Décarbonisation : une tendance vouée à s’éterniser

Une question nous taraude : pourquoi nos dirigeants se fixent des objectifs impossibles à atteindre ? Il en est ainsi de la mise à zéro des émissions de gaz à effet de serre avant 2050. Rien ne montre que ce soit faisable et pourtant moultes études de complaisance n’osent pas souligner cet inconvénient pourtant majeur.

Les plus sceptiques du climat ne réfutent même pas qu’il serait bon que le Monde n’ait plus à dépendre des combustibles fossiles pour énergiser ses activités. Bien qu’encore abondantes, les ressources sont finies et les pressions géopolitiques obligent à des soumissions détestables. Les clameurs d’une urgence climatique exigent aussi de s’y mettre en priorité.

Une fois de plus, et de trop, j’ai pu analyser selon mes angles de vue les dernières données sur l’énergie dans le Monde [1]. Tout d’abord il m’a fallu corriger une faute grave que commet l’Energy Institute, faute qu’il a reprise de BP qui auparavant publiait ces statistiques. Sans entrer ici dans les détails, la part des énergies d’origine fossile dans le mix énergétique mondial est proche de 89 % et non de 82 % comme le laisserait entendre cet institut. Cela augmente d’autant plus la taille du défi posé par l’objectif de décarbonisation. 

Le diagramme montré dans le titre de cet article [2] dit tout ce qu’il faut savoir : la dépendance est élevée et diminue au rythme moyen de 0,27 % chaque année. Une simple division laisse entrevoir qu’au rythme où ça se passe, il faudrait patienter pendant 330 ans pour arriver à zéro. C’est bien évidement absurde !

Mais l’absurdité n’est pas là où on le pense car si une accélération de ce rythme est constatée, elle est minime et péjorée par de gros contributeurs ­– Chine, USA, Canada, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Afrique du sud. Même en le désirant, il n’est pas facile d’accélérer le pas car trois ressources sont rares : les capacités industrielles, les cerveaux, et les moyens financiers. Il n’y-a-pas-qu’à, le volontarisme reste un tigre de papier.

D’autres barrières s’opposent aussi. La démographie est toujours en croissance – de 1 % par an, sauf au Japon et en Russie – même si elle ralentit au fur et à mesure qu’une société s’enrichit, ce qui est alors accompagné par un vieillissement des populations.

La croissance économique (+2,3 % par an) n’est pas non plus telle que l’on puisse distribuer tous ses dividendes au seul secteur de l’énergie, même dans les pays les plus affluents. Les années sont passées où la Chine aveuglait les perspectives avec des taux à deux chiffres. Et pourtant, c’est une forte croissance qui serait nécessaire pour pouvoir financer ces travaux pharaoniques, si tant fut que les pharaons ordonnèrent de les construire afin qu’ils soient utiles à autre chose qu’au ministère égyptien du tourisme d’aujourd’hui.

Pour effectuer une transition, il y a une période pendant laquelle il faut utiliser les ressources actuelles afin de mettre en place l’exploitation des nouvelles. Sinon la transition n’aura jamais lieu. Cette période est plus longue qu’une remise à zéro d’un jeu vidéo. L’inertie d’un système n’est pas un signe de mauvaise volonté mais de sa taille, qu’il faut savoir considérer [3].

La revue de l’énergie montre ainsi que la croissance de la consommation doit encore se fonder à 60% sur les combustibles fossiles. Ce n’est pas un scandale provoqué par des lobbies mais un paradoxe que les faux ingénus de Gaïa et les Oulémas du climat ne peuvent pas entendre : plus on fabrique des panneaux solaires ou des moulins à vent, plus il faut utiliser ces fossiles, et ce même en proportion plus élevée que la moyenne car les pays où se fabriquent les composants de ces engins ne sont pas ceux qui sont à l’avant-garde desdites renouvelables.

Ce qui est impayable n’est pas un problème, dira-t-on, il suffit de ne pas consommer, donc de n’avoir rien à payer. Ou alors il suffit de ponctionner les riches. Ou encore il faut taxer les fossiles pour se payer les autres. Le hic dans ces propositions est que ça ne marche que dans les salons des bêtas irresponsables qui les formulent. Certes, des euphémismes réduiront les effets d’une facture salée qu’il faudra pourtant régler, des comptabilités savantes excluront les subventions des dettes à payer, et l’on parlera de sobriété plutôt que de rationnement tout en appointant des soviets de quartier ou autres imbécilités artificielles pour mener l’inquisition des comportements. Rien de cela ne rendra le but atteignable en trente ans, ni même en trois siècles. Et ce but : en vaut-il cette chandelle ?

Lorsque l’on dû dire au général que son cheval n’était pas prêt, il répondit tout de go et avec bon sens qu’il irait à pied. Les généraux, eux, savent faire face aux réalités car ils connaissent les affreuses conséquences de l’obstination.

Ce qui est absurde et qu’il faut corriger, c’est le but fixé. Pas tant celui de réduire les émissions, mais de prétendre réaliser cela d’ici 2050. Au bout du compte, nos arrière-petits-enfants qui seront aux manettes au tournant du siècle devront s’accommoder d’un climat changé, un défi en soi, mais aussi continuer à réduire l’emploi de ressources fossiles, une tâche constructive. Et si, d’ici là, le décompte n’est pas arrivé à son terme, cela signifiera que ce billet de blog n’était pas trop faux.


[1]     Voir ma version pour 2022 « Énergie, tournant ou continuité ? »

[2]     En abscisse la part actuelle des fossiles dans le mix énergétique du pays ou de la région [%].
En ordonnée la vitesse annuelle moyenne à laquelle cette part a diminué au cours des cinq dernières années [%/a]
La surface des disques est proportionnelle à la quantité d’énergies primaires consommée dans la région ou le pays.

[3]     Exemple : un réacteur EPR moderne de 1650 MWe, fournira environ 12, 3 TWh par année. Pour remplacer en vingt-sept ans la production d’électricité effectuée en 2022 à l’aide de combustibles fossiles (17 677 TWh), soit 655 TWh chaque année, il faudrait mettre en service un de ces réacteurs dans le monde chaque semaine. Il y a actuellement 55 réacteurs en construction qui produiront 455 TWh par an et devraient être mis en service jusqu’en 2030. Le compte n’y est pas, de loin !
Et ça ne représente que le tiers du problème car il reste aussi à remplacer l’usage des fossiles dans les transports, les chauffages et autres processus industriels.


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4 thoughts on “Décarbonisation : une tendance vouée à s’éterniser”

  1. Malheureusement, il semble que votre proposition de corrections des données des composantes des énergie primaires de EI/BP (dans votre article « Énergie, tournant ou continuité ? ») ne soit pas faite de la meilleure façon. Il faudrait certes, amender celles de EI/BP, mais autrement…

    Prenons seulement le cas de la Suisse et de ses chiffres qui font foi.
    Selon la « Statistique globale suisse de l’énergie 2022 » (parue le 7 juillet, voir le tableau 14, p. 21) de l’OFEN, on a ceci :
    énergie primaire totale (consommation brute) : 1.025380 EJ (importation d’électricité comprise !)
    charbon : 0.003850 EJ, pétrole : 0.372720 EJ, gaz : 0.106720 EJ, donc total fossiles : 0.483290 EJ (soit 47.1%), nucléaire : 0.252140 EJ (soit 24.6%), hydraulique : 0.120600 EJ (soit 11.8%), autres REN : 0.050920 EJ (soit 5.0%), etc.

    EI/BP donne : énergie primaire : 1.05 EJ, total fossile : 0.49 EJ (soit 46.7%), nucléaire : 0.21 EJ (soit 20%), hydraulique : 0.28 EJ (soit 26.7%), autres REN : 0.07 EJ (soit 6.7%)

    Vos chiffres : énergie primaire : 0.89 EJ, total fossile : 0.49 EJ (soit 55.5%), nucléaire : 0.26 EJ (soit 28.9%), hydraulique : 0.11 EJ (soit 12.7%), autres REN : 0.03 EJ (soit 2.9%)

    De la comparaison des trois jeux de données, il ressort que les chiffres de EI/BP sont proches de ceux de l’OFEN pour l’énergie totale et pour la part des fossiles (soit autour de 47%), une valeur relative que vous surestimez fortement à 55.5% puisque vous sous-estimez fortement ( de -13.2%) la valeur absolue du total.
    EI/BP sous-estime le nucléaire (en valeur absolue et en valeur relative) et vous le surestimez (un peu en valeur absolue et beaucoup en valeur relatives).
    Pour l’hydraulique, EI/BP surestime fortement et vous êtes presque correct.
    Pour les autres REN, EI/BP surestime et vous sous-estimez.

    On semble tomber de Charybde en Scylla…

    1. Pas d’accord du tout !
      Mélanger deux statistiques n’apporte que de la confusion, surtout avec les Suisses qui cherchent le contenu primaire d’énergies secondaires importées. Ce n’est pas faisable dans une statistique globale, à moins de créer une nouvelle organisation mondiale du commerce dédiée à compter les joules.
      Il ne s’agit pas non plus de savoir si l’un ou l’autre sur- ou sous-estime ceci ou cela, qui serait le juge détenteur de la vérité ?
      Il faut simplement corriger une faute ou une astuce que BP avait instituée pour montrer ses fossiles plus bénins qu’ils ne sont. Attribuer auxdites renouvelables un rendement fictif de consommation d’énergie primaire qui serait le même que celui d’une machine thermique n’a pas d’autre sens. C’est ce qui est corrigé dans les évaluation présentées ici.
      Lors de la production desdites renouvelables il n’y a aucun moyen de mesurer la quantité d’énergies primaire impliquées. C’est possible, nécessaire même, avec des intrants primaires (charbon, pétrole, gaz, matière fissile) qui sont effectivement comptabilisés matériellement lors de leur extraction. Il n’y a aucun besoin de compter et facturer le vent, le rayonnement solaire ou les précipitations.

      1. Je crois que vous ne saisissez pas la qualité de la statistique suisse.
        Justement, en Suisse (et aussi dans les données d’Eurostat) les REN sont prises identiquement dans les données énergétiques finales et primaires, la source étant gratuite, sinon il faudrait tenir compte des ~20% de rendement de conversion du solaire photovoltaïque, des ~50% pour l’énergie éolienne, des ~80% de l’hydraulique, le tout à partir de l’énergie solaire disponible, strictement comme énergie primaire !
        Regardez bien les tableaux 10, 14 et 24 de la statistique globale 2022, ainsi que le tableau 6b de celle de l’électricité 2022 ! La colonne Électricité du tableau 14 est détaillée dans le tableau 6b et encore plus précisément dans le tableau 24.
        Finalement ce qui sera à remplacer, ce seront les 347 PJ de pétrole + 102 PJ de gaz + 4 PJ de charbon, soit 453 PJ d’agents fossiles de l’énergie finale (retenus obtenus à partir des pertes sur les 483 PJ d’énergie primaire), et pour le nucléaire, non pas les 252 PJ (= 70 TWh(th)) de son énergie primaire, mais bien les 23 TWh(él) (= 83 PJ) de son énergie finale. Pour moi la présentation de la statistique suisse est impeccable alors que, je vous l’accorde, IE/BP trafiquent les REN pour les « gonfler » en équivalents fossiles.

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