La rhétorique écolo-gauchiste nous conduit à l’abîme

Voilà un titre inacceptable car il est bien connu que l’écolo-gauchisme n’existe pas et que c’est un phantasme d’une droite étriquée, réactionnaire et capitaliste ; les études les plus sérieuses et fouillées en sciences sociales et humaines n’ont pas réussi à le détecter mais, au contraire, mettent en évidence les perversions d’un système qui éloigne l’espèce humaine de son berceau originel.

Une telle théorie de la dégradation générale de l’environnement et du collapse attendu de la société est présentée comme une évidence. C’est généralement le ton qui est donné sur les plateaux de télévision, dans la presse écrite et dans les réseaux asociaux. À force de répétitions et de soutien par nombre d’idiots utiles cela s’avère très efficace et pervertit les débats. Un genre littéraire que Rachel Carson inaugura brillamment dans Silent Spring (le silence du printemps) sert de référence pour tout écolo branché. C’est par un narratif (story telling) si soigneusement mélangé d’affirmations factuelles et de suggestions émotionnelles que le quidam reste médusé et se laisse convaincre de l’inéluctable. On se sentirait coupable de ne pas y adhérer. D’ailleurs, ce discours est toujours accompagné de déclarations victimaires et héroïques à la foi, accusant de sombres intérêts d’en empêcher la diffusion. On n’est pas loin d’une théorie du complot. La réalité est pourtant exactement le contraire.

Sophisme roi

Cette rhétorique est fondée sur plusieurs sophismes, ces raisonnements qui paraissent aller de soi et dont les conclusions sont fausses. Ils reposent sur des prémisses erronées, mensongères même. Et c’est très dangereux. Imaginez qu’un médecin pose un mauvais diagnostic. Il ordonnera une thérapie qui au mieux restera sans effets ou qui aggravera l’état de son patient. Tout sera exécuté et suivi avec grand professionnalisme pour constater, mais un peu tard, que le traitement est inefficace. Alors, de plus fortes doses de médicaments plus agressifs seront administrés, ce qui abimera encore plus les conditions de vie du patient. Il est très probable qu’il se meure d’empoisonnement dû à la thérapie inadéquate alors que, qu’il fût ou non malade, il ne risquait ni la mort ni l’infirmité.

Fausses prémisses

La première fausse prémisse est celle de l’état catastrophique de la planète et de ses habitants, végétaux ou animaux. Ce n’est pas ici le lieu de réécrire les premiers chapitres de « Réarmer la raison (1) » ou les ouvrages de Stephen Pinker (2) et Hans Rosling (3) qui démontrent le contraire. Santé, climat, pollutions, biodiversité, ressources naturelles : ce sont bien sûr des préoccupations mais le constat de catastrophe est fabriqué. Seuls des cuistres aveugles nient les progrès philosophiques, sociaux et matériels réalisés depuis la Renaissance, le Siècle de Lumière ou l’ère industrielle. Même dans une société post-industrielle ce progrès continue de se manifester, tant pour l’amélioration de la santé des gens que celle de l’environnement.

Autre prémisse fausse, il est prétendu que l’Homme se serait attribué une place en dehors de la nature et se donnerait l’illusion de la dominer. Rien ne le prouve, même si certaines théories ont pu le prétendre sans pour autant s’imposer comme modèle de société, sauf peut-être le matérialisme du marxisme soviétique ou chinois. C’est donc une généralisation abusive.

Et puis, il y a la ritournelle du capitalisme prédateur, suppôt d’une croissance orientée exclusivement vers le profit et instigateur de consommation débridée, au service d’intérêts particuliers. Rappelons que ce sont les critiques du capitalisme qui l’ont conceptualisé et décrété nuisible. Ce n’est pas lui qui a fait que les peuples soient animés par l’attrait du pain et des jeux, par des jalousies et des égoïsmes, ainsi que par des luttes de pouvoirs en tous genres. Une division du travail devait déjà exister dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs, avec préparations d’outils et constitutions de réserves similaires à des accumulations de capitaux. Peu importe, idéologie inventée par ses détracteurs et attribuée aux « méchants », le capitalisme est un ennemi et un prétexte de choix.

La poursuite de la croissance économique est toujours invoquée comme une tare. C’est ignorer que le contraire de cette croissance s’appelle récession et ne mène qu’à plus de misères et de tourments. Aussi, comme je l’explique dans mon dernier essai (4), pour appliquer des critères de jugement différents de ceux de l’économie, il faut s’entendre sur ce qui a de la valeur ; il faut aussi y attribuer un poids relatif par rapport à d’autres facteurs. C’est une tâche déjà impossible pour un individu et ses sentiments qui évoluent au cours de sa vie. Vouloir fixer cela pour la société ne peut tenir que d’un exercice de totalitarisme.

De plus, et tout récemment, une révélation quasiment mystique nous a été offerte : celle du mâle blanc, dominateur, colonial, esclavagiste, enfermé dans son hétérosexualité prédatrice. Il est l’instigateur et la cause d’oppressions qu’il doit avouer et dont il doit s’amender par des actes, non de contrition mais de suppression de lui-même (cancel culture). Il est bien difficile de comprendre comment l’on peut croire à cela, mais c’est devenu une évidence de plus. Inattaquable puisqu’évidente.

Deux précautions valent mieux qu’une pour faire un bon sophisme. C’est pourquoi on ajoutera que la nature est bonne en soi et qu’elle est faite d’un équilibre précaire qui doit être préservé, ce qui est plus un acte de foi qu’une constatation scientifique.

Vérités bien choisies faisant passer de gros mensonges

Il faut noter que tous ces cas sont constitués d’éléments vrais, car il est facile de trouver des exemples corroborant ce qui est allégué. Il y a bien sûr beaucoup de lacunes, de déchets et d’échecs dans tout ce que nous mettons en œuvre. Cela donne ample liberté au prophète de malheur, au complotiste ou au démagogue de choisir malicieusement des exemples (cherry picking) qu’il prétendra généralement représentatifs. S’il est possible qu’un vacciné tombe malade, qu’un résidu de pesticide soit détecté qui dépasse une norme, ou qu’un réchauffement supplémentaire puisse modifier un biotope, ce n’est pas pour autant une preuve que tout soit entièrement et définitivement fichu. Le truc est d’en suggérer la systématique tout en insinuant des intentions malveillantes délibérées. C’est ce qui en fait des prémisses invalides. Le patient toussote et l’on dit d’emblée qu’il est atteint d’un cancer généralisé et que c’est dû à la fumée passive.

S’il fallait ne tolérer aucun défaut, alors il n’y aurait jamais rien de tragique dans nos vies terrestres. Mais, au contraire de la poursuite d’un paradis, au fur et à mesure que nous constatons nos errements, nous nous équipons pour pailler leurs effets néfastes. C’est d’ailleurs avec plus de connaissances et de progrès que ces tâtonnements sont possibles.

Conclusions indiscutables

Les conclusions que les sophistes professionnels tirent de ces évidences fabriquées et invalides sont des jugements implacables. L’action humaine telle que l’histoire l’a façonnée ne saurait offrir des solutions puisqu’elle nous aurait mené au bord de la catastrophe ultime. C’est un discours de rupture, une exigence de correction d’injustices qui ne cesseraient de s’accumuler. Il faudrait donc radicalement changer nos modes de vie et ce, par-dessus le marché, dans l’urgence.

D’un chien qui ne plaît plus on dit qu’il a la rage, ce qui autorise à l’abattre. Pourtant, l’espèce humaine n’ayant pas la rage, il n’y a aucune raison de saborder la civilisation qu’elle a construite. Et que devrait être le modèle de substitution ?

Comme presque toujours, hélas, on se laisse entrainer dans des discussions portant sur le traitement, la manière d’éviter la gravité des horreurs qui nous sont annoncées. C’est plutôt sur le rejet de l’apôtre et de sa description fantastique et fantasmée qu’il faut se disputer.

Et si l’on commet la faute d’entrer dans de tels débats faussés d’emblée, il ne faut pas oublier qu’il est impossible à mener, et donc condamné à être perdu. La lutte contre un mal prétendu généralisé, contre une menace montrée comme imminente, ne se contentera jamais de demi-mesures ou de compromis. C’est une des raisons pour lesquelles des discours se font de plus en plus entendre contre la liberté individuelle et contre des institutions démocratiques. La radicalité de l’activiste du malheur devient alors bien plus effrayante que son discours catastrophiste.

(1) Michel de Rougemont : Réarmer la raison. MR-int, 2017.
(2) Steven Pinker: Enlightenment now. Penguin Books, 2019.
(3) Hans Rosling, et al.: Factfulness: Ten Reasons We’re Wrong about the World – and Why Things Are Better than You Think. Sceptre, 2019.
(4) Michel de Rougemont : La grande illusion du sauvetage de la planète par une remise à zéro. MR-int, 2021.

Article publié sur Antipresse 310 du 7.11.2021, un médium pour une pensée… unique contre la pensée unique !


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2 thoughts on “La rhétorique écolo-gauchiste nous conduit à l’abîme”

  1. Très bon article ; j’ai noté
    «  » » »Rien ne le prouve, même si certaines théories ont pu le prétendre sans pour autant s’imposer comme modèle de société, sauf peut-être le matérialisme du marxisme soviétique ou chinois. » » » »
    C’est sans doute la raison à leur absence à la COP 26
    Fritz

  2. Un article brillant. L’auteur dénonce à juste titre le catastrophisme et le pessimisme d’aujourd’hui. L’humanité a toujours réussi à résoudre même les grands problèmes grâce à la science et à la recherche. Il faut plus d’optimisme. Nous devons combattre ce terrorisme psychologique et envisager l’avenir avec confiance.

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