Salade de chiffres couronnée par un virus

Si tout le monde se met à tout savoir sur un sujet ignoré il n’y a pas trois mois, pourquoi ne mettrais-je pas ma recette au menu ?

Déjà le Président Trump a déclaré que ce ne serait qu’un souvenir à la fin avril, et la précautionneuse House View de l’UBS considère que le virus sera sous contrôle à la fin mars. Pourtant on ne parle que de renforcer des manœuvres de retardement de la propagation et les confinements dans les zones les plus affectées.

La vitesse à laquelle les informations circulent fait que le phénomène semble d’une taille exceptionnelle alors que ce n’est peut-être qu’une nouvelle normalité qui s’installe, celle d’attribuer une dimension de fin du monde à tout événement inhabituel et d’en souligner le développement exponentiel. Pourtant, la taille du problème doit être mise en perspective : 3348 décès prématurés à ce jour sur le total de 58 millions par année dans le monde.

Je me rends compte aussi, une fois de plus, de la pusillanimité de beaucoup de mes congénères, si prompts à réclamer une protection qu’ils savent pourtant impossible et, en même temps, à reprocher aux autorités d’en faire trop et de contribuer à la paralysie économique du pays.

Il faut dire que c’est une formidable occasion de gestion de crise au milieu d’incertitudes qui ne seront levées qu’après coup. Ceux qui détiennent le pouvoir, et donc la responsabilité de décider, sont totalement démunis des outils habituels d’évaluation de la situation et des besoins. Toute décision, même d’ordre technique, ne sera fondée que sur un sentiment de précaution mis en balance avec celui de la confiance dans laquelle il faut garder les populations. On ne connait ni les poids respectifs ni la longueur des leviers de la balance, et pourtant il faut bien faire quelque chose. Celle ou celui qui prétendrait en savoir plus et mieux n’a qu’à s’annoncer, ça ne fera qu’un yakafaukon de plus.

En peu de temps beaucoup a été appris à propos de ce virus COVID-19 qui donne de la fièvre et fait tousser certains et qui précipite le décès de quelques-uns parmi les moins résistants, à ce jour 3.4% des cas confirmés. Mais comment Trump et UBS peuvent-ils affirmer que le retour à la normalité soit proche ?

Rappel théorique : les épidémies semblent se développer initialement comme si c’était de manière exponentielle, cause de peurs irrépressibles, mais, au fur et à mesure qu’elles progressent elles épuisent leur « fonds de commerce » pour ensuite s’arrêter.

C’est une fonction dite logistique qui s’applique à tel développement :

Où F est la valeur maximale, c’est-à dire le nombre total de cas accumulés,
k est le taux de croissance et t0 le temps au point d’inflexion de la sigmoïde.

Appliqué aux données disponibles il est possible d’évaluer les paramètres représentant au mieux l’évolution actuelle et de les utiliser pour faire une projection sur l’avenir. Le diagramme suivant est obtenu avec les données que collige la Johns Hopkins University pour tous les pays qui pratiquent des analyses.

Nombre de cas confirmés, totaux, en Chine et dans le reste du monde (RoW)

Si l’épidémie chinoise semble arriver à sa fin, celle dans le reste du monde est en pleine croissance et pourrait atteindre environ 115 000 personnes, ce qui entraînerait la mort prématurée de 4 000 personnes environ qui s’ajouteraient à 3 500 Chinois. Une stabilisation devrait être atteinte vers la fin du mois de mars. Il y a donc une certaine rationalité chez Trump (!?) et chez UBS.

POURTANT NE CROYEZ PAS ÇA !

Tout peut changer :

  • D’autres « départs de feu » peuvent surgir dans des zones encore peu affectées, comme si une nouvelle épidémie démarrait, de la même manière que le Reste du Monde a succédé à la Chine ; c’est le problème de la pandémie.
  • Le modèle utilisé est rudimentaire, avec un calcul de régression. Comme toujours avec les modèles, il ne faut pas s’en amouracher (je ne parle pas ici de top-model).
  • Tous les atteints ne sont pas dépistés, tant qu’ils ne développent pas de complications ils peuvent même rester complètement ignorés des systèmes de santé. C’est par exemple le cas de la banale grippe.
  • Les données disponibles ne couvrent pas encore tous les pays.
  • Les méthodes de dépistage changent ce qui peut modifier la courbe comme cela a été le cas pour la Chine à mi-février alors que l’on aurait pu penser à une atténuation.  

Alors gardons-nous de prétendre savoir et surveillons la chose. Et si Trump et UBS ont raison, et bien c’est tant mieux.


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