De la santé en Suisse (IV et fin)

Chapitre 4. Voies à suivre

La santé d’une personne vaut ce que ce qu’elle veut lui attribuer, pas grand-chose quand tout va bien, un maximum lorsqu’elle se sent mal, un incessant cauchemar pour l’hypocondriaque, un culte pour le sportif (en tous cas pour celui qui ne se dope pas). Les praticiens du secteur connaissent les contraintes à respecter et ont certainement plusieurs idées pour que ce système soit le plus performant possible. Cependant ils sont entachés d’un biais important : leur « normalité » professionnelle est la maladie alors que pour leurs patients il est anormal d’être malade et dépendant. Pour la société et son système de santé il s’agit bien sûr aussi de satisfaire les besoins de tous les malades présents et à venir, mais il faut en plus veiller à que cela se fasse de la manière la plus efficiente possible. La course en avant du plus de santé à n’importe quel prix n’est pas une solution dès lors que des ressources communes (finances publiques, assurances collectives) sont mises en jeu qui doivent immanquablement faire l’objet d’arbitrages selon les priorités et les moyens disponibles.

Mise en concurrence

Sous prétexte que l’on ne joue pas avec la vie des gens et du rapport de confiance entre médecin et patient, la mise en concurrence et la publicité sont strictement limitées sinon totalement interdites. Pourtant une saine concurrence pourrait offrir plus de choix aux patients et obliger les prestataires à assurer un service de la plus haute qualité dans un cadre économique qui n’est pas illimité.

Il est difficile à un praticien de prétendre qu’il enlève mieux une vésicule biliaire ou écoute mieux ses patients que ses collègues, mais du point de vue de l’accueil, de l’attention, du réseau de collaboration, il y a des engagements qui peuvent être offerts, impliquant des prix différenciés allant du low-cost de la permanence populaire au traitement VIP. Pourquoi empêcher le client de décider en dissimulant ces différences. Pour le choix des hôpitaux en Suisse, un site internet (www.hostofinder.ch) offre maintenant certaines comparaisons. C’est un bon début qui reste très rudimentaire et peu significatif. Il serait souhaitable que de telles approches soient étendues et mieux ciblées.

Pourquoi un médecin ne publierait-il pas sa liste de tarifs, ses objectifs de nombre de visites quotidiennes (ou de de durée moyenne de consultation), le nombre et le type d’interventions qu’il pratique ? Un restaurant ou un hôtel le fait, il y a même des étoiles ou des points qui sont distribués par des institutions qu’on espère vraiment indépendantes. Pourquoi cela ne serait réservé qu’à des « marchands » ?

Des voix libérales souhaitent que cesse l’obligation de contracter (pas de sélection de médecins par les assureurs) qui est imposée aux caisses d’assurance car celles-ci seraient restreintes dans leurs travaux d’optimisation concurrentielle. Il faut douter de cette proposition car cela reviendrait à une qualification professionnelle dépendant d’acteurs dont les motivations ne sont que pécuniaires. Ainsi un médecin devrait non seulement être reconnu par un diplôme sanctionnant sa formation et une autorisation de pratiquer délivrée par les autorités cantonales, mais il devrait montrer patte blanche, ou maigre, à un agent de payement. D’autre part la confiance que le patient met dans sa relation avec son soignant serait entachée d’un doute : est-il à mon service ou à celui de la caisse d’assurance ? Les caisses offrent déjà à leurs clients des rabais s’il se plient à certaines conditions, par exemple de ne se laisser traiter que par des réseaux de santé agrées. Cela est bien suffisant et n’entache la liberté du patient que par un chantage à la prime qu’il peut refuser.

Alors que des redondances hospitalières sont sacralisées par le vote populaire, à l’exemple du Haut et du Bas du canton de Neuchâtel, se développe un tourisme médical qui va chercher une prestation de qualité à meilleur prix ailleurs, soit en se rendant en Hongrie pour des soins dentaires importants ou en Inde pour des actes chirurgicaux, soit en se procurant à l’étranger des médicaments très couteux à moindre prix. Ces deux voies comportent des risques. La complaisance du rester bien chez soi fera que les équipes médicales n’auront pas la masse critique pour atteindre un haut niveau d’expérience et de qualité, risque lié aussi à la certitude de coûts élevés. Le tourisme médical est exposé aux risques de charlatanisme et d’escroquerie, et restera limité à des actes ne demandant pas de suivi important à domicile. Mais une bonne dose d’esprit d’entreprise ne ferait pas de mal dans un système où le ‘privé’ reste singulièrement associé avec ‘cher’. Pourquoi le ‘low cost low frill’ ne pourrait-il pas cohabiter avec les hôpitaux publics et les cliniques de luxe ? Le marché doit-il être si fortement dirigé qu’il doive rester immobile ?

Risques et solidarité

La solidarité consiste à unir des ressources communes pour aider un individu se trouvant dans le besoin. Mais s’il s’agissait de prélever toutes les ressources pour les redistribuer selon un plan de consommation idéal, alors il faudrait parler de collectivisme centralisateur plutôt que de solidarité. L’assurance restera toujours nécessaire pour pailler aux risques majeurs. Cependant, dans un système de tiers payant seulement bridé par une franchise et une participation aux frais de 10%, ou dans un système du tout État, les barrières ne sont que bureaucratiques et de peu d’utilité. Par contre, dans le contexte d’un système principalement basé sur un plan d’épargne, le risque de surconsommation reste limité, même s’il ne disparait pas, et l’explosion des coûts, si elle doit avoir lieu, devra être justifiée par une offre de meilleure qualité tant médicale que d’accompagnement.

Santé et liberté

Des encoches à la liberté du patient et au respect absolu de sa sphère privée sont déjà incluses dans le système, soit par des contrats léonins benoitement acceptés par les intéressés, soit même à leur insu. Avec l’avènement de nouvelles technologies, objets connectés au big-data mesurant continûment des paramètres physiologiques et comportementaux, des promesses de plus en plus merveilleuses sont faites d’une santé toujours améliorée, mais exigeant de suivre des prescriptions toujours plus contraignantes, et ce au prix de l’abandon de ses données privées à un système qui se prétend bénévolent (et il ne suffit pas de le dire pour l’être, don’t do evil Google !). Il y a fort à craindre que « les gens » soient plus immédiatement intéressés à obtenir le bien ultra-supérieur qu’est la santé qu’à chérir LE bien fondamental qu’est leur liberté individuelle.

Conclusions

Il est possible d’être satisfait du statu quo, encore faut-il savoir pourquoi.

Dans une société où les besoins en soins augmentent, tant par les progrès de l’offre médicale et technologique que par la démographie vieillissante, il faut pourtant se demander si le système en place est le meilleur possible. Au vu de la coalition objective allant dans le sens du toujours plus, et devant l’attitude désarmée du Conseiller fédéral annonçant chaque automne l’augmentation de la facture, il semble évident qu’une réforme de fond soit nécessaire.

Le système de santé actuel est d’une telle complexité qu’on pourrait le croire inapte à toute réforme, et ce d’autant plus que beaucoup de rentes de situation doivent être mises en question. Pourtant une simplification est possible qui n’engagerait que peu de moyens. Ouvrir la santé à une concurrence ne demande qu’un encadrement pour éviter les abus déloyaux, et les moyens de comparaison qui existent dans d’autres secteurs peuvent rapidement se développer dans celui-ci. Du côté du financement, c’est presque par un coup de baguette magique qu’il serait possible de diviser en deux piliers les cotisations actuellement versées à l’assurance de base, l’un consistant à abonder une épargne individuelle gérée par le patient, et l’autre à garantir les gros risques dont la liste n’est pas très longue.

Pour initier cela il faut tout d’abord le vouloir, et ensuite avoir du courage, de la clairvoyance et l’esprit d’innovation ; n’est-ce pas là l’ambition d’un vrai chef politique ?

Un document assemblant ces chapitres sur la santé en Suisse peut être téléchargé ici.


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