Antiscience : manque d’information, mauvaise information, désinformation, ou défaut culturel ?

L’antiscience prétend « mieux savoir » que les milieux scientifiques qui, eux, doivent opérer selon des méthodes rigoureuses et réfutables. Une autre partie des incultes de la science veulent croire à une Science, dite une fois pour toutes. Greta fait partie d’un tel groupe qui, par exemple, ne met pas en question les faits avérés par la climatologie, ce qui est raisonnable, mais qui reçoit comme parole d’évangile les explications abusives des « experts » et leurs sombres projections pour le futur. L’argument d’autorité du scientifique-militant-politique est presque imparable car il se laisse très facilement sacraliser pour être déclaré irréfutable.

Cela va désormais plus loin, comme aux États-Unis où Gina McCarthy, ex directrice de l’EPA (Agence de protection de l’environnement) et conseillère du Président pour le climat, s’élève contre des critiques de la faisabilité et des avantages de l’abandon des combustibles fossiles qu’elle juge être de la désinformation, des mensonges[1]. C’est son droit. Mais elle exhorte les réseaux sociaux à sévir, pour le bienfait de la santé publique, contre ceux qui « sèment le doute sur les coûts associés aux [énergies vertes] et sur leur bon fonctionnement ». Ça, c’est une violation flagrante du droit constitutionnel à la libre expression. Sa science devenue sacrée, les moyens engagés selon ses préconisations seraient donc infaillibles ; est-elle un Pape, une djihadiste prônant sa charia ou, comme son nom pourrait le suggérer, une inquisitrice ?

Greta manque-t-elle d’information, est-elle crédule au point de manquer d’esprit critique ou lui manque-t-il la solide culture générale qui lui aurait procuré les outils nécessaires ? Les sources et leurs relais comme cette Gina sont-elles honnêtes, correctes ou sincèrement erronées, ou bien délibérément mensongères ? Les six, mon général !

Dans le domaine de la santé, combien de fois faut-il subir le récit d’un fait divers présenté comme preuve, par exemple d’un décès attribué à une vaccination récente, ou d’une guérison qu’une thérapie ésotérique aurait permise, alors que rien ne permet telles certitudes. Les vrai bons médecins se gardent bien de conclure ainsi, ce qui déplait aux inquiets, et les charlatans ne cessent de suggérer leur maestria, ce qui plaira aux sots. À l’inverse, par excès de confiance dans la pharmacopée, des traitements par antibiotiques sont si largement prescrits que cela mène à la surconsommation et à l’apparition de souches résistantes. Tant le refus (de vaccins) que l’excès (d’antibiotiques) sont de l’antiscience et péjorent les conditions sanitaires pour l’entier de la société en rendant plus difficile, voire impossible, de maîtriser la dissémination de maladies infectieuses. Des contradictions similaires se repèrent dans tous les domaines de la technologie, c’est-à-dire de l’application des connaissances scientifiques, avec l’acceptation ou le refus des risques que cela entraîne, qu’il s’agisse d’agronomie (environnement et santé publique), d’énergie (CO2) ou d’industrie (accidents et pollutions).

Les partisans d’un schmilblick se lamentent du manque d’information dont souffriraient les peuples, leurs médias et leurs dirigeants. Pourtant il en va exactement de même pour les opposants à ce même schmilblick. Cela signifie que chacun veut croire que son information est meilleure, plus honnête et plus pertinente que celle de l’autre. Et lorsque la lutte devient politique, on a recours au mensonge et à la propagande, si difficiles à débusquer et, conformément à la loi de Brandolini[2], si dispendieux à réfuter.

On pourrait souhaiter qu’au moins, les uns et les autres fassent l’inventaire des informations que tous peuvent considérer comme solide. Le débat pourrait alors s’élever plus haut que les pâquerettes. Mais n’est-ce pas déjà trop souhaiter ? En France, la convention soi-disant citoyenne sur le climat aurait dû procéder ainsi, sans a priori. Mais non, dès la première séance, elle fut saisie par le groupthink (illusion de vérité consensuelle) pour accepter sans critique le diagnostic, l’urgence et la nécessité des mesures qui lui furent suggérées [3]. Fondé ainsi, un travail pourtant fait avec conscience et passion s’avère alors nul et non avenu, débouchant sur des propositions aux allures de catéchisme, irrecevables.

Tant l’information que la désinformation font problème par leur surabondance chaotique. L’antiscience tout comme les erreurs de la science sont des constituants de notre nature humaine. Ils sont donc inévitables et vouloir les éradiquer serait une tentative donquichottesque. La bonne question est de savoir comment identifier le bon grain et le distinguer de la masse d’ivraie ? Le corps enseignant et les universités se mettent-ils en mesure d’instruire correctement leurs élèves à des approches critiques et différenciées, ou sont-ils les idiots utiles d’une culture d’effacement (cancel culture) qui permet de laver les cerveaux et de renier nos héritages culturels ? La même question est posée aux journalistes et, de manière encore plus aigüe, aux représentants élus, aux gouvernants et leurs administrations, ainsi qu’aux détenteurs du pouvoir judiciaire. C’est par veulerie, panurgisme, souci de conservation d’un éphémère pouvoir ou volonté d’imposer des idéologies coercitives que ces élites ne cessent de trahir les « valeurs » qu’elles prétendent défendre. A qui cela profite-t-il ? Jamais à la vérité, ni au progrès, ni à la paix.


Article original publié sur Antipresse, No 360.


[1]     https://www.axios.com/2022/06/09/climate-gina-mccarthy-misinformation

[2]     « La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une connerie est un ordre de grandeur plus grande que pour la produire ». Ce sont même souvent plusieurs ordres de grandeur.

[3]     Voir les « messages clés » publiés à l’issue de la toute première session : https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/wp-content/uploads/2019/10/Messages-cle%CC%81s-de-la-premi%C3%A8re-session-de-la-Convention.pdf


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