Ni durable, ni renouvelable

Durable (sustainable, nachhaltig, sostenible) et renouvelable : voilà deux commandements pour l’économie dite responsable du vingt et unième siècle. Du moins le courant dominant des concepts-valises l’exige. Pourtant si ces adjectifs semblent maintenant aller de soi, il est improbable que ceux qui les prônent soient à même de les expliquer. Car s’ils s’y essayaient, ce qu’ils ne font pas, ils se rendraient compte qu’ils sont utilisés à l’inverse du bon sens.

Voici de quoi aiguiser un esprit libre, ouvert et critique. Mais, lectrice.eur, si pour toi tout semble si clair que tu es capable de ne jamais prononcer de platitudes politiquement correctes à leur sujet, si tu crois que ma critique s’oppose scandaleusement à tes intérêts, si tu veux croire qu’elle n’est qu’esprit de contradiction, alors tu peux renoncer à lire la suite. Mais pas avant d’avoir re-blogué cet article, re‑facebooké, re‑twitté, re‑linkedé, ou re‑réseauté d’autre manière, car tes lecteurs, face‑amis, co‑encagés gazouillants, ou co‑menottés ont aussi bien le droit de décider par eux-mêmes s’ils veulent ou non le lire. Et toi lecteur assidu, fais aussi cela, merci. Il te reste environ quatre minutes de lecture.

Notre système solaire n’est pas durable. Si chaque année ne durait qu’une seconde il aurait environ 144 ans et son espérance de vie résiduelle serait d’autant. Nous sommes donc en pleine mid-life crisis. Et si l’on condensait plus cet espace de temps ça aurait un air encore plus court, et j’inventerais les logarithmes.

Notre ère interglaciaire, l’holocène, dure depuis maintenant 12 000 ans. Comparant avec de telles périodes au cours du pléistocène (remontant à 2,6 millions d’années), elle devrait encore continuer un peu, mais personne ne sait le prévoir. La dernière, l’Éémien, a duré environ 15 000 ans il y a 125 000 ans, son pic de température a été d’environ 2 °C plus élevé qu’aujourd’hui et le niveau des mers plus haut de 6 à 8 mètres. L’espèce humaine l’habitait déjà. Ces ères se répètent tous les 100 à 130 000 ans.

Durable, notre vie ne l’est pas non plus. Nous ne sommes pas nés pour faire des bilans comptables de carbone ou de gros sous, mais pour mener notre vie, bonne on l’espère au milieu de contingences incontrôlables. Pour cela il nous faut l’aimer et user le peu de raison et de libre arbitre que nous accordent les bureaucrates et les neuropsychiatres. Et pour la juger bonne, ce n’est pas sa longueur ni les indicateurs de développement durable qui compteront. Nos ancêtres aussi n’ont vécu qu’une fois, ce sera aussi le cas de nos descendants.

Les ressources minières et fossiles que nous exploitons abondamment ne sont bien sûr pas durables non plus, mais suffisantes pour nous laisser, y compris à beaucoup de générations futures, le temps d’inventer d’autres choses plus malines dont nous n’avons pas la moindre idée puisque pas encore inventées. L’innovation ne se décrète pas et ne se fait pas sur commande, elle a eu des moments intenses, à la Renaissance et au Siècle des lumières, et c’est vraisemblablement le cas aujourd’hui, mais elle a eu de longues phases de stagnation. Il y a quelque chose d’absurde dans cette obsession planificatrice de décréter comme urgents et nécessaires des changements douteux et imprévisibles ; cela procède d’une pathologie de l’exercice d’un pouvoir sans repères solides et aspirant à des illusions.

Le non durable est éphémère, mais il peut quand même durer un peu, voire beaucoup comme l’agriculture, la plus ancienne industrie humaine.  La nécessité qu’elle soit encore plus productive ne la détruira pas, bien au contraire, elle se réinventera. Ce qui est scandaleux, c’est qu’au nom de la durabilité, les bienpensants du développement conseillent aux pauvres Africains d’en rester à l’agriculture vivrière, de low input et limitée à l’autoconsommation, alors que ce continent pourrait prendre une place prépondérante dans l’alimentation du monde entier, ce que les Chinois ont déjà bien compris.

Ma tasse de café est éphémère, son contenu disparaît dans mon corps puis se dilue dans l’environnement, son contenant deviendra un déchet si elle se casse ou quand je le déciderai. Sera-t-il recyclé comme nouvelle matière première d’un autre objet peu ou très durable ? Cela dépendra de notre inventivité, et aussi de notre sens économique car toute innovation ne mérite pas d’être mise en œuvre si elle consomme plus de ressources qu’elle en produit, ou qu’elle les consomme mal en comparaison avec des alternatives plus efficientes. Notre économie a toujours été circulaire, sans avoir besoin d’un nouveau mot pour se faire reluire.

Si rien n’est donc vraiment durable tout devrait au moins être renouvelable, non ? NON ! Car le renouvelable n’est pas non plus durable. Imaginons un durable renouvelable : s’il l’était, alors son renouveau signifierait qu’il aurait préalablement disparu, qu’il n’aurait pas duré. Mais imaginons alors un renouvelable durable : il n’aurait donc plus besoin d’être renouvelé. Tout reste-t-il encore clair et simple ?

Si le durable existait vraiment, l’Homme éternel (mais pas la femme car les septante houris promises à chacun ne peuvent être recyclées), une fois créé définitivement par ADN de synthèse, n’aurait plus besoin de se renouveler ; quel manque de vision, quel immobilisme programmé, quel ennui ! L’éternité à ce prix ? non merci ! Homo deus est un oxymore.

Débusquons maintenant l’ultime esbroufe du post-moderne technologique : les énergies d’origine solaire –photovoltaïques, thermiques, éoliennes, hydrauliques– ne sont pas renouvelables ! N’est-ce pas étonnant ?

De fait, elles sont cueillies, directement ou indirectement, de l’irradiation dans laquelle le soleil nous baigne. Ce que nous ne captons pas, soit plus de 99,99% de l’énergie atteignant la planète, se perd dans l’espace intersidéral. Et ce que nous avons récolté s’y échappe aussi, mais après avoir été transformé en énergie mécanique pour moudre, pomper et faire fonctionner d’autres mécanismes dans les temps précédent la machine à vapeur, ou, dans le monde moderne, en électricité pour faire fonctionner des usines ou propulser des trains, se chauffer, ou faire culbuter des téraoctets d’information. Par ailleurs, la transformation d’une forme d’énergie en une autre est toujours accompagnée de pertes, ce qui requière une cueillette encore plus intense. Une foi consommée et dissipée dans l’univers, il faut en cueillir à nouveau, donc travailler plus pour gagner plus comme disait un président français qui faisait de la thermodynamique sans le savoir.

La biomasse a plus de chance de pouvoir se dire renouvelable, grâce au cycle du carbone. Elle aussi est un fruit de l’énergie solaire mais pas seulement, il lui faut de l’eau, du gaz carbonique et des nutriments (N, P, K, et d’autres éléments) pour que la photosynthèse puisse fonctionner. La montée observée de la concentration de CO2 dans l’air est d’ailleurs accompagnée par une augmentation significative de la biomasse terrestre. Les forêts se maintiennent en vie, croissant et se décomposant à des rythmes égaux ; mais une fois coupées elles mettent au moins trente ans pour repousser, et ce sous une forme qui n’a rien à voir avec l’original. Les bio-fuels et le biogaz peuvent être des sous-produits de l’agriculture ou être cultivés dans ce seul but. Une surface doit y être réservée, à prendre sur celles servant aux aliments et aux fibres végétales ou sur la nature sauvage, et faire l’objet de soins divers. Ce renouvelable-là doit être soutenu par une somme d’intrants indispensables, semences, engrais, carburants pour les pompes et tracteurs, produits de traitements, et il est associé à des altérations du paysage, de la faune et du reste de la flore qui changent l’environnement pour un certain temps.

Ce qui n’est pas non plus renouvelable du tout, ce sont les usines servant à transformer une forme d’énergie en une autre. Après vingt à trente ans pour un panneau solaire ou une éolienne il faut à nouveau puiser dans les réserves, énergie et matières premières, pour en construire d’autres. Pour le nucléaire, c’est maintenant cinquante ans ou plus, mais lui, il fonctionne aussi lorsqu’Éole ne souffle pas ni le soleil ne luit. Pour les barrages hydroélectriques, la non renouvelabilité se manifeste encore plus tard, s’ils ne s’effondrent pas avant, mais ils occupent le paysage tout aussi longtemps.

Quant aux capitaux, les richesses financières nécessaires pour réaliser ces ouvrages, chaque jour il faut les créer et les recréer, presque ex nihilo, car c’est bien dans une vallée de larmes que nous évoluons. La valeur ajoutée résulte d’un effort, elle n’est pas une rente renouvelée périodiquement comme par magie. Le travail n’est qu’humain, à remettre sans cesse sur le métier. Une fois réalisé il n’est plus qu’histoire, comme l’eau qui aura coulé sous les ponts.

Pas du tout durable, très peu renouvelable, voilà l’état très relatif de nos conditions de vie sur cette Terre. Cela ne nous empêche pas d’y avoir goût, surtout si nous évitons de nous laisser emmernuyer par ces injonctions absurdes et moralisantes.


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1 thought on “Ni durable, ni renouvelable”

  1. Il n’est de développement durable qu’économiquement viable. Sinon c’est la spirale infernale assistanat > subventions > déficits > impôts > endettement > appauvrissement > faillite.

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