Les benêts sont nombreux qui répètent que le risque zéro n’existe pas. Bien qu’ils aient raison, on sent qu’au moment où ils prononcent gravement cette banalité ils aimeraient que les risques n’existent vraiment pas. Les politiciens d’entre eux font systématiquement des promesses, surtout après un évènement fâcheux, de prendre des « mesures » afin que cela ne se reproduise pas, afin donc d’éliminer le risque. Tout le monde le comprend ainsi parce que c’est ce que à quoi tout le monde ou presque aspire.
Ou presque : y aurait-il des cyniques qui acceptent un quelconque risque, toujours imposé injustement par les autres aux autres ? Serait-ce des irresponsables ?
C’est la peur, souvent même la panique, qui conduit à l’illusion de l’élimination des risques alors que la familiarité et la confiance, même totalement injustifiées, font que l’on accepte et même salue la prise de risque.
Les risques pris individuellement sont généralement sous-estimés, banalisés ou occultés ; pire, on veut les croire bien calculés et maîtrisés. Les accidents et les dégâts ne manquent pourtant pas ; personne n’exige l’arrêt du trafic routier après un accident
Toujours révélés par des scandales et magnifiés par d’incessantes répétitions, les risques collectifs sont vastement surestimés dès lors qu’ils ne sont pas perçus être d’origine naturelle. Dans la crise économique décidée pour freiner la circulation du virus SRARS-CoV-2, le transfert à chacun de la responsabilité d’y faire barrière a donné au risque qu’il présente une dimension gigantesque, chacun étant enclin à se voir victime certaine alors qu’à ce jour seulement 178 décès par million d’habitant (en Suisse) lui sont attribués. Un picogramme d’herbicide mesuré dans un millilitre d’urine (et assurément faussement mesuré) et l’on se prétend collectivement et irrémédiablement empoisonné. Même chose avec le terrorisme et les immigrants. Une petite dose de suspicion et de complotisme donnera aussi du pep à la chose.
Si l’individu ressent le risque comme bon si choisi et mal si imposé, ce même individu mis en position de responsable politique devra adopter un autre point de vue, ambivalent entre caresser son électeur dans le sens du poil populiste et arbitrer des dilemmes au nom du bien commun. User de la déraison ou de la raison.
Il faut rappeler que le risque n’est pas simplement l’expression d’un danger mais le produit entre le caractère dangereux de quelque chose pouvant causer des dégâts et le degré avec lequel on s’y expose. Passer en trente seconde un carrefour où l’air est fortement pollué n’est pas la même chose qu’y travailler huit heures par jour toute l’année. Réduire de deux mois l’espérance de vie d’un vieillard n’a pas le même impact que la fin abrupte de la vie d’une jeune diplômée, deux décès qui, bien sûr, sont prématurés.
C’est au politique de procéder aux arbitrages entre bénéfices et risques, des législateurs et des gouvernants ont été élus pour cela. Même s’ils doivent consulter les experts, il leur faut éviter de se rendre captifs ni d’une élite scientifique et technologique ni des clameurs de l’anxiété générale relayée par des lobbys d’idéologies diverses.
Au bon vieux temps, plus de 20% des enfants ne vivaient pas plus d’une année, l’espérance de vie à la naissance était de 30-40 ans, il y avait des vieux en bonne santé alors que les autres étaient déjà décédés, on dormait en promiscuité avec les animaux domestiques, la toilette ne se faisait que les jours de fête et la pollution de l’air était maximale à l’intérieur du bien nommé foyer. Alors la prise de risque ne se discutait pas et sa manifestation sous forme d’accident, de maladie ou de catastrophe était attribuée à la fatalité ou à la volonté divine.
Comme ces bons temps sont hélas révolus et que même un décès au-delà de 85 ans est un scandale prématuré, que l’on mange des denrées si avariées que le cancer devrait nous frapper plusieurs fois par an, que les ressources de la planète ont d’ores et déjà été pillées, et que nous réduisons à néant la biodiversité et provoquons le ciel de nous tomber sur la tête, alors toute prise de risque additionnel, même négligeable, est devenue intolérable. Il faut en désigner le coupable, nous-mêmes.
C’est pour cela qu’a été inventé – ou plutôt dévoyé – le fameux principe de précaution. Bien nourrie de doses d’anxiété médiatisée, la foule exige en son nom d’être protégée à tout prix, même du risque supposé ; c’est ce que veulent croire les politiciens. Désormais, l’inventaire du « pas de » ne fait que croître : pas de virus, pas d’accidents de la route, pas de pesticides, pas de terroristes, pas d’effets secondaires des médicaments, pas de nucléaire ni d’OGM, pas de particules fines, pas de température additionnée au climat normal, pas d’espèce en disparition, pas de téléphonie à haute fréquence. Pour les volcans, ceux qui vivent à leur pied sont des inconscients. Pour les météorites, les responsables ne sont pas encore désignés, mais peut être que nos émissions radio dans l’espace interstellaire y sont pour quelque chose. Tout cela doit cesser, peu importent les bénéfices, surtout s’ils ne sont pas réservés à ma petite personne. Dire ‘précaution’ est devenu l’anti-sésame.
Face à une mise en place couarde de ce principe, curieusement inscrit dans la constitution française, il est nécessaire de rappeler aux politiciens et à leurs électeurs que l’arbitrage se fait toujours entre deux risques, et non entre risque et sûreté. Il y a des risques à ne pas entreprendre une activité risquée : vacciner ou ne pas vacciner, utiliser des insecticides ou ne pas les utiliser, confiner ou pas, déconfiner ou pas. Bien sûr, rien n’est binaire et il y a des nuances et des alternatives à envisager. Cette responsabilité est déléguée par le vote électif ou prise directement par un vote référendaire, elle ne peut être ni esquivée ni cachée. Il faut savoir prendre le risque de la lucidité.
Il est impossible de se laisser dominer par l’intolérance à tout risque, il vaut mieux choisir de bonnes méthodes pour les gérer et, incidemment, avoir confiance en ceux qui sont désignés pour le faire, tout en les gardant à l’œil. Afin d’éviter toute incompréhension je retourne la double négation de la phrase précédente :
Article original publié sur « European Scientist »sous le titre « Comment notre intolérance au risque est renforcée par un virus«
👍
Joliment tourné ! Merci
Pierre Multone
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