« Le risque zéro n’existe pas » – une rengaine hypocrite

L’attentat commis par un tireur solitaire, le kidnapping d’un enfant dans un village tranquille, l’accident industriel imprévu comme s’il y en avait des prévus, ces faits suscitent des émois, scandalisent même, et font dire des tas de sottises. Ceux qui s’acharnent à répéter cette rengaine sont d’ailleurs les mêmes qui expriment des « plus jamais ça » ou, au premier signe de danger, font appel à un principe de précaution dévoyé de son sens originel. Au fond de leur non-pensée, c’est l’intolérance au risque qui s’exprime.

Les victimes et leurs proches ne seront pas plus rassérénés par ces exclamations que par des promesses de faire moins pire la prochaine fois, qui sont pourtant formulées à chacune de ces tristes occasions. Se taire n’étant pas l’apanage du politique, son réflexe est si immédiat, si convenu et si prévisible que l’on se demande si son intelligence n’est pas artificielle. Une simple parole de sympathie suivie par un silence respectueux devrait pourtant suffire.

Se défausser de l’adversité par un rappel de l’inexistence du risque zéro est hypocrite car jamais cela ne sera complété par l’exposé du risque non nul qu’il faut tolérer et le niveau de tolérance qu’il s’agit d’accepter. Justifier le malheur par un rappel de la fatalité n’a rien de réconfortant. User de cette proposition est ainsi une échappatoire trop facile qui peut être invoquée pour tout incident similaire. De plus oui, le risque nul peut exister, il suffit de renoncer, de ne rien faire, de ne pas vivre. Un retour à la nature par l’élimination de l’activité humaine est le piège que la précaution tend à l’action.

Même si des promesses sont pourtant données de faire tout ce qui est possible afin de redresser les torts, de poursuivre les coupables et prévenir de tels malheurs, le principe de réalité s’impose dès le jour suivant : elles ne pourront pas être tenues car, après que l’émotion aura passé, le problème soulevé rentrera dans l’ordre habituel et banal des priorités et des possibilités.

Nous savons pourtant tous que la prise de risque fait partie intégrante de notre vie, tant individuelle que collective. C’est pourquoi la notion du risque tolérable est indispensable dans la société, bien que cela ne soit jamais abordé dans ces termes. La gestion du risque consiste à réduire la probabilité d’un incident ou l’étendue des dégâts éventuels, ou les deux ; elle permet d’évaluer des alternatives valables, ce qui présuppose que des limites soient fixées qui cernent l’acceptable. Le choix de ces limites – par exemple, niveaux de pollution, taux d’alcoolémie d’un conducteur ou présence d’individus dangereux dans la société – n’est pas technocratique, même si des méthodologies strictes doivent être suivies, c’est bien un acte politique auquel les politiciens ne songent que rarement, et mal. Ils évitent souvent d’y contribuer en préférant fixer des seuils ‘politiques’ c’est à dire sans autres fondements qu’arbitraires. Il n’y a pas qu’eux, les antis de tous bords traquent les moindres risques et les magnifient afin, croient-ils, de servir leur cause. Plutôt que d’affronter la vérité et les choix à décider, il est plus facile de faire des promesses inconsidérées ou de brandir le principe de précaution comme une barrière à tout risque.

L’incompétence débute avec la confusion bien entretenue qui interprète tout danger comme un risque imminent à éviter. On ne songe alors qu’à éliminer, le CO2, le glyphosate, le Hamas, la bombe atomique, les OGM, les fake-news, l’immigration, et j’en passe ; mais est-ce souhaitable, est-ce réaliste ? Alors que chaque individu s’expose volontairement à des risques importants, il n’admet pas de s’en faire imposer collectivement. Mettre en évidence un dilemme qui oppose des intérêts contradictoires est proscrit dans les débats publics car c’est pénétrer un terrain trop mouvant, par exemple, opposer la protection de la biodiversité à la satisfaction des besoins de la production agricole, ou accepter un certain niveau d’effets secondaires liés à toute vaccination. La couardise encourage à mettre cela sous le tapis et ne pas en parler ou, si le débat devient inévitable, à s’abstenir de toute nuance qui pourrait être interprétée comme de la faiblesse.

Un petit rappel, pédant mais pas inutile :

L’incompétence politique se manifeste aussi dans un penchant pour la mono-causalité. Ainsi faut-il s’attaquer à LA cause d’un malheur bien que l’on sache qu’accidents ou situations de crise ont toujours des origines multiples. Il y a des nations très expertes en fabrications de lois ad hoc qui restent lettres mortes jusqu’à ce qu’un nouvel incident permette de les perfectionner…

Figure 1  Diagramme de cause à effet selon Ishikawa.

Alors que, lors d’une enquête à propos d’un accident, on peut imaginer que l’absence d’une seule des causes identifiées eût évité la catastrophe, il serait illusoire de penser que modifier ou éliminer cette seule cause serait la garantie qu’aucun accident ne pourrait plus se produire. Poussée à l’extrême, une telle attitude simpliste mène au précautionnisme qui prétend nous garder de tous les malheurs alors que ce n’est ni souhaitable ni possible. Cela fabrique des parents surprotecteurs et mène aussi tout droit à des politiques sécuritaires, certes populaires, mais vaines, souvent liberticides et irresponsables.

La réponse donnée à la suite d’un accident ou pour corriger une situation de crise est encore plus compliquée car les actions de correction entraînent elles-mêmes des risques nouveaux.

Figure 2  Relation de cause à effet avec rétroaction qui additionne ou soustrait des contributions au fonctionnement du système.

Que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, un changement du fonctionnement du système provoquera des effets corrigés mais qui, par rétroaction, modifieront aussi des paramètres déterminants de ce même système. Des mesures peuvent ainsi s’avérer inefficaces ou contreproductives, la thérapie pouvant mener à un résultat pire que le mal à traiter. Un exemple récent est celui de la limitation du taux de soufre dans le fioul de soute utilisé par les grands navires qui a certes réduit la pollution de l’air mais a aussi diminué la réflexion de l’irradiation solaire par les fines poussières de sulfates qui se formaient, contribuant ainsi à une augmentation du réchauffement climatique. Qui saura quelle situation est la moins mauvaise ? Autre exemple dans le même domaine : il est proposé de diminuer drastiquement l’élevage bovin afin de réduire les émissions de méthane par ces ruminants, mais cela provoquera en retour un manque de fumure pour la fertilisation en agriculture bio. La complexité ne se laisse jamais résoudre par des simplifications outrancières.

Le milieu politique est composé de personnes qui savent bien tout cela mais qui, en grand nombre, persistent dans l’évitement, la dissimulation, l’incompétence et le déni. La gestion des risques fait partie de notre quotidien, mais il faudrait en oublier les principes pour croire et laisser croire qu’une réponse simpliste à chaque situation tragique est la façon de protéger durablement les gens et l’environnement, ou alors de reconnaître benoîtement que le risque zéro n’existe pas.

Mensonge, vœu pieu ou dérobade, c’est hypocrite ; il faut savoir prendre des risques, mais pas ceux-là !


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