Carton rouge !
Impostures énergétiques déguisées sous forme de rapports d’experts.

Plusieurs études ont été publiées récemment à propos de l’approvisionnement énergétique de la Suisse après qu’elle se serait décarbonée, ce qui se traduit avant tout par une augmentation massive de la consommation électrique. La bonne nouvelle est que, enfin, il est tenu compte de la réalité des modes de production, permettant ainsi une évaluation plus complète de divers scénarios. Cependant, malgré toutes les qualités intrinsèques des experts impliqués et grassement rétribués, toutes ces études présentent des défauts si honteux qu’elles méritent plusieurs cartons rouges, sauf la mienne bien sûr. Pour les ignorants de la chose cela signifie que même un excellent joueur se fait ainsi expulser du champ de jeu.

Dans mon étude originale[i], je démontre que toute augmentation de la part d’énergies produites par intermittence (EnRi) dans un mix électrique est un facteur de dérangement inutile et, poussée à 100%, irréalisable. Pourtant des études fournies par la Confédération, l’OCDE-EIA ou l’Association des entreprises électriques suisses (VSE/AES)[ii] concluent que c’est possible, donc souhaitable.

Il ne sert à rien de discuter de tous les détails des coups de sifflet nécessaires, et ce n’est pas non plus mon rôle de me mettre à la place des joueurs fautifs car cela reviendrait à renverser la charge de la preuve. 

Carton rouge à l’importation

Les scénarios des uns et des autres incluent une part plus ou moins importante d’importations d’électricité en provenance de nos pays voisins. Il est même expliqué qu’un accord avec l’Union européenne est indispensable pour obtenir des termes d’échange avantageux et de bonne qualité. Pourtant, rien ne démontre que cela puisse être le cas. Certes, la Suisse dispose d’un parc hydraulique d’accumulation considérable, mais qui ne suffit qu’à satisfaire ses propres besoins et ne représente que 0,8 % de la production de l’UE[iii]. Il ne pleuvrait pas plus si un accord était trouvé avec l’UE et, même si la capacité de régulation de nos réservoirs lui était entièrement sacrifiée, cela n’aurait aucun impact, sauf négatif sur notre sécurité d’approvisionnement. Par ailleurs, rien ne permet de distinguer chez nos voisins des intentions de se suréquiper afin de se positionner comme exportateurs. Au contraire, ils doivent se dépatouiller avec des difficultés et contraintes similaires. Bien sûr, des échanges réguliers se feront, comme c’est le cas aujourd’hui au sein du réseau ENTSO-E, et le transit vers l’Italie sera assuré, mais cela n’a rien de vraiment stratégique, ni pour la Suisse, ni pour l’UE. Par ailleurs, tous les pays misent sur des renouvelables qui ne font que dérégler les systèmes. Leurs pics de production se manifesteront au même moment, à midi pour le photovoltaïque, dont personne n’aura l’emploi. Les délestages du réseau de production (renoncer à produire) ne sont d’ailleurs retenus de manière significative que dans ma modeste étude. Ils sont d’autant plus élevés que la part des EnRi augmente.

Carton rouge à la gestion de la demande

Toujours complaisants avec leurs donneurs d’ordre, les experts ne sont pas dénués d’astuces. Pour faire face aux irrégularités d’une production dominée par des EnRi, ils prévoient quelques stations de pompage-turbinage et des batteries électriques de quartier pour les écrêter. Sachant que les dimensions requises seraient monstrueuses ils posent en hypothèse que, par le biais d’un réseau malin (smart grid), la demande en courant s’adapterait aux variations de l’offre. Il y a bien sûr des consommations qui peuvent être suspendues lorsque l’approvisionnement est limité, ce qui n’est pas nouveau, ou d’autre programmées pour des heures d’abondance. Cependant, fonder la viabilité du système sur une gestion autoritaire de la demande est un pari technique osé. Par exemple, les véhicules à charger devraient être connectés au réseau au milieu de la journée, donc immobilisés alors que leur vocation est de circuler et non celle de jouer les supplétifs du producteur défaillant. De plus, l’algorithmocratie[iv] qui serait à mettre en place dépasse l’entendement de n’importe quel démocrate. Une sorte de soviet suprême dicterait le comportement des citoyens-consommateurs de sorte à ne pas dérégler un système conçu pour ne pas être gérable. Ce n’est pas qu’une folie verte, c’est une monstruosité pire que toutes les théocraties.

Carton rouge à l’hydrogène

Si l’OECD-EIA ne considère pas l’hydrogène comme une solution majeure, le scénario préféré de VSE/AES en fait un pilier du futur, dès 2040. Une courte discussion de ce vecteur énergétique secondaire est donnée dans mon étude, je n’y reviendrai pas. Paradoxalement, une production indigène n’est pas favorisée puisqu’elle utiliserait de l’électricité peu abondante, mais il est supposé que ce gaz serait importé en masse par l’intermédiaire d’un réseau européen interconnecté pour être bêtement brûlé dans des centrales thermiques ou des piles à combustible. Totalement oublié, le prix de cet hydrogène ne peut qu’être très supérieur à celui à celui du courant qui le produit car le rendement n’est au mieux que de 70 % et des équipements supplémentaires coûteux de production, stockage et transport sont nécessaires. Ce n’est pas parce que la Commission européenne plaide pour cette folie qu’il faut y croire.

Carton rouge à la mise au rancart de la technologie nucléaire

Au prétexte que les citoyens suisses ont adopté une loi sur l’énergie dont un aspect consistait à renoncer à construire de nouvelles centrales nucléaire, les scénarios proposés n’en incorporent plus aucune après que la plus jeune centrale aura atteint l’obsolescence, supposément à soixante ans. Pourtant une stratégie d’approvisionnement doit compter sur un socle stable de production, ce que seule la technologie nucléaire peut fournir tout en étant décarbonée. Il ne faut pas oublier qu’une décision populaire peut changer et que, face à une présentation honnête des risques et des avantages, les citoyens de ce pays sont en mesure d’accepter des choix complexes. Le Conseil des États ayant refusé d’entrer en matière ce printemps a commis une faute politique majeure, avant tout par couardise cachée sous le nom d’opportunisme politicien. N’ayant personnellement aucun préjugé ni intérêt en la matière, mon adhésion au nucléaire est de type « faute de mieux » surtout si ce prétendu mieux est irréalisable et mène à la déconfiture économique, sociale et environnementale du pays.

Carton rouge financier

Les estimations économiques sont toujours risquées, particulièrement face à un futur dont le taux d’intérêt domine la question des investissements pour l’énergie. Indépendamment de la question de la réalisation, il appert que la note sera d’autant plus salée que la part de EnRi sera élevée (OECD-EIA, mon étude). Cela signifie que plus de ressources doivent être mobilisées qui ne seront donc pas disponibles pour des investissements vraiment générateurs de prospérité. Il est par ailleurs significatif que l’on en reste aux vœux pieux ou à des déclarations générales de la part du Conseil fédéral qui juge sa stratégie « finançables » dans un rapport quinquennal extrêmement pauvre en explications. Aucune responsabilité n’est attribuée à personne, et donc personne ne financera ces approximations.

Il y a aussi beaucoup de cartons jaunes à distribuer, tant pour ce qui est des aspects techniques qu’économiques. Mais le propos de ce billet n‘est pas de se perdre dans des batailles de chiffres. Il suffit que les cinq cartons rouges présentés ici montrent que ce sont les critères essentiels qui sont erronés. Un château fait d’excellentes cartes peut être construit sur un plan déficient, son effondrement est inéluctable. C’est avec la plus grande immodestie que je recommande de réviser la stratégie énergétique du pays en suivant les propositions que je formule dans la conclusion mon étude.

Selon les lois du football, « aucun match ne peut avoir lieu ou continuer si l’une ou l’autre équipe dispose de moins de sept joueurs. » Avec les cinq cartons rouges distribués ici, la fin de partie doit être sifflée. Comme le coach fédéral va changer au 1er janvier prochain, on peut espérer qu’il corrige rapidement et sans trembler les fautes de conception et d’exécution de l’équipe dont il hérite.


[i]    Approvisionnement électrique de la Suisse conforme aux objectifs climatiques. MR-int. 2022
https://blog.mr-int.ch/?page_id=8657

[ii]    Stratégie énergétique 2050, Rapport quinquennal. Conseil fédéral. 16.12.2022
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/74494.pdf
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/74493.pdf

Perspectives énergétiques 2050+. Office fédéral de l’énergie, 2022
https://www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/politique/perspectives-energetiques-2050-plus.html/
https://www.bfe.admin.ch/bfe/de/home/politik/energieperspektiven-2050-plus.html
L’approvisionnement énergétique de la Suisse jusqu’en 2050. VSE/AES 2022
https://www.strom.ch/fr/media/13957/download
https://www.strom.ch/de/media/13957/download

Achieving Net Zero Carbon Emissions in Switzerland in 2050. OECD-EIA 2022
https://www.oecd-nea.org/upload/docs/application/pdf/2022-10/7631_nea_swiss_system_cost_study.pdf

Swiss Electricity Supply and Demand in 2017 and 2050. Is the Swiss 2050 energy plan viable?
by Euan Mearns, Didier Sornette :: SSRN

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4151433
Verschiedene Pfade zur Energiewende, Prof. Dr. Andreas Züttel, L-MER / EMPA
Empa – Communication – lmer-co2-neutral-switzerland

Auswirkungen einer starken Elektrifizierung und eines massiven Ausbaus der Stromproduktion aus Erneuerbaren Energien auf die Schweizer Stromverteilnetze, Polynomics AG sous mandat de l’ OFEN
https://www.polynomics.ch/de/aktuell/auswirkungen-der-energieperspektiven-2050+-des-bfe-auf-das-stromverteilnetz-241.html

[iii]   Ordres de grandeurs à considérer : Production d’électricité en 2021.
Suisse : 65 TWh dont 22,5 d’hydraulique d’accumulation et 4,1 de stations de pompage-turbinage.
Production de l’Union européenne : 2895 TWh

[iv]   Greta a ressuscité Einstein. La science entre les mains d’apprentis dictateurs. Jean-Paul Oury. VA Éditions. 2022,


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4 thoughts on “Carton rouge !
Impostures énergétiques déguisées sous forme de rapports d’experts.”

  1. La comparaison avec le football tombe à pic, bravo! Là aussi, il y a beaucoup (trop) d’experts qui donnent leur avis et pensent connaitre la meilleure stratégie pour gagner le prochain match. Ici, il s’agit cependant de l’approvisionement en éléctricité, sans laquelle plus rien ne fonctionne aujoud’hui. Alors oui, c’est vraiment grave actuellement, la meilleure stratégie serait en fait toute simple, avoir à l’avenir des surplus en hiver et importer l’énergie solaire que personne d’autre ne voudra en été!
    Mais c’est sans doute trop simple, car ainsi toutes les grandes études actuelles deviendraient totalement inutiles … Je doute malheureusement aussi qu’Albert Rösti aura le pouvoir de changer toute l’équipe actuelle à l’OFEN tant que le parti libéral suisse ne se rendra pas compte que la Suisse autrement risque de ne plus gagner aucun match à l’avenir!!!

  2. 20.12.2022, Franz-Karl.
    Félicitation à Michel pour parler clairement. J’ajoute à la liste des cartons rouges les contradictions intrinsèques de SE2050 et la violation de lois naturelles (thermodynamique en particulier).

  3. Da kann man dem Autor nur zustimmen – das Spiel muss abgebrochen werden. Die Versorgung der Zukunft muss sicher, sauber und wirtschaftlich sein (Trilemma). Die Studien des VSE und der OECD/NEA wollen zeigen, dass dies gemäss der aktuellen Politik und den aktuellen Planungen (ES 2050 und Energieperspektiven 2050 +) möglich sei. Dabei treffen sie aber unhaltbare Annahmen vor allem betreffend Import und Flexibilisierung der Nachfrage. Bei einer massiven regulatorischen Beeinflussung der Nachfrage (Anpassung and die Produktion) kann von einer sicheren und wirtschaftlichen Versorgung sowieso nicht die Rede sein.

    Aber immerhin sind die beiden Studien systemisch einigermassen vollständig. Bei genauer Betrachtung zeigen sie auf, was sie wohl nicht hätten aufzeigen sollen. Nämlich dass es für die Schweiz auf Dauer nur eine gangbare (= dominante) Strategie gibt: Einen optimierten Mix aus Hydro- und Nuklarstrom wie bisher. Den intermittierenden Energiequellen bleiben bestenfalls unbedeutende Nischen.

    Warum ist dem so? Nun, beide Studien zeigen implizit (wenn auch unbeabsichtigt) auf, dass sowohl mit der Ausdehnung der Wasserstromproduktion als auch mit der Ausdehnung der Nuklearstromproduktion die Versorgungssicherheit, die Wirtschaftlichkeit und die Ökologie des Versorgungssystems verbessert wird. Dagegen wird das System mit zunehmendem Anteil intermittierender Energiequellen (sowie auch von Importen) unsicherer, teurer und umweltbelastender.

    1. Est-ce vraiment un trilemme ? c’est à dire un problème insoluble sans qu’il faille renoncer à l’un des impératifs.
      De mon point de vue ce n’est qu’un problème d’optimisation, avec la décarbonisation comme contrainte nouvelle.
      Cela sera immanquablement plus coûteux mais acceptable, comme on le voit dans le cas d’un mix électrique adéquat.
      Un paramètre insoluble est celui de l’urgence et donc de la priorité : l’accès aux ressources ne permet pas de croire en une réalisation immédiate d’un voeux pieu.
      Connaissances, travail humain (têtes et mains), matières premières et transformées, énergies. Ces ressources ne sont pas disponibles à souhait et elles sont en concurrence pour réaliser d’autres objectifs dans la société qui soient vraiment créateurs de prospérité (ce qui n’est pas le cas du coûteux remplacement d’une énergie par une autre).

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