En quoi les réseaux sont-ils sociaux ?

Avant l’ère électronique, se trouver dans un réseau correspondait à l’appartenance à une caste, à une guilde professionnelle, ou au célèbre « Filz » helvétique fait d’officiers de milice et de connexions politico-affairistes. Les gens y appartenant s’y cooptaient, celui qui montrait trop fortement son originalité ou des déviances de mauvais goût s’en voyait vite exclu. Si j’écris celui, c’est parce que celles-là n’avaient que le droit de se taire, bien qu’elles manœuvrassent avec finesse et efficacité en coulisse ou sur l’oreiller.

Maintenant, toute une chacune peut appartenir à un ou plusieurs réseaux dits sociaux dûment gérés par des algorithmes tout aussi puritains que l’étaient les réseaux traditionnels. Les barrières d’accès sont extrêmement basses, il suffit de donner son âme et un maximum de données de sa sphère privée aux Satans de l’analyse comportementale des foules moutonnières à des fin publicitaires ; et ce bien provisoirement car les potentialités de contrôle politique et de coercition mentale qu’offrent ces outils ne sauraient rester longtemps dans la boîte que Pandore a déjà ouverte pour qu’un imbécile « like » dans le groin-grimoire (traduction littérale de facebook, ci-après GrGr) soit assimilé à une incitation publique à la haine raciale, ethnique ou religieuse.

La communication de l’amateur, comme ce présent blog l’atteste, est devenue facile, accessible à tous, presque toujours gratuite1 : cela ne la rend ni bonne ni efficace, comme ce présent blog l’atteste aussi. Par ailleurs, les vingt-quatre heures de la journée ne suffisent pas pour lire ces articles et leurs commentaires, consulter ces entrées lapidaires dans GrGr agrémentées de photos et de séquences vidéo ainsi que les appréciations qui en sont donnée, souvent se réduisant au click du like, ou pour se faire susurrer tous ces gazouillis réduits à 140 signes qui se retransmettent à l’infini. Notons qu’il y en a qui tiennent plus du borborygme que du gazouillis, comme le pratique intensément le président américain. Qui, étant confronté à cette masse, n’a pas ressenti une impression de diarrhée ? Pourtant une addiction collective s’est développée à toute vitesse, dont personne ne sait comment elle pourrait évoluer.

Lors du printemps arabe il a été dit que GrGr et les gazouillis avaient grandement contribué, sinon même été une condition nécessaire, aux soulèvements dégagistes en Tunisie ou en Égypte, la quasi instantanéité de transmission de toute nouvelle ayant permis de fédérer des réactions par une ubiquité massive. L’information, source de pouvoir, s’est vue complètement débridée. Pourtant les printemps sont devenus hivers, les mouvements alternatifs ne sont pas devenus continus, les indignés le sont resté, Wall Street n’est pas occupée, et les nuits se sont couchées. Le potentiel supposé énorme des réseaux dits sociaux n’accouche en fin de compte que de maigres et peu durables souris. Pourquoi cela ? N’est-ce qu’un signe de faiblesse passagère avant un grand soir ? Ou alors est-ce une preuve que rien de vraiment nouveau ne se passe ici-bas ?

Wael Ghonim, connu comme “the Google guy,” un des protagonistes du soulèvement égyptien contre Moubarak, a commenté après coup les limites de ces réseaux 2. Il y décèle cinq défectuosités majeures :

  1. Ne pas savoir gérer les rumeurs.
    Celles-ci confirment les préjugés de chacun et deviennent des vérités crues et partagées rapidement par des millions de gens.
  2. Créer sa propre chambre d’écho.
    La communication se fait en vase clos entres gens du même avis, le chœur se chante à lui-même. L’opposant se fait facilement taire, bloquer, ou désinviter.
    Le monde connecté est fait de tribus disconnectées entre elles.
  3. Discussions en ligne se réduisant à l’expression de fureurs indiscriminées.
    On oublie que l’on s’adresse à de vraies personnes et non à des avatars. La politesse et la prévenance ne sont ni promues ni récompensées ; bien au contraire, c’est l’inverse qui fait monter les clicks.
  4. Opinions ancrées sous forme réduite et indélébile, impossibles à changer.
    Pour la publier vite et la résumer en 140 signes, il faut sauter aux conclusions et formuler une opinion simpliste, mais qui restera ancrée pour toujours dans les médias. La motivation pour en changer sera donc faible, même lorsque apparaissent de nouvelles évidences.
  5. Apparence au-dessus de la substance.
    Préférence est donnée à la diffusion de postures plutôt qu’à des engagements, aux commentaires creux plutôt qu’à de profondes discussions. C’est comme si l’on se beuglait de l’un à l’autre plutôt que dialoguer avec l’autre.

On s’aperçoit que le pouvoir créateur de cette grande criée est proche de zéro, alors que le pouvoir destructeur de quelques individus s’y trouve amplifié au point de terroriser la planète. Et dans ce petit monde-là je ne mets pas que les zinzins dont on dit qu’ils se radicalisent par internet, mais aussi les groupes organisés, de taille généralement réduite mais pas seulement, dont la force de frappe propagandiste s’est vue démultipliée par la technologie. Les ONG n’ont de raison d’être que celle que leurs membres leur donnent, mais elles jouissent en fait d’une reconnaissance totalement illégitime, échappant à tout équilibre démocratique. Elles aussi sont très habiles pour terroriser la planète et prononcer des sortes de fatwa auxquelles les politiciens et les médias ne savent pas résister, surtout si le doigt de la supériorité morale est tendu.

Face à cela il reste l’exercice du pouvoir, organisé, basé sur l’état de droit, complexe par la nature des choses, arbitrant les intérêts légitimes mais discordants entre particuliers et entre priorités communes, régaliennes ou autres. C’est de l’organisation qui a manqué en Tunisie et en Égypte, et c’est pourquoi les frères musulmans, excellemment structurés, ont pu s’y engouffrer si facilement, avant que des structures plus traditionnelles aient repris le dessus, démocratiquement en Tunisie ou par coup d’état en Égypte.

Le monde réel n’est pas bien armé pour lutter contre le simplisme populiste, et ce d’autant plus que bien des partis en usent et abusent, c’est évident à l’extrême droite et astucieusement dissimulé mais massif à gauche et chez les verts. Le GrGr ou les gazouillis ne sont pas des Landsgemeinden, on n’y prend aucune décision mais il s’y prépare l’exacerbation et la décérébration. Ils ne sont pas non plus une bonne base pour sonder les opinions, ni par ce qui s’y écrit ni par la fréquence avec laquelle les liens sont cliqués. Mise à part la propagation jusqu’au vomi d’innocentes béatitudes entre plus ou moins amis, il en ressort un énorme pouvoir négatif. Personne ne sait comment dompter cette bête ni ne peut prédire ce qui restera de la vie privée des personnes après que les algorithmes seront en mesure d’isoler et détruire tout comportement déviant d’une norme qui, au contraire des lois, ne fait que fluctuer selon les modes du moment.

En y réfléchissant bien, il serait mieux de les appeler réseaux asociaux.

__________________________

[1]     Même si des soutiens pécuniaires par des montants de plusieurs puissances de dix sont appréciés.
Voir en haut dans la colonne de droite, sous « don », merci !

[2]     Cité par Thomas L. Friedman dans son livre « Thank you for being late », page 275
Farrar, Straus and Giroux, New York, 2016.
Malgré que l’auteur tombe ingénument dans un malthusianisme primaire, c’est une lecture utile.


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1 thought on “En quoi les réseaux sont-ils sociaux ?”

  1. Lorsqu’un site/un blog plait (sur des ‘réseaux sociaux’) on peut l’aimer sans pour cela lui en faire part. Par contre, il y a des trolls payés par Bruxelles* pour dénigrer immédiatement une vérité incontestable qui a osé être publiée !
    Donc, doit-on se servir de cette bassesse pour abandonner un site/un blog ?
    Pareillement que l’attention est portée sur ‘des milliers de personnes qui manifestent dans les rues’ tandis qu’elles ne représentent moins de 1 % de la population !! (Hahaha !).
    Tout est donc une affaire de Démocratie et donc de référendum (et non de sondages qui ne sont pas faits ‘dans la rue’ mais dans les bureaux !)
    Avoir l’opinion de TOUTES les personnes est indispensable pour être discutée.

    *L’UE va financer des agents pour contrer les eurosceptiques sur Internet

    By lejournaldusiecle
    14 février 2013

    Le Parlement européen va débourser environ 2,5 millions d’euros environ pour lancer une armée de « trolls » sur Internet, et en particulier les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter pour lutter contre l’euroscepticisme en vue des élections de 2014, qui auront lieu entre le 5 et le 8 juin 2014.

    C’est le Daily Telegraph qui a révélé l’information le 3 Février 2013. Le journal a eu accès à des documents confidentiels qui révèlent la planification d’une campagne sans précédent de réorientation de l’opinion publique, avant et pendant les élections de juin 2014.

    Au cœur de cette nouvelle stratégie : « des outils de contrôle de l’opinion publique » destinés à déterminer si certains débats de nature politique ayant lieu entre participants des médias sociaux et autres blogs sont susceptibles d’attirer l’attention médiatique et publique.

    Les communicants des institutions parlementaires devront être capables de décrypter les « sujets tendances » au sein des conversations et d’y réagir rapidement, de manière ciblée et pertinente ; il s’agit pour eux de « se joindre aux conversations et de les influencer, par exemple en fournissant des faits et des chiffres déconstruisant les mythes ».

    Selon le document mis à jour par le Daily Telegraph, les « trolls » européistes auront pour mission de subvertir le sentiment qu’expriment de plus en plus d’Européens, à savoir que « l’Europe est le problème », et de le retourner, de sorte que chacun en vienne à considérer que la réponse aux défis actuels est « plus d’Europe », et non pas « moins d’Europe ».

    Une attention toute particulière doit être accordée, nous dit-on, aux pays qui ont connu une montée de l’euroscepticisme. La France, qui a massivement rejeté le Traité constitutionnel européen le 29 mai 2005 (55%), devrait donc être particulièrement ciblée par cette campagne de propagande, visant à redresser les jugements inadaptés – incorrects – sur la construction si prometteuse de ce « premier empire non impérial » qu’est l’UE, dixit Barroso.

    En pleine crise économique, et alors que l’austérité est imposée aux États, l’UE ne devrait pas rechigner sur les moyens de sa propagande, puisqu’une augmentation de près de 2 millions d’euros des dépenses en « analyse qualitative des médias » serait prévue, principalement tirée de budgets pré-existants, et plus de 900.000 euros additionnels devraient être collectés l’an prochain.

    Nigel Farage a été l’un des premiers députés européens à réagir aux révélations du Telegraph, le 7 février sur Russia Today, estimant que l’UE ne valait pas mieux qu’une « république bananière ».

    Sources : Daily Telegraph / Agoravox / Russia Today / Le Journal du Siècle

    http://lejournaldusiecle.com/2013/02/14/lue-va-financer-des-agents-pour-contrer-les-eurosceptiques-sur-internet

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