Le pouvoir effrayant du budget carbone

Face à une menace climatique attribuée à l’activité humaine, l’accord de Paris de 2015 stipule que le réchauffement en cours ne doit pas dépasser le niveau global préindustriel de plus de 2 °C. Attribuant la cause principale aux concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, seules des mesures de réduction des émissions de ces gaz sont préconisées. Certes, il est aussi possible de s’adapter à des conditions globalement plus chaudes, comme l’ont déjà expérimenté nos ancêtres, mais cela est considéré comme un pis-aller puisque cela ne corrigerait pas ce réchauffement à sa racine. La gestion politique de cette causa climatica est inédite par ses moyens, sa portée et ses implications ; l’intention de maîtriser le climat relève bien sûr de la démesure politique habituelle, mais se focaliser sur l’élimination des émissions de GES est un acte de mise sous contrôle des populations.

Première étape, sonner l’alarme

Pour mettre en œuvre un tel programme, il a fallu en définir un cadre plus strict, ce que le GIEC s’est empressé de faire en publiant son rapport spécial SP15 en 2018. N’ayant pas l’objectif de mieux comprendre l’état de la science du climat, ce rapport est la manifestation d’un acte politique de la part de scientifiques engagés. Deux coups de génie de communication publique y sont perpétrés qui contribuent à exacerber la perception d’une situation de crise et d’urgence.

Le premier fut de démontrer une évidence, mais sous des atours scientifiques. Si l’on admet comme axiome que tout réchauffement du climat s’accompagnerait de conséquences néfastes, il est logique de penser que le limiter à 1,5 °C est moins pire que 2 °C. Vivre dans un climat globalement plus chaud est ainsi jugé intolérable. Cela ne se discute plus puisque « c’est scientifique ».

Le deuxième coup de génie fut d’introduire comme concept clé la notion de budget carbone, un terme qui n’apparaissait que de manière technique dans le rapport AR5 de 2013. Par le truchement de modèles, un calcul est fait de la masse accumulée d’émissions de CO2 (ou de l’équivalent d’autres GES) depuis le début de l’ère industrielle qui résulterait en un réchauffement global de 1,5 °C. Tout dépassement de ce budget signifierait franchir une ligne rouge, une infraction au code du climat. Pourquoi est-ce génial ? Parce que la notion de budget est parfaitement ancrée au sein des bureaucraties ; voici enfin des quantités compréhensibles car extensives et gérables, alors qu’une différence de température (p.ex., 6 °C de différence moyenne entre Barcelone et Oslo, deux villes où il fait bon vivre) n’a jamais vraiment impressionné personne, ni un comptable, ni un juriste, ni aucun politicien.

Dès lors que chaque activité humaine est intimement liée au cycle du carbone, plus personne n’est innocent quant à la provocation d’une catastrophe climatique. Tonne par tonne, kg par kg, chacune et chacun participe à l’épuisement de ce budget. Des flatulences mal contrôlées aux usages frivoles, la culpabilité est générale et mesurable.

Le temps est compté, que ce soit au rythme actuel de l’activité humaine ou à une dose réduite, il ne reste plus que quelques années avant que l’irrémédiable soit commis. Des scénarios du pire sont présentés, si irréalistes qu’ils en sont mensongers, afin de peindre ce diable sur la muraille. 

Mobilisation et surveillance

L’heure est donc à la mobilisation et ça commence par l’invention d’une nouvelle,comptabilité attribuant du carbone à tout ce qui se touche ou qui se fait ; on y attache même des couleurs, une synesthésie idiote et peu musicale.

Notre « budget 1,5 °C » est bien défini : en janvier 2013 il restait au monde 250 milliards de tonnes de CO2 à émettre, soit 31 tonnes par habitant (climatechangetracker.org), avec une chance sur deux de réussir. Cela laissait deux ans aux États-Unis pour s’amender ou continuer de vivre à crédit, selon leur habitude, six à sept ans au Monde, huit années aux Suisses et 173 ans aux Éthiopiens s’ils cessent de se développer.

Personne ne peut ignorer l’inanité de ces chiffres, sinon qu’ils démontrent que le budget ne sera certainement pas respecté, et de loin. Cela n’empêche pas les gouvernements d’organiser la traque au carbone plutôt que réviser leur objectif et leur choix des moyens ; récemment même, un tribunal de juges incompétents – donc mal intentionnés – a reproché à la Suisse de ne pas avoir établi de budget carbone, ce qui l’eût aidé à respecter les droits de l’homme. Seuls les adeptes du surréalisme ne s’en offusquent pas.

Organiser cette traque est complexe, car il faut éviter les doubles comptages aux frontières, intégrer des « contenus carbone » dans chaque acte de la vie quotidienne et dans tous les investissements selon leur durée de vie et leurs affectations. C’est un État de surveillance qui nous est promis, un suivi exact et précis de notre consommation individuelle, de chaque déplacement et des influences néfastes que nous pouvons exercer. Les technologies et algorithmes les plus sophistiqués seront mis au service de cette chasse à l’homme, un flicage allant au contraire de ses droits les plus fondamentaux.

Si, par exemple, le 20 du mois, vous receviez un message vous disant que les distances que vous avez parcourues excèdent votre budget mensuel, il vous faudrait rester confiné chez vous – l’exercice de 2020-2021 ayant montré la faisabilité de cette contrainte – ou vous pourriez acheter un « crédit km » à un Éthiopien sur une plateforme d’échange dûment fiscalisée. Ce ne sont pas là des conséquences inattendues, c’est bien l’intention d’instaurer un tel État de surveillance qui anime leurs instigateurs. Au Komintern succédera le « Climintern », la technologie en sus.

Les résultats se laisseront attendre

En soi, cette comptabilité ne contribue en rien à modifier l’évolution du climat. Rien ne dit que ce monde orwellien jouira d’une température globale ou locale plus clémente. Rien ne permet au coupable, vous et moi, de changer ses modes d’approvisionnement énergétique, car nous sommes tous captifs d’un marché établi, fait de grosses infrastructures ayant une grande inertie. Pour construire aujourd’hui un panneau solaire, une éolienne, une pompe à chaleur, une automobile ou un vélo électrique, 88,7% (moyenne mondiale, données de Energy Institute de 2022) de l’énergie primaire consommée à cet effet doivent provenir de carburants fossiles.

En bref, cette surveillance carbonée ne sert à rien sauf à prendre les peuples en otage et à créer de l’anxiété. C’est ce à quoi visent les belles âmes du sauvetage de la planète. Il faut donc s’en méfier comme de la peste.

Au lieu de compter le nombre de pattes, d’oreilles et de tétines du troupeau pour en évaluer la taille, il suffit d’user une métrique plus simple, ne comptant que l’important, les têtes. Pour connaître les progrès vers une infrastructure énergétique décarbonée, il suffit de suivre le commerce du charbon, du pétrole et du gaz, ainsi qu’enregistrer les déforestations. Il n’est pas nécessaire de blâmer et dénoncer tout un chacun pour mettre cela en évidence. Mais c’est trop simple et ne requiert aucune gouvernance mondiale, bureaucratie ou autre COP.

Cependant, mesurer ou budgéter n’est pas agir. Pour que de nouvelles infrastructures décarbonées puissent être mise à disposition des consommateurs, un cadre réglementaire le plus vaste possible – lever des restrictions plutôt qu’en imposer des idiotes –doit être offert afin que les meilleures solutions puissent être mise en concurrence loyale. Les autres pourront disparaître sans regret, celles qui, faute de subventions massives et continues, ne sont pas viables et qui ne font que renchérir le coût de l’approvisionnement énergétique.

Toutefois, les solutions adéquates et abordables ne sont que partiellement connues ; elles consistent notamment en une électrification à grande échelle, y compris l’utilisation de l’énergie nucléaire. Dans d’autres domaines – chimie, ciment, plastiques, métallurgie, aviation et transport maritime – la décarbonation a besoin de technologies nouvelles pas encore connues ni abordables.

Ce n’est pas grave, le temps et l’intelligence humaine feront leur œuvre. D’ici là, il nous faudra nous adapter et tolérer de franchir une ligne rouge illusoire qui fut fixée de manière déraisonnable.

Billet publié par Valeurs Actuelles le 7 juin 2024.


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1 thought on “Le pouvoir effrayant du budget carbone”

  1. Cet article est parfait. Je suis entièrement d’accord avec cela.
    On dit que la hâte rend les chatons aveugles. Il faut du temps pour trouver et pour réaliser les bonnes solutions!

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