L’empire US plus féroce que jamais

L’américanophilie qui fut cultivée après la Seconde Guerre mondiale a bien vécu… tant que le monde était simple, au point d’opposer deux blocs : le libre et démocratique, et le soviétique totalitaire. Chacun accusait l’autre d’impérialisme, et chacun avait donc raison. Si la guerre était froide, la bataille culturelle était vive. On se souvient ainsi des émissions de la radio Voice of America, des productions hollywoodiennes, des Peace Corps, ou de l’éviction du spectre Allende par le hochet Pinochet. Mais les héritiers du Komintern ne restaient pas inactifs en Afrique décolonisée, en Amérique latine et en Europe, avec une école de philosophie allemande qui en était son idiot utile et qui, entre autres, allaita un terrorisme affirmé et l’agitprop du fameux « Lieber rot als tot » des mouvements pacifistes contre l’implantation de missiles Pershing en Europe de l’Ouest. Il y avait certes les « pays non alignés » desquels émanaient plutôt des relents d’influence moscovite et d’anti-américanisme que l’inverse.

Puis, le mur tomba et le rideau de fer fut levé. La fin de l’histoire fut alors déclarée prématurément. Il ne restait plus qu’à installer la démocratie dans un monde resté politiquement infantile.

L’illusion d’un multilatéralisme s’est développée au sein d’institutions de l’ONU, avec des succès bien relatifs et des échecs tonitruants, en particulier dans les actions de maintien de la paix. L’Organisation Mondiale du Commerce fut enfin créée qui, même boiteux, est un canard plus utile que s’il n’existait pas et qui demande à être revitalisé. L’oncle Sam jouait volontiers à ces jeux, tant qu’ils servaient ses intérêts, y compris en Europe par le truchement de l’OTAN. Systématiquement vouée à ne pas être résolue par ses protagonistes directs, la question du Proche-Orient ne préoccupait plus Washington. Au début de son mandat, George W. Bush refusait l’interventionnisme et déclarait que les USA n’avaient pas à être le « policier du monde ».

L’émergence de l’islamisme par le salafisme et les massacres des années 90 en Algérie et l’extension de sa portée par un terrorisme multiforme, puis par un État voyou, changèrent fondamentalement la donne. L’interventionnisme américain prit une nouvelle dimension.

Après avoir donné des signes de grande faiblesse militaire (Afghanistan, marasme en Irak et en Syrie) et d’incapacité diplomatique (dialogue manqué avec Moscou, de sourds avec Pékin), des régimes de sanctions furent imposés à l’Iran et à la Russie dont les effets semblent contre-productifs. Le soutien indéfectible à Israël est allé jusqu’à ignorer toute limite qu’un gouvernement extrémiste ne fait que dépasser et celui à l’Ukraine consiste en une tentative d’endiguement de la Russie, associée à de grosses commandes dont le complexe militaro-industriel se réjouit. Les États-Unis sont plus impériaux et bien plus belligérants que jamais.

Si l’élection de Donald Trump avait pu laisser penser que les choses changeraient, ce simple tweet (ou Xweet) du 1er décembre donne un autre ton :

Traduction : L’idée que les pays BRICS essaient de s’éloigner du dollar pendant que nous restons les bras croisés est TERMINÉE. Nous exigeons que ces pays s’engagent à ne pas créer une nouvelle monnaie BRICS, ni à soutenir une autre monnaie pour remplacer le puissant dollar américain, sinon ils seront confrontés à des droits de douane de 100 % et doivent s’attendre à dire adieu à la vente dans la merveilleuse économie américaine. Ils peuvent aller chercher un autre « pigeon » ! Il n’y a aucune chance que les BRICS remplacent le dollar américain dans le commerce international, et tout pays qui essaierait devrait dire adieu à l’Amérique.

Pour ceux qui ne voudraient pas comprendre, il s’agit là d’une déclaration des plus importantes qui réaffirme une politique américaine résolument impérialiste.

Donald Trump a compris que, à la suite de sanctions imposées à la Russie, les systèmes de paiement alternatifs au système SWIFT, le russe SPFS, le chinois CIPS ou l’iranien CEP, n’étaient pas de simples mécanismes destinés à contourner ces sanctions, mais bien une attaque contre l’empire. Et cela est insupportable, pas seulement à lui-même, mais à toute la classe politique américaine, tous bords confondus. Cependant, formulé comme une rodomontade, cela marque une certaine fébrilité, et les droits de douane sont une arme à double tranchant qui peut coûter très cher à ses concitoyens. Jadis, Rome déléguait sa gouvernance locale à des proconsuls et célébrait des triomphes pour les généraux vainqueurs aux marches de l’Empire. Cela n’est plus nécessaire aujourd’hui ; un seul individu, avec un état-major restreint et beaucoup d’informatique, peut mener cela depuis Washington. L’envoi de troupes n’est même plus nécessaire ; et s’il le faut, il ne s’en empêchera pas.

Il y a deux réponses possibles à ce chantage : en Europe, baster et obéir, bien entendu. Ailleurs, il sera intéressant de voir si les BRICS de Poutine, Xi Jinping et autres Modi plieront ou relèveront ce défi. La vie politique n’est pas faite que de pesées d’intérêts économiques à court terme, mais bien de conditions cadres permettant la prospérité à long terme. Dans ce sens, c’est un avantage pour les autoritaires ou les totalitaires de ne pas être exposés à des embuches électorales et de ne pas avoir d’équilibres politiques à respecter. Se permettront ils un affrontement contre les États-Unis dont l’endettement zillionaire pourrait se révéler être son talon d’Achille ? C’est peut-être possible dans un conflit dont l’issue ne se règle pas avec la force de frappe nucléaire. Quant à Milei, l’anarcho-capitaliste, s’il est fidèle à lui-même, il ne goûtera pas non plus à ce tweet qui n’invite pas à ¡viva la libertad, carajo !


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