Populismes à mettre au rancart

Guerres en Syrie, en Irak et ailleurs, fuyards et réfugiés, attaques terroristes, communautés mal assimilées, populations se croyant indigènes et se sentant menacées, toute l’actualité est révélatrice ou génératrice de quatre sortes de populismes, hélas complémentaires :

  1. celui des zinzins fanatiques islamistes
  2. celui des gouvernants européens
  3. celui des bien-pensants
  4. celui des protestataires de tous bords

Ma protestation, elle aussi teintée de populisme, est de les envoyer tous les quatre au rancart.

Le populisme, que l’on peut aussi appeler démagogie, est mesurable, il suffit de soumettre les assertions de l’un ou de l’autre à une série de questions simples [i]. Personne n’en est dénué, mais à force de le pratiquer on devient un professionnel de la chose.

En fait les zinzins ne devraient pas m’intéresser, car leur version du Djihad est condamnée à l’extinction, comme ce fut le destin des fanatismes chrétiens anabaptistes du XVIème siècle. L’endoctrinement qu’ils propagent ne concerne que la frange d’une frange de la population. Mais pourtant ils m’inquiètent, car, même si je suis persuadé qu’ils seront un jour anéantis, leur capacité néfaste risque de durer suffisamment longtemps pour atteindre à la vie et à l’intégrité physique et psychologique de trop de gens qui n’y peuvent mais. Aussi, par les réactions que leur existence et leurs actions provoquent, ils sont une menace pour l’essence de notre vie sociale et politique ; mais si c’est un de leurs buts, cela ne doit pas en faire une fin inéluctable. Il s’agit donc de savoir les réduire à néant, par des moyens policiers et judiciaires chez nous, et militaires là où ils se constituent en états ou bandes armées.

Les musulmans résidant en Europe se doivent à eux-mêmes d’encadrer et discipliner leurs ouailles égarées et de renoncer explicitement à prôner la suprématie d’un système religieux qui n’a pas encore fait son aggiornamento politique, même chez les plus modérés. Ils doivent accueillir la laïcité comme protectrice de leur liberté de croyance, et de celle des autres bien entendu, et la respecter comme principe fondamental interdisant tout pouvoir temporel aux religions, même dans les règlements scolaires et les usages sociaux entre hommes et femmes. S’ils ne le font pas ils auront toujours le droit d’aller émigrer ailleurs.

Mais il appartient surtout aux pays dont la religion est l’islam de mettre de l’ordre dans leurs propres ou sales affaires. S’ils ne le font pas, nous, en Occident, aurons de bonnes raisons de penser qu’ils sont des suppôts d’un fascisme islamiste et devrons en tirer les conséquences. Le royaume saoudien et les émirats du golfe sont concernés par cette suspicion, l’Iran et le Pakistan aussi. Je ne suis pas du tout sûr que la diplomatie occidentale exerce la pression nécessaire sur ces états-là, j’ai même peur du contraire, de la recherche de l’apaisement à tout prix, d’accommodements à court terme, ou de vulgaire cupidité. C’est pourtant l’affrontement et la mise en face des responsabilités qui devraient être pratiqués, c’est à ça que sert la diplomatie avant que cela ne doive se régler par la guerre, car il s’agit de notre intérêt supérieur, celui de la survie de nos états sans avoir à abandonner les principes constitutionnels que nous nous sommes donnés. Ce qui m’amène au deuxième cas.

Les gouvernants européens sont bien sûr en pleine crise, cela dure depuis la signature du traité de Rome. Ils devraient avoir appris à faire face à des situations difficiles mais à chaque occasion il faut bien se rendre compte que cela ne marche pas. L’Union Européenne ne fonctionne qu’en cas de beau temps. Quand la Chancelière allemande dit « wir schaffen das » elle fait du populisme, même si elle n’en n’a pas l’intention. Quand les duettistes français disent qu’ils font tout, on ne voit que du symbolisme, commémorations, débat inutile sur la destitution de la nationalité ou bibendums armés et déambulants [1]. Et ils sont incohérents, tant à s’aplatir devant des cheikhs qu’à jalousement ne pas déléguer une once de souveraineté au Conseil européen. Quand on parle de se répartir 70’000 réfugiés alors que ce sont des millions de personnes qui sont en cause alors ça n’amuse aucune galerie. Chez ces gens-là, la communication a pris le pas sur l’action, car ils ont une peur bleue des autres populismes et préfèrent les atermoiements aux confrontations. Ils ont oublié que le courage n’est pas de dire mais de faire.

Ce que j’appelle la bien-pensance est une prétention éthique : c’est le bon comportement de celui qui se conforme à des idées devenues dominantes, ancrées dans une vision édénique d’un monde tel qu’il devrait être. Ici le populisme consiste à laisser croire qu’il suffit de dire ce qui est le bien et le bon, c’est à dire des platitudes qui deviennent néfastes lorsqu’elles donnent prétexte à nier des évidences. Il consiste aussi à prétendre que ceux qui détectent un problème, qui critiquent et qui protestent ont un sens moral amoindri, ce qui n’est pas gentil de la part de ces détenteurs de la vérité humaniste. L’autre jour à la télé française une représentante de la ligue contre le racisme ne voulait pas reconnaitre qu’une des conséquences des lois antiracistes avait été l’exacerbation de communautés réclamant des droits identitaires spécifiques et un statut de victime : cette déviance ne pouvait donc pas exister puisque ce n’avait pas été l’intention de ces lois. Le bien-pensant croit que les problèmes sont faux ou qu’ils sont le fantasme du mal-pensant, et que de toutes manières ils se règlent par eux-mêmes, par exemple en n’existant pas. Il faut ainsi ne pas parler de chocs culturels, ne pas amalgamer le fondement religieux des fanatiques avec un « vrai » islam, et aussi il faut se battre la coulpe de ne pas savoir bien intégrer des allogènes, il faut donc leur reconnaitre un statut de victime. À force de se voiler la face, de dire ce que l’on n’a ni le droit d’étudier ni de discuter, d’édicter des tabous, il ne reste plus que l’irénisme, vision d’un monde meilleur parce qu’il est bon qu’il le soit.

Mais ceux qui ont droit à la médaille d’or, c’est bien les protestataires. Ils ne sont ni de gauche ni de droite, ce serait trop facile. On a l’impression qu’ils adorent les fanatiques islamistes qui apportent tant d’eau à leur moulin. Ces gens-là se distinguent par une croyance de pureté de leur situation : ethnique, culturelle et nationale. Pourtant, sitôt exposé à la réalité de l’étranger, ils sont incapables d’équanimité, d’analyse sobre et rationnelle ; leur prétendue assurance se transforme en peur, et même en haine ; si vous en doutez lisez les commentaires de lecteurs sur Boulevard Voltaire ou LesObservateurs.ch. Sont-ils si sûrs que ça de leur supériorité ? Toute tentative de résoudre le problème par d’autre moyens que le rejet et le renvoi (car on doute même que l’assimilation soit possible) est une perversion, voire un complot ; tout fuyard des guerres ou d’autres conflits est un migrant économique et, bien évidemment, un terroriste dissimulé ; tout musulman sera soupçonné de double langage. Ces champions du yakafaukon, au-delà de l’impraticabilité de tout ce qu’ils réclament, sont en fait des alliés objectifs des zinzins. Ils tombent dans le piège qui leur est tendu : illusion isolationniste, lois d’exception, exclusion, renoncement à la protection des personnes, préférences égoïstes, haine tribale. À ce tarif il est compréhensible qu’il soit facile de recruter encore plus de zinzins. Il y a aussi manipulation (on dit aussi instrumentalisation, ça fait plus politico-socio) de la part de partis nationaux-populistes bien connus qui tirent du grain à moudre de tout cela.

En remettant ces catégories dos à dos je suis bien conscient que, moi aussi, je ne fais que protester. N’ayant aucun autre pouvoir que mon droit de vote je ne peux que souhaiter une politique enfin juste : celle qui accueille, provisoirement j’insiste [2], tout ceux qui doivent bien continuer à vivre dignement, autrement que parqués dans les campings du UNHCR, celle qui en même temps fait ce qu’il faut pour que ces populations puissent retourner chez elles : annihiler l’ennemi fanatique. À l’intérieur il faut aussi se souhaiter des dirigeants qui cessent de dire ce qu’ils croient que l’on désire entendre, mais qui expliquent ce qu’ils vont faire et le fasse avec diligence et efficacité. Que leurs stratégies et leurs discours soient les leurs et non ceux de leurs conseillers en non-communication ! S’ils sont justes, clairs et déterminés les moyens ne leur feront pas défaut pour mener leur tâche à bien. Des capitaines de mauvais temps doivent monter sur le pont ; les Lincoln, Churchill, De Gaulle, ou Guisan savaient que l’accalmie revenue ils seraient renvoyés sans que cela ne les dérangeât dans la décision et l’action. En telle situation le concept d’union nationale s’est toujours montré adéquat, les dissensions politiques étant reléguées à plus tard, au beau temps. En de tels moment les clercs bien ou mal pensant ne peuvent plus trahir, ils doivent se taire ou du moins cesser d’ergoter.

Il reste le problème des migrations « normales » qui impliquent aussi des mélanges de peuples et de cultures ; à ne pas confondre avec les flux migratoires issus de conflits et de persécutions. C’est par exemple l’assimilation des hordes allemandes venant s’installer en Suisse, ou l’intégration de Balkanais musulmans sortant de siècles d’asservissement et soudain mis en liberté chez nous ; il s’agit aussi du comblement du déficit démographique d’une Europe ne produisant plus assez d’enfants et où les vieux sont toujours plus vivants, mais assez malades ; et il ne faut pas oublier le traitement à donner aux illégaux de toutes origines.

Se plaindre qu’il y a des difficultés ou nier qu’il y en ait ne sert à rien.

Je constate simplement que cela se passe plutôt mieux en Suisse qu’ailleurs en Europe ; ce sera dû à notre structure fédérale et à l’absence de molosses urbains, mais aussi à une sérénité issue de notre habitude confédérale à devoir s’entendre sans vraiment se comprendre. Mais j’en veux à ceux qui accaparent les problèmes de l’instant pour tout embrouiller ; des uns exigent des solutions expéditives, en matière humaine donc toujours impraticables, et d’autres relativisent tout et s’ingénient à ne rien résoudre. Je les mets tous dans le même sac populiste, à mettre au rancart ou, plus définitivement, à la poubelle.

 


 

[1] Les forces de renseignement et de police, la justice et aussi les militaires qui les appuient font simplement leur boulot, assez bien d’ailleurs. Mais pour eux rien n’a vraiment changé sauf l’attention dont ils font l’objet, tant que la peur nous conseille de les écouter. Il leur est promis des renforts, c’est très bien mais cela prendra des années pour avoir une quelconque efficacité.

[2] Le droit humanitaire n’exige pas que les réfugiés disposent du droit d’établissement permanent dans une terre d’accueil. Il est d’ailleurs de l’intention de la plupart de retourner chez eux, si tant est que cela devienne un jour possible. Mais on constate que 34 ans après les insurrections hongroises ou 22 ans après le printemps de Prague, les fuyards et leurs descendants s’étaient transformés en bons résidents de notre pays qui avait été leur terre d’accueil. Ils ne sont que très peu qui sont retournés chez eux lorsque le rideau de fer s’est levé.

[i]      Onze critères d’existence de populisme et de démagogie :

  1. Faire des promesses intenables.
    Elles ne lient que celui qui les croit.
  2. Systématiquement désigner le coupable au dehors du groupe – l’étranger, les autres – afin de donner l’absolution au groupe.
  3. Incriminer de tous les maux une cohorte indéfinie (les riches, la finance, les ‘istes de tous bords). Paré des plumes d’un pseudo-courage civique, c’est d’ailleurs devenu politiquement correct.
  4. Désigner très vite le coupable ou la cause d’une situation sans être en mesure de le démontrer.
    Cela s’accompagne souvent de calomnie.
  5. Proposer une action politique sans que les conditions de mise en œuvre ne soient abordées – car vraisemblablement impossible, ou trop dangereuse à réaliser, ou ayant des effets négatifs majeurs.
    Le simplisme est l’essence du populisme.
  6. Répétition à l’envi des problèmes et critique systématique de l’inanité des gouvernants en place sans que des solutions ne soient vraiment proposées.
    C’est là le fonds de commerce du populisme protestataire
  7. Proposer une solution qui manifestement ne résoudra pas le problème.
    L’acte symbolique est un outil très utilisé par les temps qui courent.
  8. Décrier comme insoutenable tout compromis ou accord trouvé entre plusieurs partis.
    Proche de la théorie de la conspiration.
  9. Exiger une loyauté tribale : celui qui n’est pas avec nous est donc un traitre.
  10. Désigner sans nuance comme dérangeante voire criminelle une communauté dans son ensemble.
    Le fascisme est proche.
  11. Proclamer la bénédiction d’un dieu pour massacrer un ennemi.
    C’est l’illogisme de la déraison, surtout lorsque cet adversaire est adepte de la même religion.

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