Depuis un certain temps on rencontre cette expression qui laisse penser qu’il y aurait une autre société, non-civile celle-ci.
Ou me trompe-je ?
Certainement, car en novlangue le contraire n’est pas forcément l’expression du non-semblable mais plutôt celle de la similitude. Mais ça ne m’aide pas à savoir ce qui distingue la société civile de la non-civile. D’autant plus que je vis dans un pays où la démocratie semi-directe est assez bien organisée. Quatre fois par an la société civile est mobilisée, elle devient non-civile en participant à des votations sur des sujets divers, allant de l’enseignement de la musique au refoulement des criminels étrangers.
Mais, nouveau must post-moderne, il faut faire participer la société civile, peu importe qui elle est, dans la formation de l’opinion, qu’elle y soit intéressée ou non. Car avant elle n’existait pas.
Ainsi se forment des groupes qu’on appelle collectifs qui s’arrogent le titre de défenseur de la société civile, débattent en cercles fermés –sans contradicteurs car ceux-ci seraient par inférence d’ores et déjà les suppôts de la société non-civile– et militent avec des banderoles, ce qui est plus pacifique qu’avec des kalachnikovs. Non, non, ce ne sont pas des partis politiques ni des lobbies, et surtout pas des révolutionnaires, ils ne font qu’exprimer des sentiments profonds, désintéressés, libres de toute influence extérieure, ce sont de purs ingénus. Alors que bien sûr les non-civils sont des affreux comploteurs qui se fichent des intérêts du peuple.
Hors de ces collectifs (appelés soviets en oldspeak) la société civile est aussi considérée comme peu informée, ignorante, peu intéressées, ou les trois à la fois. Les non-civils se sont aussi rendus compte du phénomène et désormais se gaussent d’impliquer la société civile dans la mise en œuvre de grands projets sociétaux. Il est de l’intérêt de la société civile et de la non-civile d’éduquer ces masses. Une nouvelle mission est donc confiée aux universités et aux écoles polytechniques du pays afin qu’elles formatent à cet effet des rencontres civiles ouvertes à tous et qu’elles distillent la bonne parole au travers de sites interactifs ou de MOOC[1] qui s’écouleront sur tablettes connectées. Au bon vieux temps du Komintern des saynètes édifiantes étaient présentées sur des tréteaux montés sur la place du marché. Grâce à cette collusion propagandiste on voit ainsi que la société civile est en train de devenir un acteur non-civil.
Il va falloir donc vite inventer une société encore plus nouvelle afin que les vrais ingénus puissent proposer leur vision du vivre ensemble qu’ils auront inventée avec la dernière pluie, sans être manipulés ni par la société non-civile ni par la civile. Elle sera alter-civile.
Donc en résumé : le civil se confond avec le non-civil mais l’un n’est ni le contraire de l’autre bien que pas tout à fait son complément, alors que les deux visent à m’embrouiller.
[1] Massive Open Online Course, dans l’ancien temps : cours par correspondance, ou polycopié.
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