La première mesure d’hygiène mentale est de cesser de se plaindre de l’augmentation des coûts [1] de la santé, de la baisse du niveau de service, et de l’impéritie des patients, médecins, hôpitaux, assurances et gouvernements cantonaux et fédéral. Répéter tout cela ne sert à rien, même si c’est vrai.
De fait, aucun des acteurs de la santé, y compris les patients, n’a intérêt à ce que cela coûte moins – sauf les personnes en bonne santé, jusqu’à ce qu’elles tombent malades. Chaque automne le Conseiller fédéral en charge accomplit la vaine et répétitive tâche d’annoncer les augmentations de prime, part visible de cet iceberg en croissance. Tout cela s’accompagne de mesurettes qui toutes visent la frange de la cible car le cœur semble inatteignable. Cela mène à croire que les coûts de la santé tombent avant tout chez le pharmacien et le généraliste en bobologie alors que la réalité est que les grosses dépenses se font dans les hôpitaux, surtout en fin de vie, et pour des lourds traitements de cancers et maladies chroniques, la vieillesse en sus.
Pourquoi alors gérer de la même manière les gros cas et les petits incidents de santé, les sentiments d’inconfort et les bobos ? Les uns ont besoin de la vraie solidarité qu’offrent les assurances en répartissant les risques, les autres sont de l’ordre de l’évanescente fatalité et de la responsabilité individuelle. Alors, plutôt que le déclarer irréformable, il faut commencer par segmenter ce marché afin de sortir du carcan que le système s’est construit dans lequel aucun des acteurs ne voit un avantage comparatif à optimiser ses performances et ses coûts.
Trois réformes sont à faire afin de commencer à rompre ces mauvaises habitudes :
Modifier l’assurance de base en créant un compte épargne-santé personnel qui servira à soigner les maladies et déficiences courantes, compte abondé obligatoirement par son détenteur et géré sous sa responsabilité dans le but exclusif de dépenses de santé. Ce compte pourra faire l’objet de transferts entre les membres d’une famille, car c’est la première unité solidaire de la société, même si elle se trouve en pleine phase de destruction institutionnelle.
La franchise est supprimée et le tiers environ (chiffre à préciser par des experts honnêtes et compétents) de la prime actuelle y sera alloué. Une période d’accès sera aménagée (assurance générale temporaire) pour les jeunes et les nouveaux arrivants jusqu’à ce que leur compte soit suffisamment abondé.
Toute facture doit être adressée au patient qui doit en vérifier le bien-fondé ; elle doit donc lui être compréhensible.
Le rôle de la compagnie d’assurance est celui d’organe payeur à des prestataires dûment homologués, sans autre forme de contrôle ou de fichage. En parallèle, une vraie assurance de base prendra en charge à 100% les gros risques économiquement insupportables pour les individus (modèle Singapour). Un catalogue de soins pris en charge par cette vraie assurance devra être établi afin que la frontière soit claire.
Une aide sociale devra aussi être aménagée pour les cas exceptionnels de ceux qui auraient épuisé leur fonds personnel ou de ceux qui ne peuvent le constituer.
Enlever aux assurances le pouvoir qu’elles s’arrogent de rompre le secret médical, même si le patient y consent à chaque fois sous la menace de refus de soins, car c’est de la contrainte [2]. Elles doivent se contenter de jouer le rôle de répartiteur de risque entre leurs clients, de servir d’agent payeur garantissant le payement auprès des prestataires, mais en aucun cas se croire aux manettes de la conduite de la santé de leurs assurés et des conditions professionnelles du milieu médical. Cela permettra aux médecins et autres soignants de perdre moins de temps à satisfaire leur avidité bureaucratique.
Ouvrir tout ce secteur à la concurrence, entre praticiens généralistes, spécialistes ou paramédicaux, entre cliniques et hôpitaux, entre public et privé. L’ensemble de la profession commencera à trouver un avantage dans la maîtrise des coûts ce qui permettra d’offrir un haut niveau de service à des prix concurrentiels. Offrir du low cost sera aussi possible sans porter préjudice au principe d’égalité. Cela ne signifie pas l’absence de règles, de références tarifaires et d’indices de qualité qui protégeront et éclaireront les patients dans leurs choix.
Le financement des infrastructures et du fonctionnement d’une partie des hôpitaux et cliniques ambulatoires est du ressort des cantons qui y consacrent une part considérable de leurs recettes fiscales (ou de leur endettement, ce qui est pareil mais décalé dans le temps). Cela n’est pas une raison pour que la gestion de ces institutions reste empreinte de complaisances politiciennes.
Les coûts de la santé baisseront-ils ? Personne ne peut le dire. Ce qui est pourtant certain est que les habituelles lamentations pourront cesser, que les responsabilités seront mieux réparties sans prétériter quiconque et que les défis que pose une population toujours en meilleure santé mais vieillissante ne seront pas cachés par des disputes secondaires (Nebenkriegschauplätze) autour des médicaments, du paramédical complémentaire, de la réduction individuelle des primes (aide sociale) ou de l’épuisement des franchises chaque mois de décembre.
La mise en place d’une telle vraie réforme n’est pas simple, demande une grande détermination et ne peut se réaliser par petits bouts ou à force de tergiversations. Un quelconque parti en lice le 20 octobre prochain est-il capable de s’emparer de ces idées ? Le Conseil fédéral l’osera-t-il ?L’alternative est de continuer à annoncer les hausses de prime chaque début octobre, démontrant ainsi une crasse impuissance.
[1] Des 82.5 milliards de francs annuels que coute la santé en Suisse (~10 000 Fr par personne) la moitié (51,1%) est dépensée en institutions hospitalières et médico-sociales, 44% en cabinets et traitements ambulatoires alors que 6% servent à des campagnes de prévention et à l’administration. Les médicaments comptent pour 12% du total. Le financement est assuré pour environ un tiers chacun par l’État, l’assurance obligatoire et les versements direct privés. Environ 15% des primes pour l’assurance obligatoire sont couvertes par l’aide sociale des cantons (RIP).
[2] « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » Citation attribuée faussement à Benjamin Franklin mais gardant toute sa validité.
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