Investissements irresponsables

Les personnes, l’État et les entreprises ne considèrent pas de la même manière leurs investissements, ces acquisitions ou fabrication de biens censés être utiles et durables. Pour le premier et le deuxième ce sont simplement de grosses dépenses, importantes, nécessaires et assez rares ; pour les entreprises, ce sont des actions d’importance stratégique qui requièrent un arbitrage entre efficience des ressources engagées, anticipation des besoins et prise de risque. Il s’ensuit une morale différente face à ce type d’engagement financier, mettant l’accent sur la satisfaction de besoins individuels, sur des choix d’ordre politique, ou sur la pérennité et le développement de l’entreprise. Pour l’État ou le particulier, cette eau coule vite sous les ponts et s’oublie, on verra plus tard comment procéder à d’autres gros achats ou travaux, avions de chasse ou hôpital, voiture ou maison. Mañana es otro día. Pour une entreprise, les investissements portent une longue ombre sur leur présent et leur futur ; il faut les évaluer en terme de viabilité, de rentabilité et de risque.

Chacun balayant devant sa porte, ces différences ne posent pas de problème. Sauf pourtant si l’on propose que les entreprises soient induites à investir à long terme selon les vœux de l’État, c’est-à-dire en oubliant, pour un certain temps, des exigences minimales de rentabilité et de cohérence stratégique. Les entreprises se laissent volontiers corrompre par des avantages qui lui seront accordés sous forme de protection face à la concurrence (autorisation de cartels), prix garantis, subventions ou rabais fiscaux. Mais elles recadrent leurs décisions sitôt que ces incitations motivées par la politique sont abandonnées. Ainsi, des capacités productives furent redistribuées sitôt que disparurent des mesures protectionnistes, comme cela s’est vu en son temps au Brésil ou au Mexique. L’exemple espagnol en est un autre témoin : en situation de faillite, l’État supprima les incitations pour les énergies renouvelables, ce qui a entraîné une désaffection soudaine des entreprises pour ces technologies, voire même des difficultés financières allant jusqu’au dépôt de bilan pour certaines. Mais bien sûr, comme il s’agit de châteaux en Espagne ou de républiques plus ou moins bananières, aucun des pharisiens de la gestion publique au centre et au nord de l’Europe n’en aura tiré aucune leçon, ni dans la politique, ni dans les administrations, ni dans les entreprises.

De plus en plus les politiciens en voie de décadence du monde occidental veulent croire qu’ils ont une mission de planification d’une économie qui devrait se verdir au point de ne plus jamais pouvoir mûrir. Des conférences sont organisées –le mafieux One Planet Summit de Paris en décembre 2017, ou le maintenant annuel Swiss Energy and Climate Summit chaque septembre (by the way : vive la francophonie) – où de rayonnant chefs d’entreprise promettent de suivre les admonestations que leur adressent les caciques du système écolo-énergético-climatique que sont des scientifiques dévoyés ou fonctionnaires dûment appointés. Mais en fait, à part des caisses de pension dont les gestionnaires se sont fait laver le cerveau, personne n’est disposé à investir dans des projets de gaspillage ou de redondances énergétiques, dans des infrastructures dont le besoin, la taille et les coûts ne sont même pas évalués, ou dans des bulles décarbonisantes dont le seul bon rendement est celui du pétillant champagne. Avec un retour sur investissement destiné à être négatif puisqu’aucune valeur ne peut être ajoutée, l’économie réelle se gardera bien de dilapider les capitaux limités dont elle dispose. Jouer la comédie pour se montrer in the flow ne signifie pas que l’on y croie.

Il faut donc dire non à ces politiciens soudain illuminés d’une mission salvatrice de la planète car personne ne leur a confié telle mission, ils doivent se rappeler qu’ils ne feront que viser à côté d’une cible sans cesse mouvante, et nous devons nous moquer de cet hubris égotique qui est le cadet des soucis des générations d’aujourd’hui, de demain et d’après-demain. La politique des modestes petits pas nous fait grandir et nous permet des corrections que les grands sauts dans le vide ne permettent pas.


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