L’économie en Suisse

À force de se sentir coupable d’être laborieux et riche, une ambiance de fin de fête semble s’établir chez nous. Bourrés de calories et d’alcopops les fêtards font durer la teuf, anticipant des lendemains qui ne chantent pas. Cette morosité n’est surmontée que par plus de distractions, festives, sportives ou associatives. L’économie est comme le pompier de service, on en a besoin mais on ne la voit plus.

D’un pays sans autres ressources que de l’eau de pluie accumulable dans des lacs alpestres et artificiels, sans autarcie alimentaire possible[1], exportant ses mercenaires et souffrant d’une émigration de forces jeunes et vives vers les Amériques ou la Russie en plein développement, la Suisse est devenue industrieuse, terre d’immigration massive, exportatrice de produits de haute valeur ajoutée, havre de paix et refuge pour infortunés et hyper-fortunés, et bien sûr toujours nett und adrett (propre et coquette). Prospère comme il y en a peu dans le monde.

Cette prospérité est supposée durer, comme si un droit transcendant nous la destinait. Pourtant, et ce depuis un bon quart de siècle, ce mécanisme quasiment horloger se démonte peu à peu.

Les institutions politiques restent, bien que de plus en plus soumises à des ordres supérieurs édictés par des apparatchiks continentaux ou mondiaux. La part de l’État ne fait qu’augmenter, même si elle reste moins envahissante qu’elle ne l’est dans d’autres pays, et les règlements et lois envahissent les aspects les plus banals de la vie de tous les jours, malgré des promesses hypocrites de simplification. Même la norme se fait normaliser, toutes particularités ou différences sont à gommer.

C’était le fameux Vorort, ce directoire de l’Union suisse du commerce et de l’industrie, composé de ses grands patrons, qui déterminait la stratégie économique nationale, pour le bien de leurs affaires, bien sûr, mais en veillant aussi à la cohésion du pays, considérée comme pilier du succès. Le Conseil fédéral n’était pas entièrement à sa botte, mais presque.

La donne changea après le démantèlement du bloc soviétique et la mondialisation qui s’en suivit. Les grands patrons devinrent de moins en moins suisses, la finance se fixa dans peu de pôles dominants dont Zurich ne fait plus partie, et l’industrie migra vers l’extrême orient.

Le Vorort devint Économiesuisse, toujours une association faîtière mais dont le comité n’est plus constitué de chefs mais de second couteaux ou représentants d’autres associations. Aucun président ou CEO d’une entreprise du SMI n’y siège, car ceux-ci parcourent le monde et ont d’autres chats à fouetter que les postérieurs helvétiques ; ils vont à Davos, colonisent le pays, mais ne débattent pas à Zurich. On ne s’étonnera donc pas qu’Économiesuisse n’ait plus trop d’écho dans le pays car de puissant stratège, elle n’est devenue qu’un lobby de plus, par ailleurs tiraillé entre intérêts divergents des branches qu’elle représente. Une organisation très trop professionnelle en souligne la stérilité de pensée et d’action, attachant plus d’importance au politiquement correct de ses communiqués qu’à leur force dialectique. Les souris sont propres, mais toujours bien grises.

Le Conseil fédéral s’occupe aussi de l’économie nationale, et pourtant, bien que le chef de ce département ait toute l’expérience requise et fasse un bon travail, les fameuses « conditions cadres » ont plutôt tendance à se transformer en corset et en compétition du plus disant et du plus coûteux : protection sociale et environnementale sans limite, subsidite aigue, protectionnisme larvé. La politique coûte de plus en plus au pays ; lui rapporte-t-elle des avantages en proportion ?

Pourtant tout va bien : presque plein emploi, vacances abondantes, longévité en bonne santé, pays propre et coquet, il est encore toléré que nous jouissions de tout ça.  Car c’est mauvais, ça pollue, ça augmente les inégalités, ça projette le monde dans l’abîme, c’est égoïste, et aussi ça fait beaucoup de jaloux. Comme il est si bon de se donner mauvaise conscience, nous pouvons nous acheter quelques indulgences et concéder à d’autres le pouvoir de nous contrôler, « parce que nous le valons bien » dirait le slogan, mais à quel prix !

Courage donc, fuyons ! Continuons de faire la fête. « Pourvou qué ça doure » disait la maman de Napoléon, sans trop y croire.

 

[1] Même le plan Wahlen et les rationnements de l’économie de guerre n’y sont pas arrivés en 39-45


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