liberté et contrainte, c’est bien de la seule contrainte qu’il est question au nom d’un bien dont personne n’est qualifié pour le décréter supérieur, même pas une majorité du moment, même démocratique.
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[1] En France, taxe incitative signifie autre chose, c’est une forme progressive de la tarification des services publics, comme l’évacuation des ordures, plutôt qu’une taxe forfaitaire. Ils ont une Académie mais ça ne les empêche pas de mésuser de leur propre langue.
[2] Dans mon métier j’ai l’habitude que de bons résultats de laboratoire, obtenus en conditions bien contrôlées, doivent être confirmer par des essais à grande échelle, en plein champs, exposés à l’entier de la réalité du terrain. Il ne semble pas que ce soit nécessaire en sciences (sic) sociales et économiques, ou alors, accordons-leur cette excuse, que telle expérimentation est impossible à mettre en place, ou qu’elle ne serait pas éthique.
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