Ah, ce bon roi Dagobert ! l’un des rares à savoir endurer la vérité.

Voici une leçon de politique donnée par une chanson. Il s’agit d’un roi, ce qui suppose qu’il ait des sujets. Même si la dynastie des Mérovingiens est éteinte depuis 1271 ans, la condition des serfs de cette époque ressemble à la nôtre, devenus en quelque sorte sujets de ceux que nous avons élus.

Dagobert est dit « bon », mais que savoir de cette bonté si ce n’était, avant tout, de ne pas être trop mauvais, donc sans incompétence ni perversions ? Selon certaines sources historiques (Wikipedia), on peut en douter. Ses répliques dans la chanson laissent entendre qu’il est loin d’être sot mais qu’il sait y jouer. Il pratique aussi un peu de dérision de soi-même, ce qui est toujours bienvenu. Voilà des attitudes utiles pour bien mener une carrière politique.

De son côté, Éloi est un saint, c’est-à-dire un être sacré et irréprochable, situation normalement réservée à des défunts, donc incapables de faire mentir la sanctification par des actes ultérieurs et répréhensibles, ce qui les distingue des prix Nobel de la paix. La chanson le dit grand, ce qui ne permet pas de savoir si c’est de stature ou d’importance. Le bon roi se moque tout de même du grand saint, qui ainsi occupe plutôt un rôle de bouffon que celui de maître à penser.

Le roi accepte avec bonhomie les remarques pertinentes qu’Éloi lui fait. Il répond presque toujours « c’est vrai », un signe de reconnaissance d’une vérité qui aurait pu lui échapper. Voici donc une sincérité, une modestie, une bonne volonté et une transparence qu’aucun spin doctor ne recommanderait à ses patients. Dagobert s’en tire pourtant très bien et fait une belle pirouette à la fin de chacune des vingt-quatre strophes.

La première d’entre elles, celle que tout le monde connait, concerne la culotte du roi qu’il aurait mise à l’envers. Comment oser se préoccuper de la culotte du roi ? N’a-t-il pas tous les pouvoirs pour la mettre dans le sens qu’il désire ? Ou qu’il n’en mettre aucune, car le roi peut aussi être nu, bien que cela ne se voie ou ne se dise pas. Et puis, ces braies ont-elles une forme qui permet de distinguer si elles sont à l’envers ?

D’ailleurs, la vérité énoncée par Éloi n’est que partielle ; s’il en est conscient, alors il ment par omission. En effet, rien n’est dit de cet envers. Ni même qu’il y ait un endroit conforme à un standard officiel. Le roi pourrait avoir confondu devant et derrière, ce qui rend difficile de mettre les mains dans les poches. Mais aussi il aurait pu la mettre sens dessus dessous, retournée de sorte que les coutures se voient de l’extérieur. Il aurait même pu opérer la double faute : devant-derrière et dessus-dessous. Ne présenter qu’un aspect général du problème est une mauvaise tactique politique : si l’on veut dire une vérité, il faut la dire toute, sous tous ses aspects.

Et puis, il faut remédier à la situation. Le bon roi dit qu’il va la remettre à l’endroit, ce qui suppose que lui aussi sache distinguer l’endroit de l’envers. Peut-être y était-il aidé par une de ces étiquettes blanches indiquant un « Hand made in Bangladesh with Indian GM cotton », mais était-ce déjà une coutume au septième siècle ? Il est d’ailleurs facile de s’embrouiller puisqu’il faut que l’étiquette soit dehors et sur la face avant du vêtement pour qu’en le retournant, elle se situe là où elle le doit, dedans et derrière. Tels exercices de symétrie sont vraiment trop complexes pour être délégués au sommet de l’État.

On aura aussi noté qu’il annonce qu’il va le faire, et non qu’il s’exécute immédiatement ou que ce soit déjà fait. Car en politique, ce n’est pas l’action qui compte ; elle est même risquée car on peut en exécuter bien une mauvaise ou mal une bonne. Ce qui compte est la promesse de l’action, celle qui tient en haleine ses sujets, toujours coupables d’y croire.

Les comptines ont un contenu pédagogique qui ne doit pas rester réservé aux enfants. Ce que nous n’avons pas compris dans notre jeune âge, nous finissons par le saisir plus tard. Ainsi, les enseignements du bon roi Dagobert sont d’une actualité brûlante. Qu’on se le dise !

Les vingt-quatre strophes sont ici.


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