Sortir d’une crise pour se précipiter dans une autre ?

Un retour à la normale rapide et efficace est souhaité, sauf par des vilaines sirènes qui chantent les bienfaits de vagues « Green Deals » irréalistes et contreproductifs. Une grande détermination est nécessaire pour ne pas se laisser ni leurrer ni soumettre. La récente histoire montre que le leadership actuel n’y est pas enclin.

Dans une de ces interviews qu’il donnait en fumant cigarette sur cigarette sur des plateaux de télévision pourtant devenus temples du politiquement correct anti-tabac, feu l’ex Chancelier Helmut Schmidt fit remarquer que la génération de dirigeants politiques qui lui succédait n’avait aucune préparation pour affronter de sérieuses crises car ils n’avaient jamais eu à affronter dans leur chair des situations réellement tragiques comme lui et ses contemporains qui gardaient un souvenir vivace d’épreuves qui les avaient marqués au cours de la deuxième guerre mondiale.

Au vu de la gestion de crise suivant les attaques terroristes de 2001, embourbement en Afghanistan, guerre sans but en Irak, sidération face aux printemps arabes avec des interventions aberrantes en Libye puis en Syrie et sans aucun résultat diplomatique, la “communauté internationale “ se montre sans colonne vertébrale, dénuée de personnalités capables d’assumer seuls et avec fermeté des responsabilités sans le cache-sexe que leur fournissent leurs spin doctors, ces maîtres à mal penser afin que l’audience ne pense pas. Ces faiblesses sont patentes dans nos démocraties occidentales, elles en sont même une composante systémique ; il faut hélas reconnaître que la tâche est plus facile dans les régimes autoritaires, où je n’aurais pas même l’occasion de songer à écrire ces lignes.

La crise financière puis monétaire qui dure depuis 2007 a fait l’objet de colmatages bricolés les uns après les autres et personne n’a la moindre idée de la manière de sortir du cercle vicieux de dettes accumulées et d’argent facile fourni par de complaisantes planches à billets, accompagné de stagnation économique. Ne restera-t-il que l’inflation ?

Les mobilisations sur un ton guerrier contre le terrorisme ont principalement consisté en symbolisme et raidissements liberticides alors que les seuls succès en la matière ont été le fait du travail des polices et des services de renseignement, sans d’ailleurs que la menace soit écartée.

Une tentative de rassemblement stratégique a bien été lancée avec la construction d’une urgence écolo-climatique mais le cours des COP successives montre qu’elle est en train de faire long feu. Une crise doit surgir par elle-même, elle ne s’invente pas de toutes pièces par d’hypothétiques anticipations prophétiques, n’en déplaise aux Cassandres.

Schmidt avait diablement raison. Cependant il ne faut pas en déduire avec sarcasme que les dirigeants actuels seraient des imbéciles, des couards et des incapables plus ou moins corrompus, ce serait puiser de telles bassesses au fond de nous-mêmes. Non, pour la plupart ils sont de brillantes intelligences, sensibles et honnêtes, mais ils ne s’échappent pas des contingences que leur impose l’air du temps ou ce qu’ils croient être les exigences d’un Monde actuel, susceptible et impatient.

Le plus regrettable est qu’ils n’usent pas de leur puissance pour oser la liberté.

Au risque de surprendre et même de choquer certains, je trouve qu’Angela Merkel avait montré un rare souffle de lucidité stratégique et humanitaire à la fois dans son “wir schaffen das” au moment d’accueillir 800 000 fuyards dans son pays alors que tous ses compatriotes et collègues européens restaient sidérés par la crainte d’une vague de populisme identitaire. De fait, cela s’est assez bien passé, et oui, une AfD est apparue pour capter un segment important des électeurs, ce qui obligera les successeurs de la Chancelière à présenter des solutions meilleures que les jérémiades et le simplisme de cette opposition. L’adversité exige d’eux un effort créateur allant bien au-delà de l’habituelle zone de confort ; aucun progrès n’est réalisable dans l’aisance ou par anathème. Que seraient-ils sans opposition ?

Voici maintenant, alors même que les experts avouent leurs vastes incertitudes, l’économie de l’entier de la planète qui est mise entre parenthèse, panne technique causée par la nécessité de maintenir en fonction un système de santé qui, sinon, serait contraint à ne pas soigner une vague de contaminés en détresse respiratoire. Il n’est pas mon propos ici de faire la critique d’une manœuvre en cours ni des préparations qui eussent dû précéder la pandémie, je ne fais que constater la réponse quasi uniforme de tous les gouvernements dans le monde, même avec des variations qui aboutissent toutes à telle panne.

Un leadership qui leur serait commun et jusqu’alors insoupçonné s’est-il ainsi révélé, tel celui de Churchill lors de la bataille d’Angleterre ? J’en doute fortement, la seule alternative offerte à la décision étant de ne rien faire et de laisser cavaler la contagion et sa faucheuse, proposition inhumaine et imprésentable à l’orée d’une telle crise. J’en doute aussi lorsqu’un ton guerrier est adopté pour, en fait, gérer une crise d’intendance concernant la mise à disposition ou la pénurie de ressources critiques, donc de la logistique plutôt que de la stratégie, même si les conséquences sont mortelles. Lorsqu’il n’y a qu’une solution il n’y a pas d’héroïsme à prendre la décision qui s’impose.

La guerre ne doit jamais être déclarée futilement car elle signifie que le chef de guerre est déterminé à sacrifier des troupes pour vaincre un ennemi, pour ne pas tomber en soumission. Les commandants en chef dans les démocraties modernes ne mènent plus de telles guerres, la règle étant de préférer éviter des pertes plutôt qu’obtenir une trop couteuse victoire. Alors, au moment même où la guerre ne saurait plus être totale, ce mot perd son sens, surtout lorsqu’il est galvaudé pour parler d’actions policières contre le terrorisme ou de défense sanitaire face à une pandémie ayant une mortalité en Suisse de 11 par cent mille habitants, certes significative mais à mettre en relation avec le total de 790 chaque année. Même si les équipes chargées d’assurer la continuité de services essentiels, médicaux et tous les autres, s’exposent plus que d’autres au risque viral, il serait abusif de les considérer comme des soldats que des généraux enverraient au casse-pipe garanti ; elles-mêmes se savent exposées mais se considèrent sobrement comme des professionnels capables de gérer leurs risques et disposés à les prendre.

Maintenant que le carrousel ne tourne qu’au ralenti, sa remise en régime de croisière se dessine, avec prudence et par étapes. Il n’est pas surprenant d’entendre des commentaires et des revendications voulant mettre à profit cette parenthèse virale de l’histoire pour modifier profondément et durablement nos comportements, nos institutions et les chaînes de valeur auxquelles nous participons, c’est-à-dire ne pas trop relancer le carrousel et si possible dans un autre sens.

Mais modifier en quoi et comment ? Ce n’est décrit que par des mots-valises, vides de sens à force de tout inclure, allant de biodiversité à justice climatique. Ce sont bien sûr des chants de sirènes qu’il faut éviter à tout prix, leur verdeur malsaine étant un leurre[1]. Cela ne les empêche pas de se croire bonnes et de se prévaloir d’un poids politique amélioré récemment dans les urnes pour discourir sur des phantasmes alternatifs de sociétés à réinventer selon des mythes écolo-néomarxo-climatiques et des tournantes énergétiques. De peur de les affronter carrément en les renvoyant à leur logorrhée, leur rappelant la force d’une culture et d’institutions qui mirent des siècles à se consolider, quoique toujours imparfaitement, ces mêmes politiciens dont parlait Schmidt préparent des accommodements à ces idéologies irréalistes et usent d’ores et déjà d’un verbiage à la Green Deal qui nous soûlera tout l’été et plus longtemps encore. Ils se soumettent ainsi par avance à une pensée unique, politiquement contraignante puisque dominés par la peur d’être clair et lucide. Alors que la grande majorité des gens ne font qu’attendre que la parenthèse se referme et que les blessures sociales et économiques cicatrisent au plus vite, il est insupportable que le narratif d’une Nature-bonne-mise-en-danger-par-l’Homme-mauvais soit tenu par des apprenties sorcières irresponsables qui en fait n’ont rien à proposer de concret et d’acceptable. Sortons donc de cette crise sanitaire afin de retrouver calme et sérénité, et non une autre agitation anxiogène entretenue par des prophètes de malheur. Le courage et la force de s’opposer à de tels chants sera-t-il le fait d’un leadership retrouvé ?


[1] Une politique environnementale est bien sûr nécessaire, mais pas n’importe laquelle et qui ne doit pas servir de prétexte à des idéologies néfastes. Voir mon essai à ce sujet. 


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1 thought on “Sortir d’une crise pour se précipiter dans une autre ?”

  1. bien vu; il y a chez les dirigeants actuels beaucoup de pleutrerie, voire de lâcheté; prendre une décision ferme et s’y tenir, c’est choisir, donc renoncer, donc prendre le risque de se tromper; comme à la bourse, ils ont une aversion au risque.

    Helmut Schmidt, mort à 96 ans, en dépit des très nombreuses non politiquement correctes cigarettes, était aussi un excellent pianiste classique, notamment interprète des concertos de Bach.

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