Responsabilité et développement durable.

La responsabilité est un concept du droit et de la morale. Réparation et punition sont demandées en cas de conduite irresponsable. Du point de vue moral divers contextes culturels prescrivent des normes qui sont souvent irréconciliables. L’idée de porter aujourd’hui une responsabilité pour un développement durable semble au premier abord raisonnable voire moral. Et pourtant c’est une posture arrogante et absurde car nos connaissances sont limitées et notre aptitude à prévoir est nulle. Les générations futures n’ont pas besoin de notre sollicitude et elles inventeront des solutions à des problèmes dont nous n’avons même pas encore conscience. Il est grand temps de s’opposer au diktat totalitaire du « paraître durable ou ne pas être ».

Dans les cultures et les pays où les règles du droit sont définies et acceptées démocratiquement, le principe de responsabilité concerne trois domaines plus ou moins distincts : civil, pénal et moral.

Chaque personne adulte et apte au discernement engage sa responsabilité dans tous les actes qu’elle commet. Collectivement, des sociétés, associations, ou administrations publiques sont aussi responsables de leurs actions, mais dans le domaine civil seulement.

Lorsque l’on faillit à ses obligations, viole la loi ou rompt ses engagements il faut alors en répondre en offrant réparation ou compensation, et aussi en acceptant le cas échéant une juste punition qui aura, on l’espère, un effet édifiant pour le responsable, rassérénant pour le lésé, et dissuasif pour ceux qui seraient tentés de commettre de similaires méfaits. Cela ne peut se passer que si le responsable est présent pour répondre et rendre compte de ses actes et que si le lésé est en mesure de démontrer une causalité entre le dommage subi et les actions (ou l’inaction) de celui qu’il considère comme responsable[1].

Celui ou celle qui s’engage à la direction d’une entreprise ou d’un gouvernement devra régulièrement rendre des comptes à ceux qui lui ont confié ces tâches, ce qui sera sanctionné par la décharge que l’assemblée annuelle d’une société donne à ses administrateurs ou par la réélection – ou non – d’un politicien au terme d’une législature. Cette responsabilité formelle est donc bien limitée dans le temps.

Quant à la responsabilité morale elle touche à des valeurs moins clairement définies, d’ordre philosophique ou religieux. C’est en fin de compte selon le point de vue de l’observateur que l’action d’un tiers sera qualifiée de morale, amorale ou immorale. Par exemple dans la culture occidentale l’égalité entre les sexes est un principe moral maintenant généralement établi, quoique non parfaitement mis en œuvre. Mais dans d’autres cultures la soumission de la femme à l’autorité absolue de son père puis de son mari n’est pas du tout considérée comme immorale, bien au contraire car celle qui s’affranchirait de cette soumission mériterait une punition allant jusqu’à la mort en cas d’adultère. Ce que l’un peut considérer comme barbare à l’aune de son échelle de valeurs sera qualifié de normal par un autre. Et contrairement aux idées reçues (occidentales) il n’y a pas de critère objectif pour préférer un ensemble de valeurs à un autre. Cela mène à des positions irréconciliables pour lesquels les hommes[2] se sont fait la guerre et se la feront encore longtemps. En ce domaine les mentalités n’ont pas de destin à évoluer dans un sens préférable à un autre. Si elles changent de manière durable c’est parce que les sociétés sont en perpétuel débat, remise en question d’elles-mêmes, et apprentissage et découverte de la vie (heuristique). Et si elles ne changent que de manière éphémère alors il ne s’agit que d’un phénomène de mode ou d’opportunisme politique, mais qui peut avoir des conséquences terribles pendant sa relativement courte durée (12 ans de pouvoir nazi, 70 ans de soviétisme).

Après cette longue introduction il faut maintenant lier les deux termes du titre de ce texte, ce qui est fait en en posant la question suivante : y-a-t-il aujourd’hui une responsabilité à porter pour des actions ou inactions qui pourront avoir, plusieurs générations plus tard, des conséquences bénéfiques ou funestes ?

Prenons tout d’abord une perspective historique. On sait que depuis environ 12’000 ans l’agriculture a transformé le paysage, la faune et la flore sur environ 10% de la surface de la planète. Aucune des variétés cultivées aujourd’hui dans le monde ne se trouve telle quelle dans la nature, toutes sont le résultat de mutations et sélections effectuées par l’homme. Avons-nous aujourd’hui à porter un jugement moral sur les générations antérieures qui sont la cause de changements profonds faits à notre écosystème ? Est-ce utile de les blâmer ou de les louer ?

Autre exemple : dès le début de l’industrialisation il y a environ deux siècles et demi l’exploitation des ressources naturelles et les rejets de déchets ont donné lieu à des dégâts et pollutions, dont certains peuvent être considérés comme peu réversibles. Les acteurs de l’époque n’avaient pas conscience de l’impact sur la nature qui résulterait de leurs activités, bien qu’ils eussent pu les imaginer, ce que certains Cassandre prédisent toujours. Mais même si aujourd’hui, donc à postériori, nous connaissons mieux cet impact, faut-il pour autant s’en prendre aux générations précédentes pour les accuser d’irresponsabilité ? Et si on le faisait, un procès pourrait-il avoir lieu pour demander réparation et punition ? Bien au contraire, tout en sachant ce qui a été plus ou moins bien fait, nous sommes en général reconnaissants à nos ancêtres de ce qu’ils nous ont transmis, nous savons évaluer le contexte historique de leurs actions, et même en certains cas nous en tirons une certaine fierté familiale, tribale ou nationale. Nous ne jugeons pas les a priori des anciens selon nos connaissances a posteriori d’aujourd’hui. Pourquoi nos descendants penseraient-ils autrement à notre sujet ?

Si l’on passe maintenant à la prospective il nous est demandé au nom du développement durable de considérer nos actions en tenant compte non seulement des besoins et intérêts de notre génération mais aussi de ceux des générations futures[3]. Les a posteriori de demain seraient donc à juger avec les a priori d’aujourd’hui.

Au premier abord cette injonction semble raisonnable, voire morale. J’y ai longtemps adhéré sans trop réfléchir. Elle tient compte de la finitude des ressources terrestres et des possibles irréversibilités que l’homme peut provoquer, surtout s’il le fait en ayant, du moins partiellement, connaissance des enjeux.

Mais en deuxième lecture elle est relève de l’arrogance et de l’absurdité.

Arrogance tout d’abord. Décréter aujourd’hui ce qui est ou non durable – donc souhaitable ou à prohiber – suppose que nous sachions mieux que nos descendants ce qui devra être leurs choix et priorités dans le futur. C’est un comportement similaire à celui de cette mère abusive qui prétend protéger son enfant en l’étouffant ; à prétendre mieux savoir elle suppose l’inaptitude de son enfant à se développer par lui-même. Non seulement nous voulons exercer un contrôle sur nos actions présentes mais aussi nous voulons ici et maintenant déterminer le bien ou le mal pour nos descendants, en quelque sorte leur imposer des vues actuelles qui auraient valeur universelle et éternelle.

Absurde et imbécile aussi. Tout d’abord, la génération actuelle n’est pas d’accord entre elle sur à peu près tous les sujets. L’utilisation de l’énergie nucléaire, les modifications génétiques, les appréhensions du rôle de l’homme sur des changements climatiques, les modèles de santé publique, les priorités de développement : rien ne fait aujourd’hui consensus. Ou alors il y a si peu de consensus que le concert des nations tient plus de la discordance dodécaphonique que de l’harmonie symphonique. Cela révèle aussi notre totale inaptitude à savoir si ce que nous faisons aujourd’hui aura ou non un impact significatif et durable et si cet impact sera bénéfique ou destructeur. Le cas actuel le plus discuté[4] est l’influence anthropique (causée par l’homme) sur le changement climatique: impact significatif ? Si oui, catastrophique ou avantageux ?

Aussi nous n’avons pas la moindre idée des avancées scientifiques et techniques qui viendront. Pourtant si l’on considère l’histoire du dernier siècle on peut pourtant raisonnablement s’attendre à des progrès spectaculaires dont nous sommes incapables d’en anticiper la nature. Ceci n’est pas une prédiction mais une mesure sobre de notre ignorance actuelle. Par exemple nous savons dépolluer des eaux usées, ce qui ne se connaissait pas il y a un siècle et ne se pratique que depuis cinquante ans environ. L’ignorance d’alors ne savait ni anticiper les problèmes du lendemain ni les solutions du surlendemain. Comment donc notre ignorance actuelle nous donnerait-elle la préscience de l’avenir ?

L’absurdité rejoint donc l’arrogance en n’ayant pas confiance que les générations futures sachent mieux se gérer que nous n’en sommes capables aujourd’hui. Et, sachant que renverser des dogmes trop fortement établis coûte de pénibles et sanglantes révolutions, nous serions bien conseillés d’avancer avec circonspection dans des domaines que personne aujourd’hui ne maîtrise. Donner du temps au temps.

Le développement durable est un concept mou, qui ne signifie pas grand-chose, en tous cas pas la même chose pour tous. Avec la portée à long terme – en tous cas bien plus longtemps que ne durent une ou deux législatures ou l’emploi moyen d’un chef d’entreprise – qui est lui alléguée aucun responsable n’aura à rendre des comptes. C’est donc un instrument politique bien pratique, populiste et démagogique, car il n’engage en fait à rien.

A rien, vraiment ? Si ce n’est de s’offrir en otage à des activistes qui, eux, ont un agenda de prise du pouvoir.

Ces fascistes-là ont toujours raison et savent quel est le bien à forcer dans la gorge de l’humanité. Greenpeace, WWF et leurs idiots utiles d’une élite intellectuelle autoproclamée, ces ONG sont à dénoncer et leurs actions doivent être mises sous surveillance et contrôle aussi attentifs que pour les associations de malfaiteurs et les groupes intégristes de tous bords qui terrorisent les populations. Leur propagande et leur désinformation sont à relever et déjouer, ce qui n’est pas une simple tâche car leur organisation est exemplaire : noyautage des organisations gouvernementales et intergouvernementales, lobbies de tous genres, lavage de cerveau des enfants avant qu’ils ne puissent avoir un esprit critique, racket des entreprises, marketing émotionnel pour collecter des fonds. Ils veulent que les ressources disponibles soient immédiatement et massivement orientées vers leurs priorités, ils décrètent que tout autre choix est immoral et irresponsable, alors qu’eux ils ne répondent de rien devant personne, et qu’ils n’ont aucune légitimité de plus qu’un club de pétanque.

Mais attention : c’est maintenant le moment de mettre en garde le lecteur !

Celui qui aura tendance à sympathiser avec les thèses qui sont exposées ici va s’en faire l’apologiste ; même si cela flatte c’est un peu trop simple. Celui dont la partie reptilienne du cerveau réagit de manière spontanément défensive va vite se croire autorisé d’y lire ce qui n’y est pas exprimé, ce qui l’induira à dire ou écrire des bêtises, éventuellement de révéler une forme de paranoïa et les mauvais sentiments qui l’habitent au profond de lui-même. Ma recommandation dans les deux cas: réfléchir, prendre son temps, ne pas baver ni éructer trop vite, même si ça demande quelque effort.

Il n’est pas écrit ici que le développement doive se faire de manière sauvage, délibérément risquée et polluante.

Il n’est pas écrit ici que rien ne doive être entrepris pour éviter des souffrances humaines et des atteintes à l’environnement intolérables.

Pas plus qu’il n’est écrit ici que toutes les préoccupations écologiques ne soient que des fantasmes ou des fascismes déguisés.

Mais il n’est pas non plus écrit ici que les souffrances humaines devraient être subordonnées à une valeur supérieure, celle d’une prétendue ‘Conservation de la Nature’ (sic).

Le développement a lieu, qu’on le désire ou non, il n’est pas qu’économique ni qu’au profit des uns et qu’au détriment des autres, il n’oppose pas le riche au le pauvre ou le capital au travail, vieux lieux communs marxisants dépassés par la réalité. Les peuples impliqués sont responsables d’eux-mêmes et n’ont pas à se faire imposer une ligne de conduite par d’autres, qui oublient un peu vite les errements par lesquels ils ont passé et passent encore. Et si par des aides bien ciblées on permet un développement plus rapide, d’éviter des erreurs connues et de faire des progrès plus significatifs, alors tant mieux.

Il est remarquable que les partisans du multilatéralisme et d’une gouvernance supranationale soient ceux qui ont une solution à imposer aux autres. Et lorsque cette solution passe par l’interdiction du progrès cela ressemble terriblement à Didi, le fils fou du bon Dr Wang dans « Le lotus bleu », qui veut couper la tête de Tintin, puis plus tard celle de Milou, pour leur révéler la voie qu’il a trouvée. Et pourtant il leur voulait du bien !

Ceux qui, ouverts au monde, savent que leur culture est particulière, donc non universelle, ceux-là sont plus prudents, moins absolus, moins dominateurs. Ces sont les vrais libéraux, qui aujourd’hui doivent sortir de leur torpeur tolérantiste[5] pour s’opposer avec force aux injonctions infondées des néo-fascistes que sont les activistes prétendument écolos. Comme bien d’autres, leur Djihad n’est pas à respecter, il est à combattre.

Pourtant beaucoup de gouvernants et de dirigeants d’entreprise, après avoir montré quelques réticences, ont choisi la facilité du culte du développement durable sans savoir trop bien pourquoi ni comment, sauf que c’est « dans l’air du temps », que ça pourrait amener du grain à moudre, et que s’y opposer présente le risque d’être mis au pilori. Il faut qu’ils se réveillent et aient le courage de remettre à leur place – le placard – les corps qui se sont constitués pour profiter des aubaines qu’offre cette mascarade, renoncer à l’illusion de porter une responsabilité morale, et cesser de croire que, même si c’est pour de mauvaises raisons, les actions engagées soient porteuses d’un renouveau économique ou d’un espoir de salvation de la planète. Les pires exemples en sont la sortie du nucléaire, les moratoires ou interdictions définitives des plantes génétiquement modifiées, la transition énergétique (sic), les taxes ou certificats carbone, la subordination de subventions à de douteuses « prestations pour l’environnement », les multiples rackets de labels et autres certificats (footprint, etc.). Bien que tout n’y soit pas nécessairement que mauvais et que certains programmes puissent être raisonnablement justifiés, il faut veiller que rien se soit soumis au diktat catégorique et dogmatique du « paraître durable ou ne pas être ».

Il est urgent et important que les dirigeants du monde politique et économique démontrent leur leadership, prennent leur vraies responsabilités et stoppent ces arrogantes absurdités, sont-ils prêts à relever un tel défi ?


[1] Il y a bien sûr des milliers d’articles de loi et une abondante jurisprudence à ce sujet, mais discuter cela est une autre affaire.

[2] Les femmes y contribuent aussi. Que le lecteur veuille bien considérer que dans ce présent texte le masculin peut, mais ne doit pas, impliquer le féminin, et vice versa. La grammaire ne se soucie pas d’égalité mais il est utile d’ [essayer d’] en suivre les règles.

[3] “Humanity has the ability to make development sustainable to ensure that it meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs.” Bruntland’s report Our Common Future to the UN, 1987, http://conspect.nl/pdf/Our_Common_Future-Brundtland_Report_1987.pdf.

[4] Malgré ceux qui prétendent que la science est claire et que la messe est dite.

[5] Tolérantisme : posture de systématique acceptation de positions opposées à la sienne. Au contraire de la tolérance qui, elle, a des limites claires.


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