Il n’y pas plus raisonné que les enseignements qui découlent d’une doctrine religieuse. Les docteurs de l’Université Al-Azhar du Caire, qui sont les plus respectés mollahs de la foi musulmane sunnite, procèdent à de fines analyses pour, sur la base du Coran et des hadiths, orienter les fidèles dans les temps devenus modernes. La même chose se passe dans toutes les autres religions, hiérarchisées ou non. Dans les facultés de théologie des exégèses, dont la rationalité n’est pas à mettre en doute, expliquent comment les hommes et les femmes vivent et interprètent leurs fois, comment elles se comparent entre elles et comment elles ont évolué avec le temps.
S’exprimer de manière rationnelle sur la religion ne suscite pas que de la compréhension. Ainsi on se rappelle que Ratzinger, Pape Benoît XVI, avait soulevé un tollé dans son discours de Ratisbonne en 2006 où, alors que désirant souligner que « ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. », et citant un dialogue rude entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue avec un érudit musulman persan qui eut lieu à Ankara en 1391, il se fit accuser de lier foi musulmane et violence (ce que faisait l’empereur[1], mais pas Benoît plus de 600 ans plus tard). On voit dans cette anecdote qu’une expression raisonnable, faite avec des intentions toutes autres, peut attiser l’ire de ceux qui veulent se sentir critiqués, même s’ils ne l’étaient pas.
Pourtant toutes les analyses et exégèses des textes, toutes les réflexions à propos des religions au cours de l’histoire et dans les temps actuels ne sont pas, au fond, raisonnables. L’acte de foi, la croyance, est en effet un engagement sans raison, non pas déraisonnable dans le sens de folie ou d’égarement, mais dans lequel la rationalité est absente. Les profonds croyants seront d’accord avec cela car tous parlent d’une évidence, d’une révélation à laquelle ils attachent souvent l’adjectif indicible. Dans la vie dite courante cela ne les empêche pas, comme tout le monde, de se comporter avec rationalité, ou de faire le bien et le mal avec déraison.
L’avantage des religions ancestrales sur d’autres idéologies basés sur des croyances irréfutables est que les premières ont été testées par le temps, discutées à l’envi, et forment la base de civilisations fortes qui ont permis aux sociétés de se développer, même si des périodes de barbarie en entachent l’histoire. À l’intérieur de chacune il y a des intégristes qui prétendent la connaitre mieux que tout autre, dont beaucoup n’hésitent pas à utiliser la violence dans une guerre qui serait plus sainte que la guerre diabolique de leurs ennemis[2]. Ceux-là ont des croyances au carré, des dogmes à l’intérieur du dogme, et il est donc infiniment plus difficile d’engager un dialogue avec eux.
Avec la modernité, il est devenu moins nécessaire de se conformer à une foi bien cadrée par les usages et strictement contrôlées par les autorités, consistoires ou évêques dans le cas du christianisme. Les sociétés occidentales d’aujourd’hui sont caractérisées, sinon par une absence de foi, mais pour le moins par une indifférence et une grande passivité. La critique de plus en plus raisonnée des croyances religieuses, le Siècle des lumières et la laïcisation des états ont même pu permettre à l’athéisme de s’affirmer. La vie en est devenue plus difficile car chacun doit déterminer ce à quoi il veut ou non croire, alors que dans le bon vieux temps il n’avait pas à réfléchir là-dessus. Cette liberté coûte et peut aussi donner le vertige.
C’est alors qu’entrent en jeu de nouvelles croyances, des néo-religions. On les appelle des idéologies. Platon supposait un monde parfait que l’Homme ne savait pas imiter, les religions promettent un paradis ou un nirvana, les idéologies modernes s’attachent presque toutes à donner un sens à l’histoire[3]. Ce fut le marxisme avec le resplendissant futur d’une société sans classe, ce fut le fascisme dont l’empire aurait dû durer mille ans et qui, heureusement, s’est détruit en douze. Ces excès sont derrière nous, même si apparaissent constamment des tentatives de les faire renaître sous une forme ou une autre. La recherche de repères, la quête d’une référence, le besoin d’absolu font que la machine à produire de l’idéologie est toujours en pleine activité.
On pourrait se contenter de vivre une vie bonne et simple, de pratiquer un joyeux stoïcisme et se satisfaire de ce que nos sens et notre raison nous permettent de comprendre et de faire, de se réjouir d’être capable d’inventer et de progresser sans se soucier de grands et parfaits desseins. On pourrait s’organiser en une société de libertés, de respect mutuel et de responsabilité. Mais il semble qu’une telle ambition de simplicité, de relatif heureux, de modestie, de paix intérieure, ne satisfasse ni les angoisses existentielles ni les envies d’absolu et de grandeur. On hait les règles mais on désire s’en donner, souvent les plus strictes, et avant tout à imposer aux autres. Alors il faut inventer une cause qui mobilisera les individus, galvanisera les foules et permettra aux héros de se manifester. Et surtout qui donnera une bonne justification à toute prise de pouvoir et de contrôle sur la société.
C’est ainsi qu’au fur et à mesure que les pays se sont laïcisés de nouveaux concepts sont apparus. Celui d’une société mondiale fraternelle et en paix et d’une démocratie libératrice a été une des forces motrices du multilatéralisme, de la création de l’ONU et du développement de plusieurs de ses institutions dérivées. Le cynisme sous-jacent à la diplomatie du rapport de force et des intérêts nationaux doit, selon cette idéologie, être remplacé par le souci d’un idéal de bien commun planétaire. On reconnaitra pourtant que si la paix mondiale a été préservée depuis la dernière guerre mondiale, la dissuasion nucléaire et le droit de véto des superpuissances du Conseil de sécurité y ont joué un rôle bien plus prépondérant qu’un rameau d’olivier porté par une blanche colombe.
Aussi sont apparues des préoccupations d’ordre général : limites à la croissance, souci de la conservation de la nature, erreurs et excès des déploiements des technologies. L’écologie est née, qui a très vite été suivie d’une idéologie, l’écologisme. À une analyse critique et raisonnée de l’impact du progrès sur l’environnement s’est substituée une doctrine tendant, une fois de plus, à l’absolu. C’est le chemin inverse de celui suivi par les religions car celles-ci ont évolué du mystique initial au raisonné. Ce nouvel ordre idéologique est aussi apparu au moment où sautaient les verrous du totalitarisme soviétique, moment très opportun pour combler un vide qui déroutait les intellectuels, de gauche surtout.
Gaïa, ensemble symbiotique de tous les vivants et du minéral planétaire, n’est pas devenue la nouvelle déesse, mais presque. Pour les adeptes de l’écologisme les activités humaines doivent désormais être subordonnées à une priorité absolue, celle de la nature. Tout arbitrage entre pollution à tolérer et vie sociale et économique à développer n’est que trahison d’un idéal. On rencontre cela à chaque occasion, de l’incinération des déchets jusqu’au soi-disant sauvetage de la planète par l’arrêt de l’usage des carburants fossiles. Au lendemain de la COP21 de Paris les acerbes critiques des représentants du WWF ou de Greenpeace en sont un symptôme révélateur : il leur faut tout, ou alors viendra l’apocalypse. La cause anthropique prépondérante au réchauffement climatique n’a plus à être discutée, elle est maintenant inscrite dans une doctrine qui est déclarée irréfutable. Si ce n’est pas de la croyance dogmatique, qu’est-ce donc ?
Il en va de même du dogme du monde en perdition. Même le Pape s’y aligne dans son encyclique Laudato si’. Alors que la raison et les faits nous démontrent que jamais le bien être n’a été aussi élevé dans les couches les plus nombreuse de la population mondiale il faut affirmer et croire le contraire, et prédire que ça ne pourra être que pire. Si le verre idéalisé n’est pas plein à ras bord c’est la preuve de la malfaisance de l’Homme et de son manque de respect pour la Nature. Il ne sert à rien de montrer des diagrammes d’évolution de l’espérance de vie, de réduction de la pauvreté, de la baisse de l’analphabétisme, du recul de maladies infectieuses, du contrôle et de la réversibilité des pollutions, de progrès économiques et sociaux. Bien des problèmes restent, scandaleux et tragiques, mais il faut répéter : jamais le verre n’a été aussi plein, ou plutôt moins vide. Pourtant cela semble rester inaudible ; les faits, mêmes s’ils sont évidents, ne peuvent jamais battre le dogme obtus ?
Tout ça ne serait qu’anodin si ces néo-religions n’avaient pas une autre tendance, que les vielles ont dû abandonner[4], celle de la prise de pouvoir politique. Apparaît alors une nouvelle forme de fascisme, écologiste cette foi. Il est interdit de penser autrement ; à un système de gouvernements corrompus il faut substituer une alternative participative et civile ; une gouvernance mondiale doit assurer que personne ne dévie et que toutes les différences, appelées injustices, soient abolies. Voilà ce qui est demandé, exigé même par les nouveaux fanatiques et leurs compagnons de route. Et comme ils sont plus malins que les croisés du XII-XIIIème siècle, ils utilisent les institutions existantes et des moyens immenses de propagande pour faire progresser leur cause. C’est pourquoi l’accord de Paris sur le climat me fait froid dans le dos : pas tant que la modicité de la responsabilité humaine dans ses variations le rende futile, il est la manifestation de l’avance d’une idéologie dominante où la moindre critique ou hérésie est maintenant devenue interdite.
Dans toute les idéologies il y a les leaders, les ayatollahs, et il y a les compagnons de route. Le rôle des premiers n’est pas difficile à comprendre. Mais celui des seconds a toujours été un mystère. Qu’est-ce qui pousse une personne, par ailleurs raisonnable, à s’aligner et à soutenir des vues extrêmes alors qu’elle-même prétend abhorrer les fanatismes ? On constate souvent que les débats qui ont lieu (de moins en moins souvent) se font avec ces seconds couteaux, mieux entraînés peut-être à argumenter de façon plus avenante et selon les standards d’une société non encore convertie. En se montrant rassurant, en soulignant la valeur et la moralité de leurs propositions tout en en niant ou minimisant toute portée néfaste, en diffamant ceux qui critiquent, ils se prêtent au jeu de la désinformation. On sait, ils doivent savoir, que le lendemain du grand soir ils passeront à la trappe, mais cela ne les empêche pas de s’engager sur ce chemin-là. Phénomène de groupthink, besoin de reconnaissance, peur d’être du mauvais côté, discipline tribale, appât du gain, les motivations de cette masse volontairement moutonnière restent indiscernables.
Il va être difficile de reléguer cette religion écologiste à ses grand-messes, pique-niques et autres manifestations participatives et alternatives. Cela a coûté des siècles pour mettre le Pape à sa place dans les quarante hectares du Vatican, et encore il y a des récidivistes, comme ce François-là, très tenté par l’exercice de la manipulation politique. Les COPxy et conférences similaires vont se succéder, lors desquelles les peuples se soumettront, progressivement mais sûrement, à cette néo-religion et ses tentatives de prise de pouvoir. C’est pourquoi il faut résister, en refusant par exemple de ratifier l’accord de Paris ou tout autre traité, même peu contraignant au début, qui abonde dans le sens de doctrines injustifiables et irréfutables et, hélas, devenues dominantes.
L’ataraxie n’est pas pour demain.
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[1] Et ce que fit aussi le général Sisi, président égyptien, au début 2015 en demandant aux docteurs d’Al-Azhar d’étudier et de se prononcer là-dessus.
[2] ¿De dónde sacáis la evidencia de que vuestra guerra santa es más santa que las guerras diabólicas de vuestros enemigos? Manuel Vázquez Montalbán, Milenio Carvalho.
[3] Lire K. Popper, La société ouverte et ses ennemis., Résumé en français, Seuil, 1979. Original anglais Routledge, 1943. Le temps mis pour qu’une traduction, même écourtée, soit disponible en français est révélatrice de l’état d’esprit des clercs français, presque tous compagnons de route du communisme soviétique à cette époque.
[4] Sauf l’Islam, et là se trouve un des plus grands problèmes entre le reste du monde et cette religion.
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