Ce que la démocratie n’est pas

On se gausse de démocratie, et plus on le fait moins ce mot est compris. Alors, plutôt que d’essayer de cerner la signification de ce concept, limitons-nous à bien marteler ce qu’il n’est pas.

Organisation d’un référendum illégal en Catalogne : déni de démocratie ou exercice responsable de celle-ci ?
Répression de ce référendum par la police nationale : déni de démocratie ou exercice responsable de celle-ci ?
À la première question je répondrai par : déni de démocratie. À la seconde par : exercice responsable de la démocratie.

Pourquoi ces réponses ? parce que d’une part la démocratie n’est pas l’expression d’un sentiment lors d’une consultation désordonnée et heurtant les droits de ceux qui ne sont pas consultés, dans ce cas le reste de la nation espagnole réuni par une constitution adoptée par tous, y compris les catalans. Et d’autre part, la répression d’un acte illégal –par décision du Tribunal Constitutionnel, exercice d’une justice indépendante du pouvoir en place– est la tâche d’un gouvernement dont la légitimité n’est pas à mettre en cause. Par ailleurs, ce gouvernement est le seul ayant le droit régalien d’exercer la force ; le lui reprocher consiste aussi à commettre un déni de démocratie, même s’il y a des blessés qui l’ont bien cherché par leur action de révolte urbaine soi-disant non-violente, même si la réaction policière peut être jugée disproportionnée.

La démocratie n’est pas non plus une idéologie. Il est remarquable les états les moins démocratiques incluent cet adjectif dans leur dénomination, de la Corée du Nord au Congo, comme si le prononcer les parait de ses vertus. Il serait d’ailleurs difficile de décrire un régime politique par ce simple mot. La République islamique d’Iran est organisée selon des principes démocratiques. Il y est remarquable que les élections s’y déroulent très bien. Pour autant, il est bien difficile de considérer ce pays comme un exemple institutionnel car il a des instances religieuses surimposées au régime séculier, même si ces instances sont choisies aussi selon certains principes démocratiques. Un régime, un état, une nation ne peuvent pas se définir seulement par « démocratie », c’est bien trop insuffisant.

Pourtant il semble que de plus en plus la démocratie soit comprise comme une religion, avec une majuscule. Tout apostat n’a droit qu’au mépris et à l’élimination, sinon physique du moins médiale. Et tout devrait devenir démocratique, du rythme circadien des tétées imposé au bébé à la décision d’off-side que l’arbitre de football ose encore prononcer … arbitrairement. Même chose en science : un consensus aurait une valeur supérieure à l’invalidité scientifique d’une théorie. On voit que même si tel consensus était atteint par une voie démocratique, par exemple par un vote dans une institution des Nations Unies, il n’aurait aucune valeur. Le catéchisme de la démocratie n’existe pas, il y faudrait une idéologie, ou une religion, qui ne saurait exister.

La démocratie ne mène pas à la vérité, même si son exercice requière que ses acteurs y soient attachés. Tout décision prise démocratiquement n’est que le fruit de circonstances. Changez celles-là, celle-ci devra être remise en cause. Cela est très clair là où une démocratie directe est pratiquée, où un vote référendaire peut annuler une autre décision. Ces renversements sont plus fréquents dans les régimes de démocratie représentative où un gouvernement chasse l’autre et inverse les politiques engagées par ses prédécesseurs, pas nécessairement toutes mais beaucoup d’entre elles.

Pas particulière, pas une idéologie, pas une religion, pas d’expression d’une vérité : la démocratie n’est en fait qu’une méthode, généralement acceptée, de prise de décision, bonne ou mauvaise, cela reste à l’histoire de l’apprécier. Cette décision est légitimée par le cadre légal dans lequel elle aura été prise et par le respect des normes de l’exercice démocratique. Sinon, à l’exemple bête du cas catalan, cela s’avère être une vilaine farce. Pour le cas du Brexit, il est certainement possible de déplorer que la question posée n’était pas la bonne, que les propagandes des deux bords aient été biaisées et déficientes, que les acteurs de cette campagne aient été malhonnêtes, cela n’empêche pas que le vote a eu lieu et que, jusqu’à preuve d’un renversement de situation qui donnerait lieu à un nouveau vote, son résultat oblige.

Pour que la démocratie puisse s’exercer il lui faut un territoire et une population de citoyens, une nation souveraine, et ses institutions doivent être républicaines. Le concept même de république exclu le droit à des particularismes dans la gestion du bien commun, pour aucun individu, pour aucune communauté. Si c’était le cas (congrégation religieuse, tribu ethnique, classe sociale ou autre), alors l’exercice démocratique ne perdrait pas seulement son efficacité, mais aussi et surtout sa légitimité.

Ironiquement, on constate trop souvent que le politicien, une fois élu, déteste l’exercice démocratique par le vote référendaire. Un pouvoir lui ayant été délégué, il lui est inadmissible que le peuple puisse le retoquer avant la fin de son mandat. Les administrations publiques souffrent aussi de ce syndrome. Les démocraties qui ne sont que représentatives ont ce grave défaut de manquer de mécanismes de contrôle direct par les citoyens ; pour les institutions multilatérales comme l’Union Européenne ou l’ONU c’est une tare rédhibitoire. La démocratie semi-directe helvétique est peut-être ce qui actuellement se fait de mieux dans le domaine, mais elle a aussi ses défauts, tant inhérents au système que lors de son usage.

À chaque incantation faite au nom de la démocratie je réagis en questionnant les motifs de l’incantatrice : croit-elle en une « valeur » mystique que porterait ce mot magique ? alors elle se fourvoie dans un marécage moralisant et impraticable ; est-elle en train d’essayer de dévoyer la méthode à son profit ? Alors elle ment. Mais, bien que dans trop peu de cas, je constate que cette personne semble sincèrement attachée au bon déroulement du processus démocratique, quelle qu’en soit l’issue, toujours risquée. C’est là ma dernière petite graine d’optimisme.


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4 thoughts on “Ce que la démocratie n’est pas”

  1. La Démocratie est en premier la Liberté. Liberté de s’exprimer. « La Démocratie c’est Par le Peuple, Pour le Peuple » (phrase prononcée par Lincoln qui… ne l’a jamais appliqué ! Hahaha !). Le contraire de la Démocratie c’est la dictature.
    Il n’y a donc qu’UN SEUL pays en Démocratie: La Suisse.
    Les républiques, monarchies ou empires ont de FAUX représentants du Peuple (Députés/Sénateurs) qui ne demandent jamais l’avis du Peuple pour voter !!! Hahaha !

  2. 2 questions :

    A/ Quid de la contradiction entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intangibilité des frontières ? Elle vient de se poser non seulement en Catalogne mais aussi au Kurdistan, et p.ex. la Hongrie pourrait volontiers s’y rajouter – qui doublerait de taille s’y on lui adjoignait les minorités magyarophones voisines ; quand Tchéquie et Slovaquie ont fait l’inverse juste avant d’adhérer à l’UE.

    B/ Peut-on tordre le cou à l’amalgame entre démocratie et suffrage universel ? Nombreuses sont les institutions démocratiques où le droit de vote de l’électeur n’est pas égalitaire mais proportionnel à son investissement monétaire, physique ou intellectuel :
    – millièmes dans une copropriété (éventuellement pondérés par une utilisation privative de parties communes),
    – nombre d’actions dans une Sté anonyme (éventuellement pondéré par la durée de détention ou toute autre qualification),
    – cooptation et parrainage dans une association (cf chartes du bénévolat),
    – renouvellement des élites, décentralisation et comités consultatifs en République Populaire de Chine (confucianiste), n’en déplaise aux amateurs d’images d’Epinal,
    – à l’inverse à partir du moment où 57% de notre PNB passe dans la dépense publique & sociale, l’électorat majoritaire constitué par ses bénéficiaires n’a plus intérêt à ce que cela change ; nous sommes soviétisés, seuls Cuba et la Corée du Nord font pire, et notre endettement hors contrôle + hors bilan nous conduit au même sort,

    Arrêtons-nous un instant sur la légitimité d’accorder le droit de vote aux étrangers « car ils payent des impôts chez nous », si l’on en croit l’argument – un peu passé – des belles âmes. Dans l’euphorie de la formule elles n’ont pas vu le piège, à savoir que la légitimité du droit de vote n’est donc pas la nationalité mais le fait d’être contribuable, c.à.d. de contribuer au bien-être de la nation. Version contemporaine et inattendue du suffrage censitaire ?

    D’ailleurs l’électorat en veut-il vraiment, de ce suffrage universel qu’on lui vend comme une panacée, si l’on en croit sa lassitude ?
    – proportion croissante d’abstentions et de votes blancs.
    – mon fils de 26 ans se déclarait abstentionniste par incompétence : « S’il faut passer un permis pour conduire une voiture et le bac pour faire des études, pourquoi donne-t-on le droit de vote à tout le monde ? » puis : « Concrètement, qui nous apprend à nous débattre avec la complexité bureaucratique p.ex. remplir un dossier de Sécurité Sociale, ou une feuille d’impôt, ou négocier un PTZ, ou trouver une crèche pour jumeaux (vécu !), ou aller en justice ? »
    – notre fonction publique est autiste, syndicalisée et statutairement indéboulonnable, quand les élus raisonnent à l’horizon de mandats qui ne font que se raccourcir ; c’est donc la première qui s’approprie l’immobilisme à long terme et les seconds ne font que du court terme : le monde à l’envers en matière de gouvernance. Calcification et potiches qui rappellent étrangement les prémisses de l’implosion de la Russie puis de l’URSS à 70 ans d’intervalle.

    1. À la question B:
      Dans une république il est attendu que le suffrage soit universel et unipersonnel. Un citoyen est défini par sa nationalité, s’il est étranger il peut, satisfaisant certaines conditions, demander sa naturalisation et participer pleinement à la vie politique de son pays d’accueil. Sinon il a le droit de se taire ou de s’en aller, c’est là sa liberté.
      Dans des sociétés constituées dans des buts divers, syndicats de copropriétaires, sociétés par actions ou club de pétanque, ces entités ont toute liberté de déterminer leur mode de fonctionnement, une tête un vote comme dans les coopératives ou les clubs, ou une action un vote comme dans les sociétés par actions. Ce ne peut pas être démocratique car ce n’est pas le démos qui s’exprime mais des sociétaires librement associés. Les non sociétaires mais néanmoins voisins n’ont rien à y dire. Celui ou celle à qui cela ne convient pas a le droit de s’en aller. Il y a aussi des modes restrictifs tel la double majorité peuple canton pour les initiatives constitutionnelles en Suisse, ou un vote qualifié (=censitaire) des pays membres de l’UE pour des sujet non prioritaires.Tout cela est pacté, donc légitime aux yeux des parties prenantes. C’est ce qui compte: des règles convenues et acceptées.

      L’abstention ou le vote blanc ne me dérange pas: c’est une expression de confiance dans le système que déterminent ceux qui votent, même si les abstentionnistes disent leur défiance. Ils sont bêtes ou négligents.

      Quant à la qualité de l’électorat, cela est un autre débat. Pour faire court je ne vois pas ni pourquoi ni comment il faudrait être parfait et compétent pour jouer son rôle de citoyen. Même les élus n’ont pas à avoir ces qualités, même s’ils veulent nous le faire croire. Les décisions seront bonnes ou mauvaises, la démocratie permet de les trancher selon un mode apaisé.
      Elle ne dit pas la vérité ni ne fait nécessairement le bien.

      « Notre fonction publique » n’est pas la mienne, Suisse que je suis. Pour faire encore court: lorsque je reçois une lettre de l’administration, par exemple fiscale, il y a le nom de la personne responsable et son adresse de courriel. Qu’en est-il en France?

    2. À la question A:
      Bien sûr que les peuples s’arrogent à eux-même leur droit à se déterminer. Mais cela suppose a) que ce « peuple » soit bien définissable, et b) que ses liens actuels le lui permettent. Il ne peut s’agir que de divorce car il n’y a aucun territoire et peuple au monde qui ne soit intégré dans une nation. Et un divorce unilatéral n’est pas concevable, même si un voisin malveillant était prêt à intégrer les sécessionnistes (Hongrie). Dans l’exemple catalan: que devrait-il se passer pour les Catalans d’origine vivant dans le reste de l’Espagne? Qui donc est ce peuple autodéterminant? Tchéquie et Slovaquie ont divorcé à l’amiable. Le vote en Écosse de 2015 s’était fait en accord avec Londres pour initier ou non un processus, pas pour se séparer immédiatement. Le Kosovo est devenu un état, trop vite reconnu (malgré l’opposition espagnole), sans processus démocratique valable. La partition de l’Inde fut sanguinaire, au grand dam de Ghandi qui était contre car il appréhendait ces massacres. Le vrai gros morceau sera le Kurdistan, pas seulement l’Irakien mais aussi ses parties iraniennes, turques et syriennes. Ce sont des combattant très engagés et très efficaces sur le terrain contre l’EI. Le jour est proche où ils réclameront la reconnaissance de leur nation dans de nouvelles frontières. Ça ne se passera pas bien, surtout avec la Turquie (la plus grande ville de population kurde est Istamboul).

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