Élections au pays de l’illusion sécuritaire

Au pays de Symmetochi, juste au-delà de la Syldavie, la vie sociale et politique n’a jamais été régie par la rationalité, quelle qu’elle soit. Jusqu’à peu, seules comptaient les émotions. Car on sait que pour influencer le pouvoir ou l’exercer il est indispensable de jouir d’un capital émotionnel très développé qui devra être investi dans des mesures rébarbatives mais qui se reconstituera par les effets de la rhétorique de la bienfaisance à tout crin. Ainsi, Mégalo Laïkistikí, maire de la capitale Neapyrgo, s’était fait réélire par cinq fois en tirant les ficelles d’un bien supérieur et d’un avenir radieux quoique dûment fiscalisé.

Cependant une jeune génération est apparue qui, au gré de sa confrontation adolescente avec l’internet et ses réseaux asociaux, s’est fait mettre dans le plot ne plus supporter d’émotions négatives, d’éliminer le désagréable, et même l’idée du désagréable.

Par exemple, avec esclaves syldaves et métèques mal tolérés, relégations des dissidents en Huitbérie, ou déforestations et autres crimes contre la nature, suggérer que le pays ait eu une histoire violente s’est révélé plus violent pour ces pauvres chéris d’aujourd’hui que pour les victimes de cette histoire d’hier ; son enseignement fut donc supprimé afin de ne pas provoquer plus de traumas mémoriels.

Par ailleurs cette génération ne connaît rien des idéologies, elle se sent cryo, soit cool en français d’aujourd’hui. Ses seuls leitmotivs sont l’utilité et la sûreté, inculquées par des mères abusivement protectrices, les pères faisant la vaisselle ou fuyant à la pinte du coin. Donc cool, oui, mais pas au point de prendre froid et de risquer le rhume. D’ailleurs, comme il y a quelques années certains vieillards cacochymes ou diabétiques étaient morts prématurément des suites d’une maladie pneumo-infectieuse, la pose de masques filtrants sur tous les visages a été ordonnée, prothèse respiratoire sécurisante à défaut d’être efficace, plus tolérable que d’entendre prononcer le mot influenza. La libre circulation des étrangers y est bien sûr garantie comme partout ailleurs, mais conditionnée à la pose de cette prothèse si le séjour doit durer plus de deux semaines. Des recherches cliniques sont en cours afin que les nouveaux nés qui sont mis en couveuses étanches à tous les microbes avant la pose du masque, puissent directement être introduits dans une cellule faite de biopolymères filtrants qui croîtrait autour d’eux et avec eux afin qu’ils puissent développer leur vie entière libérés de tout risque infectieux. Le premier essai pilote a malheureusement dû être interrompu après qu’une mère vraiment hystérique a déchiré cette enveloppe pour, horreur pathogène, donner le sein à son bébé. De tels comportements antiscientifiques deviennent préoccupants. À juste titre l’assurance maladie obligatoire a déclaré ne plus vouloir couvrir les risques sanitaires de ce bébé, tout au plus contribuera-t-elle aux frais d’incinération le moment venu.

Depuis une trentaine d’années, un savant symmetochien passe une ou deux saisons à l’étranger pour étudier la température ambiante. Comme il y est entouré de collègues qui tous évaluent un réchauffement à venir en calculant ce qu’il n’avait pas été dans le passé, il revient régulièrement au pays avec un message qu’il décrit comme universel puisqu’il le partage avec ses compères : ça va chauffer si fort que la température ambiante va monter plus haut qu’elle n’était descendue avec l’ère glaciaire. Voilà une peur insupportable pour cette jeune génération pour qui le mot eschatologie doit être une des injures du Capitaine Haddock. Il faudrait donc, hic et nunc en se trompant de langage mais aussi de cible, cesser de brûler benzine, gaz et charbon, comme Perrette en s’encoublant dut dire adieu à veau, vache, cochon et couvée. C’est la stratégie du grand trébuchement qui fut plébiscitée il y a trois ans à l’agora de Neapyrgo. Le malin Mégalo sut saisir tout de suite l’aubaine de prélever un impôt sur ces bûchers d’hydrocarbures et de le redistribuer à ses copains, Mais il ne sait plus trop bien comment continuer, fait des génuflexions ridicules et singe le PP, vieux parti écolo ravagé par des dissensions internes entre présidents de commissions juteuses, administrateurs de panneaux solaires ou d’éoliennes, et émetteurs de certificats de circonstances.  

C’est dans cette ambiance dénuée de toute idéologie et pratiquant la religion pragmatique du risque zéro et de la précaution absolue que se déroule actuellement la campagne électorale. Chacun y va de sa surenchère et l’issue du scrutin, qui a lieu dans moins de deux mois, est incertaine entre le rusé Laïkistikí et le nouvel apôtre Prásino Kýma, altermondialiste de la dernière heure qui vient de s’emparer du parti vert pour le faire porteur d’une vague verte qui devrait déferler bientôt. Il est soutenu par la toute jeune Garyta Oritounou qui assure que l’ignorance de sa génération serve la cause de l’absolu sécuritaire sans risque de contrition ultérieure.

Il y a bien le dissident Téleos Andropos, personnage intelligent, cultivé et curieux, possédant un esprit critique très aiguisé, qui respecte les personnes bien que doutant de leurs postures, et qui tient à ses libertés en pleine conscience de ses responsabilités. Il s’exprime ouvertement, sans crainte et sans langue de bois, et pratique l’humour requis pour se garder de la gravité. Il propose de simplement gérer la ville et son pays en acceptant les malheurs qu’il ne faut plus cacher aux enfants mais bien les y aguerrir pour les rendre plus forts, en tolérant des risques collectifs et en les gérant avec clairvoyance. Le malheureux a certainement raison mais il est inaudible et détesté, justement parce qu’il a raison et dérange le confort du cocon promis par tous les autres. Son humour est pris pour de l’arrogance et ses explications comme soûlantes. Les sondages indiquent que ses chances d’être élu sont proches de nulles et qu’il met sa vie en danger s’il continue de dire la vérité.

Alors, cher lecteur, quels sont tes pronostics ? Le courant dominant et récupéré par le vieux renard de la politique l’emportera-t-il contre le même courant dominant mais représenté par une figure de rebelle pourtant bien conventionnel ? Le dissident qui a raison sera-t-il condamné au dernier bûcher, relégué en Huitbérie, ou empoisonné avec du curare ou de la digitoxine, plus bio que les pas trop efficaces novitchoks ?

Nos envoyés spéciaux vous maintiendront au courant, s’il n’y a pas de black-out avant.


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