Énergies alternatives et culture bio, même combat ?

Ce qui ne semble avoir aucun lien en a pourtant, plus par les concepts que par les caractéristiques techniques, bien sûr. C’est en y réfléchissant un peu que l’on trouve des similitudes entre la culture bio et les énergies dites alternatives, avant tout photovoltaïques et éoliennes[1].

Les deux sont basées sur la non-utilisation de moyens classiques : pas de nucléaire ou de combustibles fossiles pour les unes, pas de chimie de synthèse (engrais, pesticides, OGM) pour les autres. Croyances, peurs, convictions ou idéologies, peu importe le mot, sont à l’origine de ces exclusions.

Les deux offrent un produit déjà existant, sans aucune différence de qualité. À la prise électrique on a du 380/220 V sous 50 Hz. Dans le panier de la ménagère (le mot ménager n’existe pas) il y a des fruits et légumes dont, à variété identique[2], il est impossible de distinguer des différences de qualité gustative par test en double aveugle ou par analyse chimique.

L’inefficacité leur est inhérente. Pour les énergies alternatives c’est leur intermittence, elles sont indisponibles pendant 75 à 90% du temps. Les produits bio ont des rendements faibles ce qui implique une moindre production pour l’agriculteur disposant de la surface limitée de sa ferme, ou alors il faut augmenter les surface cultivables pour pallier au manque de productivité de l’hectare, le problème étant alors qu’à moins de déforester ou de détruire les villes ces surfaces n’augmentent pas.

Leurs coûts sont plus élevés. Pour les énergies alternatives c’est l’investissement qui est redondant car il faut avoir de quoi faire du courant électrique sans interruption. Pour les cultures bio le travail plus intense et le rendement plus faible augmentent le coût unitaire ; on applique aussi des engrais et des pesticides couteux, mais certifiés bio.

En cas de défaut de production il faut recourir à des modes classiques, sans délai. Les lacs de retenue doivent être pleins et les centrales à charbon ou à gaz préchauffées, pendant que les centrales nucléaires et au fil de l’eau assurent une bande de fond. Je ne sais pas vraiment ce que décide un agriculteur bio s’il voit sa culture attaquée massivement par un pathogène, par exemple un champ de patate en train d’être complétement détruit par le mildiou (Phytophthora infestans) : accepter la perte totale ou appliquer un fongicide efficace donc non bio ?

Les prix pour les consommateurs sont encore plus élevés. Une marge supplémentaire est toujours ajoutée pour couvrir les inefficacités de la distribution et pour les coûts de la promotion additionnelle nécessaire pour vendre ces produits plus chers et non différent des autres, si ce n’est par leur mode de production.

Leur accès au marché est partiellement limité. Le photovoltaïque est produit de manière très décentralisé à petite échelle et à basse tension ; le redistribuer à longue distance et haute tension est quasiment impossible. Le bio, surtout le maraîchage, se vend dans des marchés locaux, souvent directement du producteur au consommateur ; or l’agriculteur qui s’adonne au commerce de proximité doit se consacrer simultanément à produire, récolter, stocker, distribuer et vendre, et il ou elle ne dispose que de 24 heures par jour.

Leur taux de pénétration est limité. Les budgets des consommateurs ne sont pas extensibles, la capacité technique des réseaux de distribution ne peut pas tout absorber[3], les producteurs ne peuvent ou ne veulent pas tous se convertir pour des raisons techniques, économiques, bureaucratiques, et aussi de formation.

Les tactiques de marketing sont similaires : le marché est animé par les soucis de développement durable. Le client, les consommateurs et aussi les prescripteurs étatiques ou les faiseurs d’opinion, trouvera une satisfaction dans un achat qu’on lui aura dit qu’il est « responsable ». Les mots clés communs sont : durable, alternatif, responsable, équitable, écologique.

Le mode de production est garanti par des certificats. Il n’y a pas d’autres moyens de vérification pour le consommateur, une pomme est une pomme, un électron est un électron. Il faut donc des labels bio pour l’agriculture décernés par des instituts privés reconnus par l’état. Pour l’électricité, les distributeurs déclarent leurs politiques d’approvisionnement (p. ex. IWB à Bâle : pas de nucléaire) et font vérifier leurs comptes.

La rentabilité économique est fragile, souvent négative. Elle dépend avant tout de ce qu’offre la concurrence, car la production par des méthodes classiques s’améliore constamment, en prix et en qualité.

Le défaut de rentabilité économique est pallié par des systèmes de subvention. L’état ne se contente pas de donner un coup de pouce à des start-up afin de donner le jour à des solutions nouvelles. Il s’immisce dans le marché pour l’orienter. Les subventions ou autres taxes incitatives deviennent ainsi une composante durable du business model de ces technologies.
Lorsque, non durable par essence, la politique change, le business model passe à la trappe, comme les moulins et miroirs en Espagne ou les installations de pompage turbinage de l’Hongrin ou de Pont de Nant.

On aura, j’espère, compris les limites de cette analyse de similitudes. Mais ces deux propositions relativement récentes sont dans l’air du temps, vont vers la postmodernité où l’affect compte plus que les effets tangibles[4] et on croit à l’éternité de la prospérité économique.

Il y a cependant une différence majeure qui distingue ces deux modes de production. L’industrie électrique est engagée dans ce que l’on appelle un monopole naturel car on ne saurait imaginer de multiples lignes à haute tension ou câbles entrant dans les maisons. Le marché de l’agriculture est ouvert, même si dans beaucoup de pays, la Suisse et le Japon en étant des champions, des protectionnismes et des subventions la transforment en une économie dirigée.

Cette différence entraîne que les choix énergétique nous sont imposés plus ou moins démocratiquement par le détenteur du monopole, l’état. L’agriculture bio reste, encore, une préférence personnelle, tendance prescription morale.

 

 

[1] On exclura les énergies utilisant la biomasse dont les biocarburants qui ne sont pas bio car si c’est bien par la biologie que c’est produit ce n’est en général pas par de moyens bio qu’on les obtient, vous saisissez ?

[2] Je sais, je sais, les produits bio sont toujours déclarés plus gouteux par ceux qui ont décidé de les acheter. C’est dû au fait que presque jamais ce ne sont les mêmes variétés qui sont cultivées selon les deux modes. Une tomate ou une fraise classique supporte les avanies du transport et des délais de la distribution. Une variété génétiquement différente, récoltée chaque matin et vendue le même jour sur un marché local, pourra être sélectionnée selon d’autres critères de qualité ; mais on peut aussi cultiver celle-ci de manière classique et dans ce cas il n’y a pas de différence de goût, de contenu nutritionnel ou de composants. Tester des variétés diverses reviendrait à l’inutile comparaison de qualité entre un merlot et un chardonnay qui sont pourtant tous deux de la même espèce Vitis vinifera, vous saisissez ?

[3] Le réseau de transport et distribution électrique devient instable si la part des intermittentes allait au-delà de 25-30% du total. Le nombre de producteurs certifiés bio stagne à environ 10% dans les pays les plus avancés dans ce domaine.

[4] Je pars du principe simple que old tech et new tech sont toutes compatibles avec les exigences de sûreté pour les humains et pour l’environnement. Et on connait ma position sur l’inutilité et la vanité de re-régler les dérèglements climatiques.
Le concept du clean tech est une esbroufe. Chaque technologie a ses avantages et ses désavantages et les erreurs de mise en œuvre passées et futures ne sont pas des raisons de les bannir, mais plutôt de les améliorer.


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