Couleurs désorientées

Il ne faut plus remuer d’idées noires car cela fait voir rouge les blancs qui se sont soumis aux injonctions arc-en-ciel. Les couleurs sont devenues ethno-politiques, c’est un comble ! Peut-on néanmoins encore en parler sans attiser les foudres des gardiens de la rectitude de la pensée ?

Les extrêmes d’abord : par l’absence de toute couleur le noir a quelque chose de beau, un vide permettant tous les imaginaires, alors que le blanc superpose tout et rend les couleurs indistinctes. Le blanc n’est pas beau, il n’est qu’éclatant et pour qu’il ait du beau il lui faut être un peu sale. Le noir émet, le blanc ne fait que refléter. Il n’y a pas de quoi en être fier, c’est simplement comme ça.

Voyons Soulage : à l’exception de quelques œuvres ses tableaux broient du noir, même sans être tristes, quoiqu’il en sorte parfois un sentiment de blues. Pourtant, pour exister, le sombre a besoin de lumière, sinon il n’aurait aucune distinction et ne serait qu’indescriptible néant. Alors des traits clairs doivent le traverser, ou bien lui faut-il un fond contrasté sur lequel se révéler.

Sans encore avoir pris possession du langage, les enfants, petit à petit, distinguent les couleurs mais confondent les mots qui les désignent. Ils finissent par adopter les conventions qui font que celui qui dit vert ne fait pas penser jaune à l’autre. Cela devient comme une évidence alors que ce n’est que convenance car, au-delà de la nommer, personne n’est capable de décrire une couleur ; tout au plus un adjectif l’agrémentera pour la clarifier ou l’assombrir, la chatoyer ou l’atténuer, la mélanger ou l’isoler.

Les spectromètres les mesurent mais ils ne font que sentir, sans interprétation, ni associations. Ils mettent en chiffre la lumière en l’analysant par bandes au moins aussi fines que l’onde qui les porte. Si c’est bien par un spectre de longueurs d’ondes ou de fréquences que le coloré d’une surface est caractérisé, cela ne suffit pas pour en percevoir le ton qui, lui, dépendra des lumières incidentes et de l’état d’esprit de l’observateur.

Il y a paraît-il des gens qui associent automatiquement des lettres ou des sons à des couleurs, ou vice-versa ; doctement on dit qu’ils sont atteints de synesthésie, graphème ou synopsie, c’est le privilège des mots savants que de se suffire à eux-mêmes, même sans que personne n’y comprenne rien. Est-ce un trouble, est-ce une restriction ou une augmentation de la pensée que de voir apparaître l’arc-en-ciel en lisant ABCPDEF ou de peindre du rouge pour entendre un la dièse ? En tous les cas il n’y a aucun besoin de soigner ça, même si ça n’est pas « normal ».

L’héraldique restreint le nombre de couleurs utiles à cinq émaux et deux métaux – Azur, Gueules, Sable, Sinople, Pourpre, Or et Argent. Mais cela n’est destiné qu’à se donner une identité graphique, sans qualités ni défauts. Idem pour les partis dont les programmes changent et dont les couleurs avaient pour but initial de permettre aux analphabètes de voter. Avec le temps cependant, certaines orientations sont devenues l’apanage d’une couleur, le rouge à gauche, le noir pour les conservateurs catholiques ou pour les anarchistes, ce qui n’est pas la même chose, le blanc monarchique, le tout récent violet féministe, le vert de l’écologisme et de l’islamisme. Conscientes ou non, des significations peuvent être inférées, comme le mélange entre rouge et vert qui mène techniquement au brun mais aussi aux conséquences fascisantes, ou l’évolution du drapeau arc-en-ciel somme symbole de paix vers celui de la diversité des genres qui entrent en guerre avec les sexes.

Les graphistes connaissent les codes suggestifs d’association de couleurs ; ils ne les transgresseront que dans un but provocateur, publicitaire avant tout. C’est ainsi que l’orange domine dans le commerce et qu’il est rare qu’une couleur dite froide soit utilisée pour signifier le confort. Avant de peindre un bâtiment ou un monument il faudra consulter un expert psychologue et demander avis et autorisation à l’architecte officiel du lieu. Mettre de la couleur sur une surface est pourtant un travail d’artiste, pour le beau ou le moins beau dont personne n’est maître.

Ce sont nos sens qui sont atteints par les couleurs, sans besoin d’explication ou d’interprétations. S’il est dit qu’un musicien en met dans l’interprétation d’une partition de musique, ou qu’un tableau chante à notre esprit, ce n’est pas là une confusion des sentiments mais plutôt le reflet d’une impossibilité de décrire avec des mots ce que l’on ressent au plus profond de soi-même. Les couleurs sont nommables mais tiennent de l‘indicible, des qualia, elles sont pourtant très nettement présentes à notre esprit.

La victoire est signifiée par la prise des couleurs de l’ennemi. Il faudra donc que les chemises brunes deviennent hawaïennes, que le rouge devienne vraiment libéral, que le noir soit vraiment libéré, que le vert n’ait plus aucun sabre, et que les couleurs n’appartiennent à personne. 


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