Toxicologie : désorientation par les experts

Qu’il s’agisse de climat, de santé ou d’autres préoccupations existentielles il ne se passe pas un jour sans que l’on ne nous serve l’imminence d’une catastrophe, un scandale ou une situation terrorisante.

Ainsi dernièrement les associations antitout se sont réjouies que le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) ait classifié le glyphosate, l’herbicide à spectre total le plus utilisé au monde, dans la catégorie 2A : Probably carcinogenic to humans, qui est le dernier échelon avant la certitude qu’une substance provoque le cancer chez l’homme.[1]

En matière de toxicologie les évaluations dépendent beaucoup des évaluateurs. C’est pourquoi il faut que les revues soient faites par des organismes indépendants.

Et ces experts-là ne sont pas forcément d’accord entre eux.

Le CIRC, une institution dépendant de l’OMS, procède à des évaluations qui se basent sur les données qu’elle trouve pertinentes, puis publie ses classifications afin que les pays puissent prendre les mesures qu’ils jugent adéquates. Sa mission est de …promouvoir la collaboration internationale dans la recherche sur le cancer… ainsi que …identifier les causes du cancer, qui permettront d’adopter des mesures préventives… Comme beaucoup de ces institutions elle n’existe que parce qu’il y a un combat unilatéral à mener contre une menace et des risques clairement identifiés, dans ce cas le cancer.

Mais ce sont les autorités nationales de régulation qui ont la responsabilité de gérer les risques en fixant les limites d’usage des substances, par exemple les doses maximales d’ingestion (Acceptable Daily Intake, ADI) et les concentrations maximales de résidus (Maximal Residue Limit, MRL) dans les produits alimentaires.

Aux USA (EPA) et en Europe[2] les experts ne classifient pas le glyphosate comme carcinogène tel que le fait le CIRC, et pourtant ni l’EPA américaine ni le BfR allemand ne sont inféodés à l’industrie, bien au contraire.

Expert contre expert il faut distinguer entre ceux qui doivent mettre en place une gestion des risques et ceux qui n’ont pour mission que de lancer des alertes, sans porter de responsabilité. Grâce aux seconds les associations antitout peuvent se complaire dès la première parution d’une nouvelle qui convient à leurs thèses et qui permet de diaboliser ceux qui ne sont pas de leur bord. Cela s’appelle le confirmation bias.

On exigera donc le bannissement du produit en question et accusera tous ceux qui ont une opinion différente, EPA et BfR compris, d’incompétence, de négligence, de manquement à la morale élémentaire, voire de mensonge ou corruption. Et c’est encore plus porteur si le principal acteur économique est une multinationale américaine abhorrée. Le boulanger a le droit de gagner sa vie en fabriquant et vendant du pain, une multinationale, elle, n’est qu’un acteur diabolique de la conspiration capitaliste et néo-libérale qui mène le monde à la déchéance et à la catastrophe. Les dizaines de milliers de personnes qui y travaillent sont ou bien des salauds qu’il faut punir ou des aliénés qu’il faut libérer.

La substance en question, le glyphosate s’est avéré un des herbicides les plus sûrs pour la santé et pour l’environnement. Son usage a été multiplié par l’introduction d’organismes génétiquement modifiés afin qu’ils lui soient résistant : maïs, soja, colza, coton, luzerne, betterave sucrière.
Tempérant cet indéniable succès certaines mauvaises herbes ont, tout naturellement, développé une résistance au glyphosate. Il ne leur a pas fallu la biotechnologie humaine pour cela. C’est pourquoi des OGM résistants à d’autres herbicides (Dicamba, 2,4-D, de vielles molécules) viennent maintenant sur le marché afin de donner aux agriculteurs une solution à ce phénomène de résistance non désirée. L’apprentissage et le développement n’ont pas de cesse.

Pour un antitout et autre avocat de l’alternatif c’est la manifestation claire d’un crime que d’avoir :

  1. un procédé qui fonctionne
  2. du succès, et, pire,
  3. un succès commercial.

La toxicité de la bière leur importe peu, celle du glyphosate beaucoup car il s’agit de dénoncer la grande méchante industrie.

Pourtant, comme les représentants de Monsanto ont raison de ne pas le faire, je ne boirai pas non plus de Roundup, et ceux qui se moquent de la prétendue incohérence de l’industrie à ce sujet sont ou bien des imbéciles ou des gens de mauvaise foi, ou probablement les deux. Dire que dans des conditions normales d’utilisation un produit ne présentera pas de risque indu ne veut pas pour autant signifier qu’il est inoffensif en toute situation.

Rappel factuel.
Selon la régulation européenne en vigueur l’ADI du glyphosate est de 0.3 mg par kg et par jour ; pour mes 99 Kg ça fait 29.7 mg par jour. Dans le maïs, par exemple, la MRL est de 5 mg par kg. Il me faudrait donc manger chaque jour de toute ma vie 6 kg de maïs, –sous forme d’épis, de polenta ou de tortillas– qui contiendrait constamment du glyphosate à cette concentration limite (ce qui est très improbable, en général on la constate à zéro ou très faible par rapport à la MRL) pour rester sûr à plus de 95% que si je développe un cancer il ne sera pas dû à cette molécule. S’il vous plaît, relisez ce paragraphe jusqu’à compréhension.

À quel risque intolérable suis-je exposé qui justifie les exigences des anti-tout-pro-alternatifs ?

ADI et MRL sont des limites qui incluent des facteurs de sûreté importants, si on les appliquait dans la circulation routière on imposerait une distance de garde entre les véhicules sur l’autoroute de plus d’un kilomètre. Au moins il n’y aurait pas de bouchons apparents mais pas non plus de trafic, et pas d’accidents entre deux chauffeurs stressés.

Ne pas oublier Paracelse : « Alle Dinge sind Gift, und nichts ohne Gift; allein die Dosis macht das ein Ding kein Gift ist. »

 

[1] L’éthanol dans les boissons alcooliques, le poisson salé à la chinoise et l’irradiation solaire sont en catégorie 1.

[2] Ce sont les experts allemands qui ont procédé à une réévaluation en 2013-14,
http://www.bfr.bund.de/en/the_bfr_has_finalised_its_draft_report_for_the_re_evaluation_of_glyphosate-188632.html.
La décision de renouvellement de l’autorisation du glyphosate en Europe doit tomber avant fin de 2015.


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