Partout de vastes études sont menées afin que la durabilité s’installe. En Suisse, un « Programme national de recherche » PNR No 73 intitulé « Économie durable : protection des ressources, vision pour le futur et innovation » a débuté fin 2017 et doit durer cinq ans pour ratiboiser un budget de 20 millions de francs. Vaut-il la peine de se pencher sur le rapport intermédiaire qui vient d’être publié, sachant que ma ressource temps est un bien rare et irrécupérable ?
Son but est résumé au deuxième paragraphe du communiqué de presse :
« La transition vers une économie durable influera sur le bien-être des générations actuelles et futures. Il est possible de la mettre en œuvre en instaurant un cadre réglementaire approprié, assorti notamment d’incitations économiques, en favorisant de nouveaux modèles commerciaux, en introduisant une finance durable et innovante, et en modifiant nos modes de vie. »
Constatons d’emblée que ce n’est pas l’expression d’un objectif mais une conclusion posée ex ante. Il n’y a rien de scientifique là-dedans, seulement une tentative de plus d’instrumentaliser la science et ses experts. Notons aussi que le mandat n’inclut pas l’investigation des bonnes raisons de ne pas entreprendre telle transition.
Ce projet doit entériner des pétards politiques au service d’un concept inepte, la durabilité.
Nous avons conscience que tout est éphémère, aucune vie individuelle, aucune économie, aucun environnement n’est durable. Pourtant il faudrait, encore et toujours, se mettre à la poursuite de ce saint Graal ! Cette durabilité de l’obstination est d’autant plus remarquable que l’on fourre ce mot-valise de ce qu’on veut, sans se soucier de ce qui en ressortira.
Une transition devrait être mise en œuvre, ce qui nous suppose sachant les voies à suivre, comme Saul l’entraperçut sur le chemin de Damas et devint un grand maître de la police de la pensée.
Il s’agirait du bien-être des générations actuelles et futures. Quel hubris doit nous animer pour déterminer par avance comment nos descendants devraient vivre et penser ? Leur offrir un cadre propre et en ordre serait déjà beaucoup, fait du mieux qu’on peut aujourd’hui, selon nos compétences présentes. Réécrire l’histoire est une fâcheuse tentation, très à la mode ces temps ; mais c’est encore plus insensé de vouloir pré-écrire la future histoire qui leur forgerait un destin bienheureux.
Des incitations économiques devraient former un cadre réglementaire approprié. Jusqu’ici je pensais que tel cadre était fait de décisions responsables à mettre en œuvre avec discipline démocratique. C’est le contraire qui est proposé par un jeu équivoque d’incitations, de dissuasion et de menaces qui confient les responsabilités aux otages que nous sommes en train de devenir. Voilà un habile usage du syndrome de Stockholm.
Bien évidement des nouveaux modèles commerciaux doivent être inventés. Le truc d’une nouveauté salvatrice fonctionne toujours… aussi longtemps que l’on se garde bien de dire de quoi cela serait fait et en quoi et comment cette nouveauté serait donc meilleure. En trichant un peu j’ai tout de même survolé ce rapport, sans rien y trouver d’autre qu’un appel à une économie circulaire, ce qui n’est qu’un maillon additionnel dans la chaine de valeur dont l’attractivité reste à démontrer. L’avenir radieux doit-il reposer sur une économie de fripiers, ferrailleurs et autres récupérateurs ? Beaucoup de consommation primaire sera requise pour alimenter la gratte de ce futur néo-prolétariat.
Un concept de finance durable et innovante est suggéré. Il est vrai que depuis que la monnaie n’est plus en papier elle ne peut partir en fumée que virtuellement. J’offrirai volontiers une chope de bière à celle ou celui qui m’expliquera la plausible durabilité de la finance. Et puis, il la faudrait innovante, ce qui me rappelle ce professeur qui nous signalait qu’en général, ceux qui sont trop innovants dans ce domaine finissent par contempler un horizon entravé de barreaux de cellule de prison (banqueroute de Law, Ponzi, Madoff).
Le clou est, bien sûr, la nécessité de modifier nos modes de vie. Ici aussi, moins c’est concret, plus attractif cela paraîtra. De fait, il s’agira non plus d’adopter des bonnes solutions et de saluer le progrès mais plutôt de se laisser imposer un cadre contraignant, sinon même de rationnement – consommation, mobilité, logement, mais aussi travail, loisirs et santé, procréation même. L’éducation pourra enfin redevenir ce qu’elle a été, imposée par l’idéologie dominante et contrôlée par une Sainte Inquisition omniprésente, soutenue en cela par la grâce abjecte des réseaux asociaux.
L’extinction du siècle des lumières est maintenant annoncée, car il aurait mené à la consommation de trop de chandelles.
Donc non, je ne décortiquerai pas les détails de ces élucubrations bourrées d’intelligence collectivement abrutie, je risquerais de tomber en dépression agressive. Je préfère accorder ma confiance aux générations futures qui n’en feront d’ailleurs qu’à leur guise.
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