Les terroristes qui ont choisi de perpétrer des actes violents contre les populations de pays où règne l’état de droit, et ailleurs aussi, savent qu’ils mènent une guerre, quelle qu’en soit la justification, vengeance, conquête religieuse ou idéologique, ou simplement manifestation de haine collective ou personnelle. Pour autant, la lutte contre le terrorisme met-elle obligatoirement les pays concernés en état de guerre ? Avec la rhétorique adoptée dès le lendemain du 9 septembre 2001, les principaux chefs d’état occidentaux ont décidé que c’était le cas.
Selon un récent rapport de l’institut Cato, un ‘think tank’ américain défenseur du libéralisme, cette lutte contre le terrorisme aurait coûté aux USA 5 000 milliards de US$ (soit plus de 2 fois le PIB annuel de la France), sans parler des sacrifices humains et des coûts non monétaires que cela a entraîné. Pourtant même à ce prix, elle a été inefficace, tant par la surestimation du phénomène et de ses conséquences internes que par des interventions extérieures mal ciblées ou contre-productives. D’autres nations, engagées à l’extérieur dans des actions de l’OTAN et d’autres coalitions, doivent se poser les mêmes questions : cela est-il efficace ? cela vaut-il la peine ?
Protéger son pays de toute attaque extérieure et le maintenir en sécurité à l’intérieur est une des tâches primordiales d’un état, qui cesserait d’exister s’il ne s’y attachait pas ; il en a même le monopole, souverain. En temps de paix il est intolérable, au sens strict de ce terme, qu’il y ait des victimes de violence commise par des tiers. Prévention et répression sont entre les mains de la police et de la justice, qui agissent dans le cadre strict des lois. Le terrorisme attaque cela.
Il faut se décider. Est-ce ou non la guerre ?
Si oui, alors il faut mener des actions d’éradication, aussi à l’intérieur de nos pays, en appliquant le couvre-feu et des lois d’exception permettant de faire vite, fort et définitif, sans célébrer les victimes (on les honorera plus tard, lorsque cela n’influencera pas le cours de la guerre) ni faire de rhétorique stérile. On ne promettra que labeur, sueur, larmes et sang, et il faudra accepter des pertes et des sacrifices pour obtenir la victoire, comme le demandait Churchill en 1940. En état de guerre, la sécurité avant tout n’est plus la priorité, ni la liberté individuelle ; seule compte la victoire. Et si l’on n’est pas disposé à tout faire pour y arriver, on perdra la guerre, honteusement (on peut aussi la perdre héroïquement, si l’ennemi est trop fort). Le chef qui n’ose pas engager ses troupes de peur de subir des pertes se condamne à la débâcle. Les actuels gouvernants des grands pays du monde nous montrent pathétiquement qu’ils ne sont pas des chefs de guerre. C’est peut-être mieux ainsi.
Pour moi la réponse est non, ce n’est pas la guerre mais un défi à notre ordre public, à notre état de droit. Police, renseignement et justice doivent avoir les moyens nécessaires pour faire leur travail, avec diligence et sans aucun favoritisme ou excuse victimaire pour le criminel. Il n’est pas sûr que ce soit le cas. De grandes cérémonies exaltant les victimes, mais qui magnifient ainsi les perpétrateurs, ne résolvent rien, bien au contraire. Tous les attentats ne pourront pas être prévenus. Si l’on désire vivre « normalement » alors il faut éviter toute stigmatisation : pleurer toutes les morts, sympathiser avec les survivants et les soutenir, quelles que soient les causes de leur malheur. Avant tout rapporté à soi-même, l’effroi ne doit pas susciter d’empathie spéciale. Horrible à dire : c’est en le banalisant que le terrorisme perdra son effet. D’ailleurs nous le faisons déjà en enregistrant avec beaucoup d’indifférence la nouvelle d’attentats extrêmement meurtriers dans des pays comme l’Afghanistan, le Pakistan ou l’Irak. Ces prochains-là sont trop loin, pas de cérémonies et hommages répétés pour eux.
Il y a des théâtres d’opérations militaires qui ne peuvent être abandonnés tout de go. Mais il faudra les quitter au plus vite, dès qu’un pouvoir local est en mesure de faire régner l’ordre intérieur et de garantir que le pays ne serve pas de base à des actions terroristes perpétrées ailleurs dans le monde. Si ces gouvernements demandent de l’aide policière, militaire ou de renseignement, il faudra la leur fournir, mais jamais en s’emparant du commandement, ni stratégique ni opérationnel. Cela va encore couter du temps, des vies et des moyens financiers. Lorsque l’on ne se trouve pas en en guerre, ou si l’on veut en sortir, seule la diplomatie permet de trouver des solutions. Si d’aventure un État voyou avait la folie de passer à l’acte, alors la guerre sera justifiée, jusqu’à l’anéantissement du régime en question.
Pour ne pas trop mal répondre aux menaces il faut savoir s’abstenir : de surestimer le phénomène terroriste malgré les images bouleversantes des attentats, de prétendre être en mesure de le contrôler, de tenir nos populations otages de « mesures » sécuritaires inutiles voire même contre-productives, de prétendre instaurer des régimes démocratiques par impositions militaires et impériales, de prétendre détenir une haute posture morale, ou d’en tirer des avantages politiques par un abject populisme. Pour les acteurs du terrorisme ces postures sont leur pain béni, elles leur donnent des justifications, fausses mais faciles, leur permettant de recruter encore plus de zinzins.
Une lutte idéologique est aussi nécessaire. Non, pas celle qui essaye de distinguer le bon du mauvais Islam, pas celle qui culpabilise l’Occident, et non plus pas celle qui prétend à quelque suprématie que ce soit. Sans lavage de cerveau ni réécriture de l’histoire, il s’agit de mieux connaître et chérir notre culture gréco-chrétienne, ou plutôt redécouvrir ce que des philosophies soi-disant modernes ont déconstruit. Malgré les errances et horreurs passées, malgré les énormes imperfections actuelles, notre narratif est celui de l’ouverture d’esprit, de la lucidité, de la résolution de conflits par le droit, de la fragilité des certitudes, du respect de l’individu. Il n’est pas nécessaire de dénoncer les idéologies obscurantistes ou de clamer stérilement nos « valeurs ». Au plus profond de nous-mêmes, c’est l’assurance tranquille de vivre le plus librement possible dans une société apaisée qui nous empêchera de nous sentir terrorisés, d’accepter et d’affronter le risque.
L’aide au développement contribuera aussi à baisser le niveau de haine envieuse envers l’Occident, là-bas et même ici, dans nos sociétés. Il y a beaucoup à critiquer dans ces programmes, officiels ou non ; ce n’est pas ici le sujet. Il suffit de dire que cette aide doit être désirée, demandée, ciblée selon les besoins des peuples concernés, libre de toute corruption, surtout celle que les riches donneurs bien-pensants exercent sur les pauvres récipiendaires soi-disant incapables de faire ou de penser par eux-mêmes. La paix entre les peuple n’exige pas l’harmonie mais un respect réaliste de la souveraineté de chacun.
Serons-nous alors libérés de ces menaces terroristes et des dommage infligés à nos innocents congénères (que je suis aussi) ? Rien n’est moins sûr, mais le cadre de vie que nous nous donnerons ne sera pas systématiquement plombé par cette perspective.
Comme avec tous les maux, il faut apprendre à vivre avec le terrorisme, en le combattant bien.
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